Dans le cochon, tout est vraiment bon!
Depuis plusieurs mois, ça parle beaucoup de cochon à la maison. Et pour cause : 2 € la tranche de jambon cuit au comptoir des boucheries. Mais depuis quand la viande de porc est-elle devenue aussi chère que ça ? On est évidemment tous au courant que le prix de la viande a augmenté mais tout de même, ça ne choque que moi ce prix ? Surtout que, nous en conviendrons tous, le cochon a quand même quelques galons en moins que le bœuf Wangyu.

Alors je me plains. Mon entrepreneur agricole qui m’aide dans les travaux des champs me répond : « Rien de tel que d’engraisser son propre cochon. Le gout est différent, impossible de revenir en arrière. C’est un délice ! ». Sur la même lancée mais dans une ambiance plus nostalgique, mon père aussi parle des cochons qu’il avait à la ferme de ses parents quand il était enfant. Le clou, c’est lorsque ma belle-sœur m’avoue qu’elle a failli m’offrir un cochon cette année pour mon anniversaire. Mais qu’est-ce qu’on attend ? ! Dans cette démarche, ce n’est pas après la viande que je cours, mais bien après les économies. Après tout, c’est ça aussi le privilège d’être agriculteur, jouir de cette liberté de pouvoir sustenter toute sa famille avec des produits exceptionnels en qualité et surtout, à bon marché. Nos ressources en grains, fourrages et autres sont dans de telles quantités que nourrir un cochon passerait encore inaperçu dans la gestion des stocks. Bien que tout semble calé, l’arrivée d’un éventuel cochon à la ferme n’est pas encore pour tout de suite.
Mon téléphone, lui ne l’aurait pas compris de cette oreille et se serait imaginé que je me lançais carrément dans un élevage ! Vous n’avez jamais eu cette désagréable sensation de parler d’un sujet (vacances, nouvelle machine à laver, soins…) et par le fruit d’une coïncidence incroyable (wIAouw !), votre écran participe aussi à la conversation en vous proposant des offres ?
L’expérience m’est arrivée un samedi soir. Les enfants étaient au lit, leur papa les surveillait et je mangeais toute seule le reste du repas dans la lumière du coucher de soleil. Devant mon nez, l’écran de mon téléphone posé sur une bouteille, sur lequel je faisais défiler les réels. Et là, une info anéantit en quelques secondes plus de deux semaines de recherches pour un sujet de chronique. Si j’étais déjà bien convaincue que le métier d’agriculteur était le plus beau, le plus noble… J’étais loin d’imaginer qu’on pouvait encore aller plus loin dans ces louanges. J’admire tout autant un autre corps de métier, celui qui soigne l’humain, les médecins et les infirmiers. Imaginez donc ma surprise en découvrant un projet qui unit en parfaite symbiose l’agriculture et la médecine.
Sous mes yeux, je découvre dans un reportage une porcherie à faire pâlir certaines cuisines de restaurant. Tout est immaculé. D’une propreté de sainteté. Les cochons sont bien roses et les agriculteurs sont en tenue de Schtroumpfs : charlotte, tablier et bottes blanches. Plus blanches que la semelle de mes chaussures. Ce service cinq étoiles, seule une poignée de cochons y ont droits car ils sont très spéciaux. Nul sang bleu, mais bien quatre génomes remplacés par d’autres. Tout est parti d’une femelle à qui on lui a prélevé une cellule. Avec des ciseaux moléculaires, quatre gènes très spécifiques au porc lui ont été enlevés et remplacés par six gènes pour rendre l’ADN plus humain. La cellule a été réimplantée dans la femelle et sa descendance est ainsi génétiquement modifiée. Cette opération scientifique a pour but de produire des anticorps et dans un futur plus ou moins proche, des organes destinés à la xénotransplantation. En d’autres termes, il s’agit d’une transplantation d’organes d’une espèce à une autre. Dans ce cas-ci, il s’agit d’une transplantation d’organes du porc vers l’être humain. Si j’avais déjà eu vent bien entendu que ce genre de recherches existaient certainement, quelque part, à un certain moment donné, j’étais loin, tellement loin d’imaginer que ce genre ferme existait en France, au sud de Nantes pour être plus précise. Gérées par l’entreprise biotech Xenothera, ces modifications génétiques permettent d’éviter le rejet des organes de porc par le corps humain. L’objectif est d’évidemment de pallier la pénurie d’organes disponibles pour les greffes chez l’Homme.
Si cette ferme transgénique est autorisée en France, la xénotransplantation ne l’est pas encore. Ça ne saurait tarder puisqu’aux États-Unis, de telles recherches existent aussi et des essais cliniques sont déjà en cours. À l’heure actuelle, un de ces essais est déjà considéré comme une réussite : un homme de 67 ans greffé d’un rein, issu d’un cochon, survit depuis le début d’année à son opération. Les autres patients ont fini par rejeter le greffon.
Pourquoi choisir cet animal ? Simplement parce que les organes entre l’homme et le cochon sont de taille semblable.
Enfin, se pose une dernière question à ce stade : est-ce bien éthique tout ça ? À partir du moment où on consomme de la viande, qu’on l’ingère, y a-t-il vraiment un conflit éthique sur le fait de conserver l’organe au sein de son organisme plutôt que de le consommer sous forme de pâté pour qu’il termine sa course dans les toilettes ? Cette technologie permettrait de répondre aux besoins des patients en attente d’un donneur d’organe qui sont en insuffisance.
Vivre avec les organes d’une autre personne, au début c’était assez particulier et les mentalités ont dû s’habituer aux prouesses médicales. Puis, on s’y fait. Vivre avec les organes d’un cochon, c’est un effort psychologique à faire également. Mais peut-être qu’un jour on y parviendra. Et quelle surprise d’apprendre que le métier d’éleveur occupe le premier maillon d’une révolution médicale qui sauverait des milliers de gens.
Conclusion, est-ce que je me lance dans un élevage de cochon ? Non, non et non, et je le dis à voix haute pour que l’IA de mon téléphone comprenne bien que je n’ai aucune intention de me lancer dans l’élevage transgénique ! Par contre, un petit Gaston à la ferme, pourquoi pas ! Je vous tiens au courant. En attendant, l’expression n’aura jamais été aussi bien placée qu’en cette fin d’article : tout est bon dans le cochon !