De multiples services, requérant suffisamment de matière organique
Pour un agriculteur, les sols cultivés font figure de biens précieux. À ce titre, ils méritent la plus grande attention mais aussi l’adoption de pratiques permettant de stabiliser, si pas d’accroître, leur teneur en matière organique dont les atouts sont loin d’être négligeables.

En agriculture, le sol peut faire face à divers facteurs de dégradation : travail profond et intense, érosion, poids des chantiers de récolte, lessivage… Ce qui rappelle l’importance de le préserver ! D’autant qu’il constitue bien plus qu’un support des cultures.
Au-delà d’un simple support
« Le sol est constitué à 98 % de matières minérales (sable, limon, argile…) et à 2 % de matières organiques », rappelle Brieuc Hardy, scientifique au Centre wallon de recherches agronomiques (Cra-w), à l’occasion d’une séance d’information organisée par la Fiwap. Et de poursuivre : « Les constituants minéraux s’assemblent pour former des agrégats qui confèrent au sol sa structure. C’est également cet assemblage qui permet la formation des macropores, utiles au passage des racines et évacuant les surplus d’eau, et des micropores et mésopores, essentiels à la rétention de l’eau ». Sans ces 2 % de matière organique, cette structure n’existerait pas. S’y ajoute encore la matière vivante (insectes, microorganismes, racines, hyphes de champignon…), absolument essentielle au fonctionnement du sol.
Mais le sol, ce n’est pas que cela. C’est également un prestataire de services de premier plan. Il fournit des nutriments (via la minéralisation de la matière organique, les bactéries fixatrices d’azote, les mycorhizes, la solubilisation du phosphore… ; le tout permettant de réaliser des économies au champ), de l’eau (chaque sol disposant de sa capacité de rétention de l’eau), des produits (animaux et végétaux), des moyens de biocontrôle (auxiliaires, bactéries…) ainsi que des services à la société. « Citons, entre autres, le contrôle des coulées boueuses et inondations, la filtration des eaux avant qu’elles n’atteignent les nappes phréatiques, la conservation de la biodiversité ou encore la régulation du climat. »
Un sol dégradé ne peut toutefois pas fournir ces services de manière optimale. Or, les parcelles agricoles font face à de nombreux risques, qu’il s’agisse de compaction, pollution, déclin de biodiversité, érosion ou perte de matière organique. Et Brieuc Hardy d’insister : « Sous un certain seuil de matière organique, les problèmes de structure débutent… Ce qui ne sera pas sans conséquence sur les services assurés ».
Sans matière organique…
La matière organique est, en effet, une pierre angulaire à la fertilité des sols, qu’elle soit :
– physique : régulation des transferts d’air, d’eau et de nutriments et de la pénétration racinaire ;
– chimique : fourniture de nutriments pour la croissance de la plante ;
– biologique : soutient à la vie du sol.
À ce titre, il faut se souvenir que le carbone organique, constitutif de la matière organique, vient de l’atmosphère et est fixé par les végétaux via la photosynthèse. Ledit carbone (ou ladite matière organique) est exporté de la parcelle à la récolte mais une partie revient au sol de diverses manières : dégradation et/ou restitution des résidus racinaires et aériens de la culture, épandage des effluents d’élevage ou des coproduits de biométhanisation… « Ce pool de manière organique fraîche va être minéralisé par la vie du sol. De l’ordre de 70 à 80 % le sera au cours de l’année, tandis que le solde restera dans le sol plus longtemps et s’associera aux argiles. »
Cette matière organique assure la fourniture et la rétention des nutriments par le sol, mais est aussi indispensable à la vie du sol, elle-même essentielle au fonctionnement de ce même sol. Preuve, s’il en fallait encore une, que tout est intimement lié. « La vie du sol assure le recyclage des nutriments, le biocontrôle, la fixation d’azote atmosphérique, la formation d’agrégats stables et de l’humus, l’incorporation de la matière organique dans les différentes couches du profil… Bref, sans matière organique, il n’y aurait pas de vie du sol… Et sans cette dernière, les sols ne seraient pas ce qu’ils sont ! »
En situation de manque de matière organique, les problèmes de structures (battance, compaction, érosion et semelle) peuvent apparaître. Mais d’autres facteurs ont également une influence majeure. En guise d’exemple, dans le cas de la compaction, le poids des engins agricoles ne peut être ignoré (bien que son influence dépende de l’humidité du sol, de la charge appliquée sur l’essieu et de la pression des pneus, notamment)… « Corriger un tel problème par labour ou sous-solage est laborieux. On peut compter sur les agents biologiques (action des vers de terre et des racines) ou physiques (comme les phénomènes de retrait-gonflement résultant des cycles de gel-dégel et humectation-dessication), mais il faudra se montrer patient et attendre, au minimum, trois ans avant d’observer une régénération significative. »
Sans aucun doute, les sols agricoles et leur teneur en matière organique méritent une attention de tous les instants.
