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Transport : une pression «asphyxiante» sur les éleveurs

La saga se poursuit au parlement européen. Avec plus de 3.000 amendements déposés, la réforme de la réglementation sur le transport des animaux vivants continue de diviser profondément l’hémicycle. Entre les défenseurs du bien-être animal, qui appellent à des règles plus strictes, et les représentants du monde agricole, inquiets de mesures qu’ils jugent inapplicables, le débat reste très polarisé. Lors de la dernière réunion conjointe des commissions de l’Agriculture et du Transport, la passe d’armes entre les deux co-rapporteurs a une nouvelle fois illustré la profondeur des désaccords.

Temps de lecture : 7 min

Il n’est pas fréquent que le parlement reçoive autant d’amendements sur un même texte. Mais les quelque 3.100 propositions de modification déposées sur la révision de ce règlement témoignent de la sensibilité d’un sujet au croisement de l’éthique, de l’économie et de l’agriculture.

Co-rapporteur issu des rangs du PPE, le Roumain Daniel Buda met en garde contre « une pression asphyxiante » sur les éleveurs et transporteurs. « Ce dossier est chargé d’émotions, voire de passion », reconnaît-il, tout en déplorant que « certains défenseurs des animaux en viennent à s’opposer frontalement aux agriculteurs, comme si leurs objectifs étaient incompatibles ».

Cheval de bataille des conservateurs

Pour rappel, l’Exécutif propose de réduire la durée maximale des trajets, d’interdire certains transports en période de canicule ou de grand froid, de renforcer les contrôles de traçabilité, ou encore de garantir la présence d’un vétérinaire au moment du chargement et du déchargement des animaux. Ces mesures, soutenues par de nombreux élus écologistes et sociaux-démocrates, visent à mettre un terme à des pratiques de transport jugées parfois inacceptables.

Mais pour une large partie des eurodéputés du PPE et surtout de l’extrême droite, ces propositions ignorent les réalités de terrain, notamment dans les régions rurales ou périphériques. Daniel Buda pointe un risque de double peine pour les éleveurs : « Imposer des règles trop strictes, c’est encourager la délocalisation vers des pays tiers moins exigeants, tout en continuant d’importer des produits qui ne respectent pas nos normes ».

Cette concurrence réglementaire est un argument récurrent dans les rangs conservateurs. Elle renvoie à une question de fond : l’UE peut-elle se permettre de durcir ses règles sans exiger la réciprocité de ses partenaires commerciaux ?

Entre faisabilité logistique et tension sociale

Sur les plans techniques, plusieurs mesures du texte suscitent l’inquiétude. La réduction de la durée des trajets à 9 heures pour certaines espèces, voire moins selon les cas, semble difficile à mettre en œuvre sans un réseau dense d’abattoirs de proximité, lequel fait aujourd’hui défaut dans de nombreuses régions de l’UE. Daniel Buda insiste : « On ne peut pas ignorer que, faute d’abattoirs accessibles, certains éleveurs n’ont d’autre choix que d’envoyer leurs animaux sur de longues distances ».

La proposition de limiter les transports en fonction de la température extérieure est également critiquée, notamment par Benoît Cassart (Voir Le Sillon Belge du 8 mai). Prévue pour interdire les déplacements pendant les pics de chaleur en été et les périodes de gel en hiver, elle se traduirait par une suspension de plusieurs mois du transport dans une partie de l’Europe. « C’est une approche binaire, déséquilibrée », juge Daniel Buda, qui appelle à une méthode « plus souple et réaliste ».

Le député PPE souligne en outre le manque de ressources vétérinaires pour encadrer tous les chargements et déchargements. « Nous n’avons pas assez de vétérinaires disponibles pour répondre à cette exigence », affirme-t-il. En plus des coûts, il anticipe des retards logistiques, voire des blocages dans la chaîne de transport. 

Un dossier symbolique d’une Europe tiraillée

Au-delà des aspects techniques, la réforme soulève une question politique plus large, celle de la place accordée au bien-être animal dans le projet européen, et de sa compatibilité avec la pérennité des systèmes agricoles. Le débat cristallise un clivage croissant entre une opinion publique de plus en plus sensible aux conditions de traitement des animaux, et un monde rural qui se sent mis en cause, voire marginalisé.

Sur le volet des exportations vers les pays tiers, la ligne de fracture est nette. Plusieurs groupes politiques plaident pour une interdiction pure et simple, au nom de la cohérence des normes. Daniel Buda, lui, s’y oppose fermement, arguant qu’il est « économiquement impossible de bloquer ces flux. Ce que nous devons faire, c’est renforcer les contrôles, y compris hors de nos frontières. »

Même les mesures concernant l’espace minimal accordé aux animaux suscitent débat. Si l’intention est d’améliorer le confort des bêtes, certaines données suggèrent que l’augmentation de l’espace peut paradoxalement entraîner plus de blessures, voire une hausse de la mortalité. Sans compter son impact environnemental, avec un nombre de trajets plus important et une hausse des émissions de carburant. 

