Transport : une pression «asphyxiante» sur les éleveurs
La saga se poursuit au parlement européen. Avec plus de 3.000 amendements déposés, la réforme de la réglementation sur le transport des animaux vivants continue de diviser profondément l’hémicycle. Entre les défenseurs du bien-être animal, qui appellent à des règles plus strictes, et les représentants du monde agricole, inquiets de mesures qu’ils jugent inapplicables, le débat reste très polarisé. Lors de la dernière réunion conjointe des commissions de l’Agriculture et du Transport, la passe d’armes entre les deux co-rapporteurs a une nouvelle fois illustré la profondeur des désaccords.

Il n’est pas fréquent que le parlement reçoive autant d’amendements sur un même texte. Mais les quelque 3.100 propositions de modification déposées sur la révision de ce règlement témoignent de la sensibilité d’un sujet au croisement de l’éthique, de l’économie et de l’agriculture.
Co-rapporteur issu des rangs du PPE, le Roumain Daniel Buda met en garde contre « une pression asphyxiante » sur les éleveurs et transporteurs. « Ce dossier est chargé d’émotions, voire de passion », reconnaît-il, tout en déplorant que « certains défenseurs des animaux en viennent à s’opposer frontalement aux agriculteurs, comme si leurs objectifs étaient incompatibles ».
Cheval de bataille des conservateurs
Pour rappel, l’Exécutif propose de réduire la durée maximale des trajets, d’interdire certains transports en période de canicule ou de grand froid, de renforcer les contrôles de traçabilité, ou encore de garantir la présence d’un vétérinaire au moment du chargement et du déchargement des animaux. Ces mesures, soutenues par de nombreux élus écologistes et sociaux-démocrates, visent à mettre un terme à des pratiques de transport jugées parfois inacceptables.
Mais pour une large partie des eurodéputés du PPE et surtout de l’extrême droite, ces propositions ignorent les réalités de terrain, notamment dans les régions rurales ou périphériques. Daniel Buda pointe un risque de double peine pour les éleveurs : « Imposer des règles trop strictes, c’est encourager la délocalisation vers des pays tiers moins exigeants, tout en continuant d’importer des produits qui ne respectent pas nos normes ».
Cette concurrence réglementaire est un argument récurrent dans les rangs conservateurs. Elle renvoie à une question de fond : l’UE peut-elle se permettre de durcir ses règles sans exiger la réciprocité de ses partenaires commerciaux ?
Entre faisabilité logistique et tension sociale
Sur les plans techniques, plusieurs mesures du texte suscitent l’inquiétude. La réduction de la durée des trajets à 9 heures pour certaines espèces, voire moins selon les cas, semble difficile à mettre en œuvre sans un réseau dense d’abattoirs de proximité, lequel fait aujourd’hui défaut dans de nombreuses régions de l’UE. Daniel Buda insiste : « On ne peut pas ignorer que, faute d’abattoirs accessibles, certains éleveurs n’ont d’autre choix que d’envoyer leurs animaux sur de longues distances ».
Un clivage géopolitique au sein des États membres
L’Espagne et l’Allemagne ont, à leur tour, exprimé leur soutien à cette déclaration, portant ainsi à une quinzaine le nombre de pays opposés au texte. Tous mettent en garde contre le risque d’imposer aux agriculteurs et aux autres acteurs de la filière des charges supplémentaires jugées injustifiées, contraires à l’objectif affiché de renforcement du secteur de l’élevage.
Dans sa note, l’Italie insiste également sur le risque que les nouveaux critères viennent entraver les échanges d’animaux vivants, compromettant la capacité de certains États membres à maintenir leurs exportations vers les pays tiers.
Face à cette levée de boucliers, seuls quelques pays, dont le Danemark, qui assumera la présidence tournante partir de juillet, continuent de défendre le projet et espère encore sauver un texte fragilisé.
De son côté, le commissaire européen à la Santé et au Bien-être animal se dit « pleinement conscient » des obstacles soulevés par la réforme. Il s’est engagé à ce que la révision permette la poursuite de la production et des échanges de bétail, tout en limitant les perturbations et les charges administratives. Il a également rappelé la nécessité d’imposer des règles équivalentes aux importations d’animaux provenant de pays tiers.