Maintenir les stocks de carbone organique
Simon Sail, lui aussi chercheur au Cra-w, livre pour sa part quelques conseils en vue de maintenir, voire accroître, les stocks de carbone organique dans les sols agricoles. Quatre leviers sont évoqués : la gestion des matières organiques exogènes (engrais de ferme, boues, composts…), le travail du sol (qui impacte la distribution du carbone dans le profil du sol ainsi que la minéralisation), les couverts d’interculture (permettant un apport de carbone via la biomasse, tant racinaire qu’aérienne) et la succession culturale. Les deux premières pistes font l’objet d’essais de longue durée, menés sur le site gembloutois du Cra-w.
En ce qui concerne les matières organiques exogènes, l’essai a été mis en place en 1959 sur une surface labourée de 4,6 ha. Depuis 1975, betterave sucrière, froment et escourgeon se succèdent dans la rotation. Les apports de matière organique reposent sur les engrais de ferme (apporté avant l’implantation de la tête de rotation qu’est la betterave), les résidus de culture et les couverts d’interculture. Des échantillons de sol sont prélevés chaque année afin d’évaluer les teneurs en carbone organique.
« Nous constatons une augmentation significative de la teneur en carbone organique en cas d’apport d’engrais de ferme, du moins durant 25 à 30 ans. Un palier a ensuite été atteint. La restitution des résidus de culture au sol, en association ou non avec l’implantation d’un couvert végétal, a permis de stabiliser la teneur en carbone organique dans les sols, mais pas de l’accroître », explique le scientifique. Du côté des stocks de carbone, les prélèvements d’échantillons montrent que l’apport massif de carbone permet, sans surprise, d’accroître graduellement les quantités emmagasinées mais que c’est bien la combinaison de plusieurs pratiques qui présente une réelle plus-value en matière de stockage.
L’essai dédié au travail du sol est, lui, plus récent. Il a débuté en 2005, sur une parcelle de 1,5 ha où prend place une rotation biennale (betterave-froment). Différents modes de travail du sol y sont testés, du plus au moins intensif : labour, décompactage et techniques culturales simplifiées. « Le but est de savoir si la réduction du travail du sol contribue à un meilleur stockage du carbone », éclaire Simon Sail. Et de constater que, conformément à ce qu’annonçait la littérature, le non-labour préserve la surface du sol riche en matière organique, ce qui permet également de protéger les parcelles de la battance et de l’érosion. Le labour, lui, redistribue le carbone au sein de l’horizon travaillé.
« L’essai nous a également révélé qu’une réduction du travail du sol contribue à stocker davantage de carbone organique. Alors que la littérature scientifique montrait qu’aucune augmentation n’est observée, sous nos latitudes, en cas de non-labour. Cette conclusion doit néanmoins être nuancée car la dynamique du carbone évolue sur des échelles de temps longues. » Ainsi, un essai similaire conduit depuis 41 ans en France montre qu’une baisse du stock de carbone intervient après 25 ans d’augmentation, toujours en non-labour.
Enfin, en matière de rotation culturale, il convient de raisonner de manière à compenser les pertes. « Le but est d’équilibrer les entrées et sorties de carbone en vue de maintenir le stock stationnaire ou, mieux, d’accroître les entrées, en faveur d’un stock grandissant. Le tout par l’intermédiaire des cultures, des engrais verts et des effluents d’élevage. » Certaines cultures permettent de compenser les pertes induites par la minéralisation de la matière organique (colza, froment pailles enfouies ou maïs grain, par exemple) tandis que d’autres ne contrebalancent pas lesdites pertes (pommes de terre, lin ou légumes, notamment), avec un amoindrissement des stocks à la clé. « Introduire une prairie temporaire dans la rotation permet également de stocker du carbone, bien utile à la parcelle », conseille-t-il en guise de conclusion.