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Courrier des lecteurs : le vrai du faux, le faux du vrai

Désinformer et diviser pour régner : la tactique est aussi vieille que l’humanité ! Les « influenceurs » l’ont pratiquée de tout temps avec un art consommé : les papes et les popes, les rabbins et les imams, les brahmanes et les gourous, les pasteurs et autres prêcheurs ; les Hitler, Staline, Poutine, Trump, Xi Jinping et autres dictateurs ; les Bart, Georges-Louis, Raoul, Paul, Maxime et autres tribuns politiques. En ont-ils raconté, et racontent-ils encore des « craques » pour abuser leurs gens, et conduire le monde par le bout du nez !

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Les groupes de pression de tout acabit sont passés maîtres dans la désinformation massive. Les grands débats sont saucissonnés, puis coupés en tranches pour nous servir des morceaux choisis, pralinés de fausses vérités et de vrais mensonges. Dans les champs de l’information, les narratifs se cultivent avec soin. En doutiez-vous ? Les acteurs économiques et politiques les plus puissants façonnent les récits, orientent les choix. Ils segmentent les débats, cloisonnent les idées pour imposer leur lecture des grands défis d’aujourd’hui.

Et le bon monde écoute, béat d’admiration, foule sentimentale assoiffée d’idéal. Pendant ce temps, la planète se réchauffe, la Terre se vide de ses trésors, la nature perd sa biodiversité, la pollution gagne chaque jour du terrain. L’humanité vit des jours sombres, mais bof, ce n’est pas si grave puisque ceux qui nous influencent ne parlent pas d’une seule voix. Certains prêchent le pire et enfoncent le nez des gens dans leur (…), méthode salutaire mais culpabilisante, tandis que d’autres affirment que les mauvaises nouvelles ne sont que des « fake news », qu’ils tiennent d’une main ferme notre destin, lequel va s’améliorer… grâce à eux, pour autant qu’on les suive, sans écouter les autres !

Ainsi, autour de l’agriculture, les discours se multiplient, chacun défendant son intérêt immédiat. L’agro-industrie, les écologistes, les économistes, assènent des arguments contraires avec conviction. Les médias relaient ; les réseaux sociaux amplifient ; les opinions se polarisent. Consommateurs et producteurs sont emberlificotés entre les mailles de ces narratifs qui les ciblent précisément. Derrière les mots, se cachent des enjeux de pouvoir, bien évidemment ! Des stratégies d’influence se déploient, des chiffres sont brandis, des études sont citées pour légitimer chaque position.

Les débats sur les pesticides de ces derniers jours au Parlement wallon sont la parfaite illustration des techniques d’influence employées par les uns et les autres. Sans doute avez-vous suivi les interventions polarisées gauche-droite, Bleus contre Verts ? Un vrai match de foot, avec ses attaques, ses coups de bluff, son arbitrage mis en cause. Le débat sur les pesticides laboure les champs de la pensée, et c’est peu de le dire !

L’agro-industrie les défend, suivie par beau nombre d’agriculteurs, disciples inconditionnels de la production à tous crins. Selon les chantres de l’agroalimentaire ultralibéral, les produits phytopharmaceutiques sont indispensables pour produire en masse, afin de nourrir le monde. Ils brandissent les arguments de la sécurité alimentaire, de l’efficacité, de la rentabilité. «  Comment donner à manger à des milliards d’êtres humains sans phytopharmacie ? », se défend la voix de la production. « Impossible de travailler correctement sans ces molécules, ni de dégager un revenu minimal. Sans eux, c’est la fin de l’agriculture ; c’est la faim dans le monde. ».

Mais les médecins multiplient les alertes : « Les risques pour la santé sont avérés ; les liens avec des maladies graves ont été objectivés, surtout chez les cultivateurs ! ». Les cancérologues sont quelquefois sidérés d’entendre des fermiers malades défendre envers et contre tout l’utilisation de ces substances-là qui les ont empoisonnés à petit feu, eux et leurs proches ! Leurs certitudes les aveuglent de manière ahurissante, affirment les professionnels de la santé, lesquels rappellent le scandale de l’amiante, aux effets délétères longtemps cachés aux ouvriers d’Eternit et à la population. Expositions, résidus dans l’alimentation, dangers qui s’accumulent… Mais trop peu d’agriculteurs remettent en question l’emploi de ces substances, déplorent les médecins, alors qu’ils en sont les premières victimes. Inconscience ? Fanatisme ? Conditionnement ? Addiction à ces produits ? Crainte de voir leur routine bien rodée se déliter ? Angoisse de lâcher la proie pour l’ombre ? Peur vertigineuse de perdre la face en admettant s’être trompé durant des décennies ? Comment sevrer l’agriculture ? Les lanceurs d’alerte du monde médical ne mâchent pas leurs mots.

De leur côté, les écologistes ont tranché depuis longtemps, et de manière lapidaire : «  à proscrire absolument : poison pour le vivant ; pollution des sols, airs et eaux ; atteintes à la biodiversité ; planète en danger ; surproduction ; gaspillage ; malbouffe ici et famine ailleurs . » . Leur harangue au Parlement wallon n’a pas fait dans la dentelle, mais leur argumentation convenue, anxiogène et culpabilisante comme un sermon de curé d’autrefois, a été étouffée à coups de chiffres par les « pro-pesticides », redoutables d’efficacité lorsqu’il s’agit de mener des débats contradictoires. Entre rendement et risques, le débat se crispe ; les positions se raidissent. Chaque camp mobilise ses données, ses experts. Les convictions des uns et des autres s’affrontent et s’embrouillent, sans répondre aux véritables interrogations

Et le consommateur ? Perdu dans le brouillard des débats, lui non plus n’y voit pas très clair… Tiraillé entre choix et incertitudes, il s’interroge dans les rayons des supermarchés quand il est face aux étiquettes, confronté aux prix, interpellé par les nutri- et éco-scores. Il exige des produits sains, une nourriture abordable qui ne grèvera pas son budget déjà lourdement plombé par les frais de logement, de chauffage, de déplacement, de santé, d’éducation et de loisirs. Tout le monde n’a pas les moyens de manger bio, n’est pas ? Les consommateurs ne savent plus à quel saint se vouer, et suivent le plus sympathique, celui qui les autorise à manger à bas coût ! L’emploi des pesticides n’est à leurs yeux qu’un moindre mal, une menace de toute façon discréditée par de puissants influenceurs.

Mais au final, lors de ces débats de société, qui parle ? Qui profite ? Quels intérêts se cachent derrière les discours contradictoires des uns et des autres ? La complexité se simplifie en slogans ; les nuances se perdent dans un questionnaire à choix multiple imposé, dans des cases cochées avec désinvolture par des décideurs politiques qui ne vivent pas notre quotidien de l’intérieur. Dans la querelle des pesticides, parler d’agriculture touche à l’essentiel : la terre, l’alimentation, le vivant ! Il faut poser des choix qui engagent l’avenir, où la transparence est un chemin nécessaire, indispensable, incontournable. Face aux narratifs cloisonnés, il faut ouvrir la discussion, la libérer, la clarifier, croiser les regards.

Il serait impératif d’écouter les savoirs paysans, de les questionner pour des choix plus éclairés. Et surtout démêler le vrai du faux… Il y va de notre honneur et de notre crédibilité.

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