Mercosur : fragilités juridiques et démocratiques de l’accord
Vingt-cinq ans après le lancement des négociations, l’accord entre l’UE et les pays du Mercosur demeure l’un des textes commerciaux les plus contestés sur la scène européenne. Le 2 octobre, à l’initiative de l’eurodéputée écologiste Saskia Bricmont, un séminaire organisé au parlement a réuni plusieurs juristes de renom afin d’analyser ses implications. Leurs interventions, croisées avec plusieurs études académiques, dessinent un tableau inquiétant : loin de consolider les ambitions climatiques et démocratiques de l’UE, l’accord pourrait bien en fragiliser les fondements.

Présenté comme « historique » par la présidente de la commission en décembre 2024 à Montevideo, le compromis politique trouvé avec les pays du Mercosur succède à un premier texte conclu en 2019 mais jamais ratifié.
Entre menaces et opportunités
Des lignes de fracture institutionnelles
Un enjeu de crédibilité pour l’Europe
Le mécanisme de rééquilibrage : innovation ou menace ?
Le climat relégué derrière le commerce
Un autre pilier du texte, censé rassurer les opinions publiques européennes, est la mention de l’accord de Paris sur le climat comme « élément essentiel » de l’accord. Mais pour les juristes, cette garantie reste avant tout symbolique.
Selon une analyse menée par Kristina Eckes, cette clause ne crée aucune obligation juridique contraignante. Être « partie à l’accord de Paris » ne signifie guère plus que ne pas s’en retirer formellement. En cas de contradiction entre les objectifs climatiques et les engagements commerciaux, rien ne garantit que le climat l’emporte. De fait, l’accord risque d’institutionnaliser un biais en faveur du statu quo, en freinant l’adoption de mesures ambitieuses nécessaires à la transition écologique.
La bataille institutionnelle autour d’un accord mixte
Si les critiques environnementales sont connues, un autre enjeu, plus discret mais tout aussi décisif, a été mis en lumière par Nicolas de Sadeleer, professeur à l’UCLouvain et spécialiste de droit européen. Depuis le mandat de 1999, l’accord UE-Mercosur était conçu comme un accord d’association « mixte », c’est-à-dire combinant des dimensions commerciales et politiques, et nécessitant par conséquent la ratification des parlements nationaux. Mais la commission privilégie aujourd’hui une interprétation fondée sur la compétence exclusive de la politique commerciale commune.
Un tel choix aurait des conséquences majeures : il permettrait d’adopter l’accord à la majorité qualifiée au Conseil, sans que les parlements nationaux n’aient leur mot à dire. « C’est le cœur du projet constitutionnel de l’UE qui est en jeu », a insisté Nicolas de Sadeleer, rappelant que l’UE ne dispose pas de compétences illimitées mais seulement de celles que lui délèguent les États membres. Réduire l’accord à un simple traité commercial, selon lui, reviendrait à contourner les souverainetés nationales et à affaiblir la légitimité démocratique du processus.
Des garanties agricoles illusoires ?
Pour tenter d’apaiser les inquiétudes des agriculteurs européens, la commission a proposé un mécanisme de sauvegarde bilatérale permettant, en théorie, de limiter les chocs d’importation. Mais pour les juristes réunis à Bruxelles, cette clause ne saurait suffire. Les précédents accords montrent que ces instruments sont rarement activés et ne compensent pas l’ampleur des effets de concurrence déloyale. Dans un contexte de mobilisation paysanne persistante, cet aspect pourrait peser lourd dans l’acceptabilité politique de l’accord, en particulier en France. Au terme de cette journée de débat, un constat s’impose : l’accord UE-Mercosur n’est pas seulement un traité commercial. Il concentre en réalité toutes les contradictions de la politique européenne : entre ambitions climatiques et réalités du libre-échange, entre volonté d’ouverture internationale et exigence démocratique, entre compétence exclusive de l’Exécutif et souveraineté des États membres.
L’Europe face à ses contradictions
« Ce texte cristallise les tensions de la politique commerciale européenne », a résumé Saskia Bricmont. Alors que l’UE se veut pionnière de la transition écologique, elle s’apprête à ratifier un accord qui pourrait, paradoxalement, limiter sa capacité à légiférer en ce sens. Au parlement, beaucoup reconnaissent que l’enjeu dépasse désormais les seuls termes du traité. Il touche à la définition même du projet européen : celui d’une UE capable d’imposer ses valeurs dans un monde fragmenté, ou celui d’un acteur économique résigné à suivre les règles du commerce global. Derrière les débats juridiques et les calculs diplomatiques, c’est une question de cohérence morale et politique qui s’impose : comment défendre une transition écologique crédible tout en liant son destin à des accords hérités d’une autre époque ? L’histoire du Mercosur pourrait bien, en définitive, devenir celle du rapport de l’Europe à elle-même.