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Courrier des lecteurs: «Ressusciter la fierté»

Sans doute l’avez-vous remarqué, mais une vie passe très vite ! Vingt années grosso modo pour grandir, apprendre et se former ; quarante à la grosse louche pour travailler ; vingt ans pour ne pas vieillir et mourir trop vite, afin d’avoir le temps de réfléchir à tout ça. Cette distribution des périodes varie d’un individu à l’autre, bien entendu !

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Le quart de notre court passage sur Terre est donc consacré à notre éducation et nos apprentissages. Nos parents jouent un rôle crucial au tout début de notre vie, aux cours de nos premières années. Puis l’école vient épauler la famille et nous inculquer toutes sortes de connaissances, avec plus ou moins de bonheur. Fin août, début septembre, c’est la « rentrée des classes », l’occasion de (re)partir d’un bon pied pour une année scolaire instructive et enrichissante !

C’est bien loin tout ça ! L’école gardienne avec Madame Y, les primaires avec Monsieur le Maître M, les secondaires en pension chez les Frères à Carlsbourg, même pas à l’école d’agriculture. Cette pension m’a dégouté à jamais des études et d’un tas d’autres choses : trop de discipline, trop de lenteur dans les cours, aucun moment de solitude, trop d’enfermement loin de la ferme familiale… Qu’est-ce que j’ai pu m’y emm(…)der, m’y embêter, y brûler mes meilleures années !

Heureusement, la bibliothèque était bien fournie et l’école d’agriculture laissait les portes de ses étables ouvertes pour aller souvent dire bonjour aux premières vaches Holstein de Belgique, venues du Canada ; et au bétail français, Charolais et Limousin, dont un veau « importé » de la Corrèze dans le coffre de la voiture de Frère Marcel-Alexis. Il arrivait qu’on se paye une bonne tranche de rigolade quand, par exemple, un élève d’agriculture nous raconta comment certains de ses condisciples de la section « eaux et forêt », peu motivés par les travaux des champs, avaient « biné » au pied de la lettre un champ de maïs, n’épargnant aucune plantule !

Les élèves de l’école agricole se moquaient ouvertement de nous, les soi-disant « intellos » de sciences-maths. Ils nous méprisaient sans s’imaginer sans doute qu’il y avait parmi nous des fils de fermiers purs et durs qui apprenaient à apprendre, qui se formaient pour les futurs défis à relever dès ces années septante, où il devenait très important de savoir compter et gérer toutes ces tâches administratives qui pointaient déjà le bout de leur nez crochu.

Aujourd’hui, comment fonctionnent les écoles d’agriculture ? Je suis allé jeter un coup d’œil sur internet dans les programmes proposés aux élèves dans les sections « Agronomie », « Horticulture », « Soins animaliers ». Pas à dire, ça tient la route ! On y trouve un peu de tout : des mathématiques, du français, de l’histoire et de la géo, de la phytotechnie, de l’économie, de l’agronomie… mais peu d’heures pour chaque branche. Sans doute suivent-ils les directives du ministère de l’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles ? On ne fait pas ce qu’on veut, n’est-ce pas ?

Les élèves de ces sections techniques font plutôt carrière dans le para-agricole, cette vaste nébuleuse qui gravite autour de nous, acteurs du terrain suivis et « conseillers » de toutes parts. Ces étudiants de technique agricole montent quelquefois dans l’enseignement supérieur, voire à l’université, et font carrière dans une firme agro-alimentaire, dans une administration ou en politique ; ils sont engagés par un syndicat, dans un labo de recherche agronomique. Ils se lancent dans le commerce de produits agricoles. Très peu finissent réellement agricultrices, agriculteurs, m’a affirmé un professeur d’une école cinacienne réputée.

Les « vrais » futurs agriculteurs de chez nous préfèrent le Cefa (Centre d’Éducation et de formation en alternance), un enseignement professionnel mieux en phase avec les réalités quotidiennes des exploitations agricoles. Cette forme de pédagogie combine la théorie scolaire et la pratique en ferme, par des stages chez des agriculteurs où les élèves se familiarisent avec des apprentissages différents de ceux reçus de leurs parents. Ils enrichissent leur bagage de connaissances, découvrent d’autres manières de travailler, des trucs et astuces qu’ils n’imaginaient même pas.

Ceci dit, la plus belle école de Wallonie ne peut donner que ce qu’elle a. Elle ne fait que suppléer à l’école de la vie, car les futurs agriculteurs apprennent avec leurs parents, chez eux et dès le berceau, la base principale de leur métier. L’amour du travail, des animaux et des champs est dans notre ADN. On naît agriculteur, et on se forme dès l’enfance, jour après jour, durant de longues années, en imitant les gestes de son papa, de sa maman, en écoutant leurs mille et un conseils transmis de génération en génération. L’école peut apporter un plus, si ses apprentissages sont bien intégrés et adaptés aux conditions particulières de chaque ferme. Est-ce bien le cas ?

L’enseignement agricole n’aurait-il pas tendance à standardiser les apprentissages, à formater les futurs fermiers pour les insérer dans le modèle agro-industriel omnipotent, dans la triade croissance-optimisation-performance ? Les adolescents sont influençables et se laissent emporter par les courants de pensées dominants. Ils veulent faire comme chez Untel, ou chez Tellautre, ces très gros agriculteurs où ils ont été aidants en stage, où comme leurs copains : Bigfarmer, dont le père a un tracteur de 250 ch et cultive 300 ha de betteraves et pommes de terre, ou Granlaitier qui trait 400 vaches avec 6 robots.

Sur les épaules des enseignants de nos chères têtes blondes pèse une lourde responsabilité : celle de former les agricultrices et agriculteurs de demain, de raviver chez eux le feu sacré et ressusciter dans leurs cœurs la fierté du beau métier de leurs aïeux. Le temps presse : la vie est tellement courte…

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