Une réforme encore très incertaine

Face à ces nombreuses divergences, la perspective d’un compromis semble encore lointaine. Le texte est examiné conjointement par les commissions Transport, Agriculture et Environnement, chacune défendant des priorités différentes. Pour Daniel Buda, la méthode de travail devra évoluer. Pour lui, « il nous faut catégoriser les débats, aborder les sujets un par un, et surtout éviter les approches dogmatiques ».

Il plaide pour une approche graduée, qui articule exigences de bien-être et soutenabilité pour les acteurs agricoles. « Il ne s’agit pas de nier les problèmes. Mais si l’on met le secteur à genoux, on n’aura rien réglé. ». 

« Il faut placer la barre plus haut »

L’eurodéputée et co-rapporteure écologiste Tilly Metz refuse quant à elle le statu quo. Elle rejette l’idée selon laquelle les défenseurs du bien-être animal ignoreraient les réalités agricoles, soulignant son expérience de terrain et ses liens avec les éleveurs.

Elle récuse également l’argument d’une Europe moins exigeante que d’autres pays, citant l’exemple du Royaume-Uni et de la Nouvelle-Zélande, qui ont interdit l’exportation d’animaux vivants. L’UE, « plus grand marché intérieur mondial », doit, selon elle, incarner un « effet domino » mondial.

Avec son collègue Thomas Weitz, elle a déposé de nombreux amendements : limitation à 8 heures maximum pour les petits trajets, pauses obligatoires après 8 heures de conduite, réduction des durées en transport maritime, et interdiction de ce dernier pour les animaux sur pied, sauf exception pour les veaux non sevrés de plus de cinq semaines.

Elle plaide aussi pour des seuils adaptés à chaque espèce animale, fondés sur des données scientifiques, et pour l’utilisation de technologies permettant de réguler la température en fonction des conditions climatiques extrêmes.

Sur les exportations vers les pays tiers, elle propose une interdiction progressive à partir de 2030, assortie d’une liste stricte de destinations autorisées, avec une application des règles européennes jusqu’à la destination finale. 

Vers un compromis difficile

Malgré la complexité du dossier, Tilly Metz déplore que certains cherchent à affaiblir la réglementation, acceptant ainsi que les animaux « continuent de souffrir, de voyager dans la faim et la canicule ». Elle appelle à une meilleure mise en œuvre des règles et à une volonté politique claire. « Je suis prête à négocier et à trouver des compromis avec tous les groupes pro-européens », conclut-elle, déterminée à concilier exigences éthiques et contraintes agricoles dans cette réforme sensible.

La réforme du règlement suscite une vive opposition au sein du conseil. À l’occasion de la réunion des ministres européens de l’Agriculture, du 26 mai dernier, l’Italie a présenté un document, cosigné par onze autres États membres (Bulgarie, Croatie, Chypre, République tchèque, Estonie, Grèce, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Portugal et Roumanie) dans lequel les signataires alertent sur « l’impact socio-économique négatif de certaines des mesures proposées sur les productions animales et, par conséquent, sur la sécurité et la souveraineté alimentaires de l’UE ». 

Un clivage géopolitique au sein des États membres

L’Espagne et l’Allemagne ont, à leur tour, exprimé leur soutien à cette déclaration, portant ainsi à une quinzaine le nombre de pays opposés au texte. Tous mettent en garde contre le risque d’imposer aux agriculteurs et aux autres acteurs de la filière des charges supplémentaires jugées injustifiées, contraires à l’objectif affiché de renforcement du secteur de l’élevage.

Dans sa note, l’Italie insiste également sur le risque que les nouveaux critères viennent entraver les échanges d’animaux vivants, compromettant la capacité de certains États membres à maintenir leurs exportations vers les pays tiers.

Face à cette levée de boucliers, seuls quelques pays, dont le Danemark, qui assumera la présidence tournante partir de juillet, continuent de défendre le projet et espère encore sauver un texte fragilisé.

De son côté, le commissaire européen à la Santé et au Bien-être animal se dit « pleinement conscient » des obstacles soulevés par la réforme. Il s’est engagé à ce que la révision permette la poursuite de la production et des échanges de bétail, tout en limitant les perturbations et les charges administratives. Il a également rappelé la nécessité d’imposer des règles équivalentes aux importations d’animaux provenant de pays tiers.

Marie-France Vienne

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