Permafungi : le mycélium, une piste européenne pour l’après-plastique
Permafungi, entreprise bruxelloise pionnière de l’économie circulaire, franchit une nouvelle étape avec l’ouverture,
à Forest, d’une unité de production capable de transformer des déchets organiques en emballages biodégradables. Présentée à la presse le 7 octobre dernier, cette réalisation emblématique incarne la transition industrielle et agricole à l’œuvre dans la capitale, où les savoir-faire du vivant inspirent désormais l’usine. Elle ouvre la voie à une nouvelle génération de productions urbaines conciliant innovation, durabilité et ancrage local.

Du marc de café aux biomatériaux
Une reconnaissance institutionnelle
Autour du fondateur, les représentants du monde politique et économique n’ont pas ménagé leurs éloges. Pour Barbara Trachte, secrétaire d’État bruxelloise à la Transition économique, Permafungi « n’est pas seulement une entreprise, c’est une pionnière, une pépite de l’économie bruxelloise ». Elle voit dans cette implantation un symbole : « La preuve qu’il est possible de transformer des déchets en ressources, de créer de la valeur tout en réduisant l’empreinte écologique et en générant des emplois locaux ».
La Région de Bruxelles-Capitale, qui a mis à disposition le terrain régional du Bempt, soutient activement cette industrialisation verte via ses leviers publics : citydev.brussels, Finance & Invest.brussels, Innoviris et le programme européen Life, qui avait déjà accordé 2 millions € à l’entreprise pour le développement de ses procédés.
« Accueillir Permafungi correspond pleinement à notre mission : maintenir une activité productive dans la ville et exemplaire en matière d’économie circulaire », a souligné Benjamin Cadranel, administrateur général de Citydev. Une politique qui s’inscrit dans la stratégie du «Shifting Economy», destinée à réorienter le tissu économique régional vers des activités locales, durables et à forte valeur ajoutée.
Marie-Carmen Becks, d’Innoviris, a rappelé le rôle du financement public dans le parcours de l’entreprise : « Permafungi illustre parfaitement comment l’accompagnement public peut agir comme catalyseur pour l’ancrage et la consolidation d’entreprises innovantes en région bruxelloise ». Depuis ses débuts, la start-up a bénéficié de plusieurs dispositifs de soutien à la recherche et à l’innovation circulaire.
Le pari du capital patient
Ce capital patient, plus soucieux d’impact que de rendement immédiat, illustre un tournant : celui d’un capitalisme moins spéculatif, attentif à la durabilité et à la cohérence sociale des entreprises qu’il finance. Dans un contexte européen où la réindustrialisation verte s’impose comme priorité, Permafungi apparaît comme un laboratoire grandeur nature d’un nouveau modèle économique : régénératif, inclusif et décarboné.
Un matériau pour de multiples usages
Les applications du mycélium se multiplient. Permafungi conçoit des emballages pour les secteurs des cosmétiques, du design, de la bijouterie ou des spiritueux.
Les Savonneries Bruxelloises et la marque Habeebee font partie des premiers partenaires. Quentin Berge, cofondateur de cette savonnerie artisanale établie à Watermael-Boitsfort, a expliqué la genèse de cette collaboration : « HabeeBee est né il y a près de 10 ans, sur un triple constat : des eaux usées saturées de polluants, des emballages plastiques omniprésents, et un déclin inquiétant de la biodiversité, notamment celui des abeilles. Notre mission est de changer le monde à partir de la salle de bains. Nous travaillons avec une communauté d’apiculteurs novices partout en Belgique ; ils entretiennent une ou deux ruches dans leur jardin, dans des écoles ou des entreprises, et nous fournissent cire et propolis pour fabriquer nos savons et huiles à Boisfort ».
« Quand nous avons rencontré Permafungi, le lien s’est imposé : nous partageons la même logique circulaire. Les abeilles recyclent le nectar des fleurs, les champignons digèrent les déchets du bois ; l’un et l’autre transforment des résidus en matière vivante. Nous cherchons des emballages qui soient aussi exemplaires que nos ingrédients : simples, naturels et régénératifs. Avec le mycélium, le contenant devient partie prenante du cycle : il protège le produit, puis nourrit le sol » explique encore M. Berge.
Permafungi développe pour la marque un coffret destiné à accueillir trois flacons de savon liquide, shampoing et après-shampoing. Ces prototypes, conçus en mycomatériaux, seront prochainement distribués dans des magasins bio, des hôtels et des salles de sport partenaires.
« Ce type de collaboration incarne ce que nous voulons promouvoir : des chaînes de valeur locales, cohérentes et inspirantes », a commenté Julien Jacquet. L’entreprise collabore également avec le designer Lionel Jadot, pour qui elle a produit 300 luminaires destinés à l’hôtel JAM de Gand. D’autres prototypes explorent de nouveaux domaines : panneaux isolants pour la réhabilitation d’une église à Malines, urnes funéraires compostables ou coffrets de montres et bijoux.
Permafungi avait déjà exposé une structure de 700 panneaux à la Biennale d’architecture de Venise : un signe que l’innovation mycélienne, née dans les sous-sols de Bruxelles, attire désormais l’attention du monde du design et de l’architecture durable.
Une industrie inspirée du vivant
Un marché en mutation
Sur un marché européen de l’emballage estimé à 87 milliards €, la part des biomatériaux demeure marginale. Mais la tendance s’inverse : d’ici à 2030, l’UE interdira les emballages non circulaires. Dans ce contexte, Permafungi espère atteindre 3 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici trois ans et, à terme, 0,05 % du marché européen, soit environ 28 millions d’euros.
« Croître, oui, mais sans perdre le sens. Nous voulons rester une référence, pas un géant », précise Julien Jacquet, soucieux de maintenir une production locale et maîtrisée.
Cette démarche séduit déjà au-delà de la Belgique. Plusieurs marques européennes de cosmétiques, de design et de spiritueux ont manifesté leur intérêt. En parallèle, des centres de recherche s’intéressent aux propriétés isolantes et structurelles du mycélium, ouvrant la voie à d’autres usages : mobilier, architecture, acoustique, voire construction légère.
Une lumière qui persiste
En clôturant son intervention, le fondateur a livré une métaphore devenue fil rouge de l’entreprise. « Un soir, à Tour & Taxis, j’ai vu au fond d’un couloir une petite lumière. Elle ne montrait pas tout le chemin, mais elle indiquait qu’il y avait une issue. Cette lumière ne nous a jamais quittés ».
Dix ans plus tard, elle brille à nouveau, dans l’usine de Forest où les déchets deviennent matière et les champignons, bâtisseurs. Une lumière fragile mais tenace, symbole d’une autre idée du progrès : celle d’une industrie patiente, enracinée dans le vivant, capable de concilier innovation, durabilité et beauté du geste.
Osons l’avancer, avec Permafungi, notre capitale s’impose comme l’un des laboratoires européens de la réindustrialisation verte.