La commission jette les bases d’un marché des crédits nature
Alors que l’UE fait face à une dégradation alarmante de ses écosystèmes, la commission entend mettre la nature au cœur de ses politiques économiques. Mi-juillet, Jessika Roswall, la commissaire chargée de l’Environnement, a présenté une feuille de route en faveur du développement des crédits nature, un nouvel instrument financier destiné à canaliser les investissements privés vers la restauration des écosystèmes.

À ses yeux, « protéger la nature ne doit plus être considéré comme un coût, mais comme un investissement stratégique ». Cette déclaration synthétise un changement de paradigme que la commission souhaite imposer à l’agenda européen comme international.
Une nature en crise, une réponse économique
Les chiffres avancés par la commissaire sont sans appel : 80 % de la nature en Europe se trouve dans un état de dégradation. Dans le même temps, 75 % des entreprises européennes dépendent directement des services écosystémiques : pollinisation, qualité de l’eau, stabilité des sols, régulation du climat…
Or, face à l’ampleur de la crise écologique, le financement public, bien que central, ne suffit plus. La commission estime à 37 milliards
C’est dans ce contexte qu’intervient le projet de crédits nature, censé structurer un marché permettant de financer des projets concrets de restauration : reboisement, réhabilitation des zones humides, reconstitution d’habitats pour les espèces menacées.
Des crédits encadrés pour éviter les dérives
Inspirés du modèle controversé des crédits carbone, les crédits nature se distinguent cependant par leur finalité : il ne s’agit pas de compenser une pollution en achetant une indulgence verte, mais de valoriser des actions ayant un impact réel et mesurable sur la biodiversité
Consciente des risques de dérives (notamment de greenwashing), la commissaire insiste sur la nécessité d’un cadre strict et rigoureux. La feuille de route met ainsi l’accent sur l’adoption de normes de certification robustes, fondées sur des données scientifiques, afin de garantir la traçabilité et la fiabilité des projets financés. Elle prévoit également une gouvernance transparente, appuyée sur des mécanismes de suivi indépendants, et la création d’une infrastructure de marché claire, offrant une transparence suffisante pour assurer la confiance des investisseurs tout en garantissant un accès équitable aux différents acteurs, y compris les plus petits, issus des territoires.
« Mesurer la nature, ce n’est pas facile. Elle est locale, complexe, variable. C’est pourquoi nous avons besoin d’outils crédibles, scientifiquement fondés, pour instaurer la confiance », a souligné Jessika Roswall.
Projets pilotes et premiers retours d’expérience
Plusieurs projets pilotes ont déjà vu le jour sur le continent, notamment en France, en Estonie, en Suède et en Finlande. Ils servent de laboratoire pour tester la faisabilité des crédits nature sur le terrain. Mais ces expériences ne sont pas exemptes de critiques. Interpellée par une ONG au sujet d’un projet en Estonie ayant entraîné une déforestation de 87 ha, Jessika Roswall s’est voulue mesurée : « Ce sont précisément ces retours qui nous permettent d’ajuster le cadre. Un projet pilote, par définition, n’est pas parfait. Mais il est essentiel pour poser les bonnes bases. »
En France, certains projets mobilisent déjà les agriculteurs, les collectivités locales ou les entreprises autour d’initiatives de restauration d’écosystèmes. Ils donnent un aperçu du potentiel du mécanisme, mais aussi des tensions qu’il pourrait susciter, notamment entre impératifs de rentabilité et exigence de rigueur écologique.
Un levier complémentaire au financement public
Malgré l’enthousiasme affiché, la commissaire reste prudente : « Les crédits nature ne sont pas une panacée. Ils constituent un outil parmi d’autres, dans une stratégie globale de valorisation et de protection du vivant. » Pour Mme Roswall, il ne s’agit pas de substituer le financement privé aux budgets publics, mais bien de les compléter intelligemment. Elle réaffirme ainsi son soutien à un renforcement du budget européen dédié à la biodiversité, dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel (CFP), dont les discussions s’ouvriront prochainement.
Au-delà de l’Europe, la commission souhaite jouer un rôle moteur dans la structuration d’un cadre international pour les crédits nature, en s’appuyant sur les initiatives existantes et les travaux de groupes d’experts. Jessika Roswall entend faire de l’UE un leader normatif, capable d’exporter ses standards de qualité et de transparence.
Elle voit dans cette dynamique une opportunité économique : selon les estimations évoquées au Forum économique mondial de Davos, le potentiel des investissements privés dans la nature à l’échelle mondiale pourrait atteindre 180 milliards de dollars par an à l’horizon 2050.
« Ne pas rater ce tournant »
Au terme de son intervention, la commissaire a lancé un appel à la mobilisation collective : institutions européennes, États membres, entreprises, scientifiques, ONG, tous sont invités à co-construire ce marché naissant. « Si nous voulons que l’investissement dans la nature cesse d’être l’exception, nous devons poser aujourd’hui les fondations d’un système crédible, équitable et transparent. »
La création d’un groupe d’experts ad hoc devrait permettre de consolider cette approche. « Nous ne pourrons réussir que si nous avançons main dans la main. Il en va de notre résilience, de notre compétitivité, et de notre avenir commun ».