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Pratiques commerciales déloyales : un accord européen pour rééquilibrer la filière

Après plusieurs mois de négociations, parlement, conseil et commission sont parvenus, le 12 novembre, à un accord politique sur le renforcement des règles de coopération transfrontalière contre les pratiques commerciales déloyales dans la chaîne agroalimentaire. Ce compromis, salué comme une victoire du bon sens et de la justice économique, marque une étape supplémentaire dans la protection des agriculteurs et des petits fournisseurs face aux abus des grands acteurs de la distribution.

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Réunis devant la presse, Stefano Bonaccini, le rapporteur socialiste italien du texte, Sonja Canger, ministre conseillère représentant la présidence danoise et Christophe Hansen ont exposé un texte qui se veut plus qu’un simple ajustement technique : une consolidation politique de la directive de 2019 sur les pratiques commerciales déloyales, afin d’en assurer enfin une application uniforme dans l’ensemble de l’UE.

« Le symbole de la justice économique et sociale »

« Le travail de ces derniers mois a payé », a affirmé M. Bonaccini. « Nous avons un accord sur quelque chose qui est le symbole même de la justice économique et sociale. Il faut mettre un terme aux diktats des chaînes de distribution face aux petits agriculteurs ». L’élu italien a insisté sur la portée politique du compromis : sept groupes du parlement ont rallié la proposition, transcendant les clivages partisans.

Le nouveau règlement vise à faciliter la coopération entre les autorités nationales, à mieux coordonner les enquêtes et à permettre la sanction des abus transfrontaliers. Jusqu’à présent, lorsqu’un acheteur se trouvait dans un autre État membre que le fournisseur sanctionné, les démarches devenaient complexes, voire impossibles. « Grâce à ce texte, tous les pays de l’UE auront l’obligation de collaborer, d’échanger des informations et de mener des inspections conjointes », a résumé M. Bonaccini.

L’accord repose sur trois piliers : le renforcement de la coopération entre États membres, la transparence accrue de la chaîne alimentaire, et la protection effective des producteurs au niveau transnational. « À moins d’un an de la révision prévue de la directive, nous avons souhaité rééquilibrer les rapports de force et garantir une juste rémunération des agriculteurs pour leur travail et la valeur de leurs produits », a-t-il encore déclaré.

Un texte au service d’une chaîne d’approvisionnement plus équilibrée

Pour la présidence danoise, ce règlement représente une avancée attendue : « C’est un accord politique solide, qui couvre des dispositions essentielles en matière de coopération entre autorités », a souligné Sonja Canger, saluant « un travail d’équipe exemplaire entre les institutions ». Elle a insisté sur le double objectif de sécurité juridique et de facilité de mise en œuvre : « Ce n’est pas une proposition de simplification en tant que telle, mais elle s’inscrit dans l’agenda européen visant à réduire la complexité réglementaire ».

La nouveauté majeure introduite par le texte concerne la désignation d’un point de contact au sein de l’UE pour tout opérateur établi dans un pays tiers. Cette mesure permettra aux autorités européennes d’enquêter plus efficacement sur les pratiques déloyales d’acheteurs situés hors UE. « Si une entreprise étrangère refuse de coopérer, elle sera signalée aux 27 États membres et considérée comme non coopérante », a précisé M. Bonaccini.

Les États membres conservent par ailleurs la faculté d’aller plus loin que les dispositions minimales prévues par la directive de 2019. Ils pourront, s’ils le souhaitent, étendre la liste des pratiques interdites ou adopter des mesures plus ambitieuses en matière de protection des fournisseurs.

« Une bonne semaine pour nos agriculteurs »

Pour Christophe Hansen, cet accord vient clore une semaine « particulièrement positive » pour le monde agricole. « Nous avons terminé le deuxième trilogue cette semaine, après celui sur le paquet « simplification ». Le secteur agricole attendait ces avancées depuis longtemps », a-t-il rappelé.

Le commissaire a souligné que les règles européennes en vigueur commençaient déjà à produire des effets tangibles. « Entre 2021 et 2024, plus de 4 500 enquêtes ont été ouvertes dans l’UE pour des pratiques commerciales déloyales, et certaines sont encore en cours. Les amendes prononcées atteignent près de 42 millions € », a-t-il indiqué.

Ces chiffres traduisent la montée en puissance d’une réglementation dont l’objectif est de mieux protéger les producteurs. « Environ 20 % des produits agricoles consommés dans l’UE proviennent d’un autre État membre », a rappelé M. Hansen. « Il faut donc renforcer la coopération d’un pays à l’autre pour traiter efficacement les cas transfrontaliers ».

L’accord trouvé entre le parlement et le conseil instaure un mécanisme d’entraide entre autorités nationales, leur permettant de solliciter l’appui d’un autre État membre ou de mener des enquêtes conjointes lorsqu’un abus touche plusieurs marchés européens.

« Notre lutte contre les pratiques déloyales passe désormais à la vitesse supérieure », a insisté le commissaire, tout en précisant que cette intensification n’impliquait « aucun fardeau supplémentaire pour les administrations ». Il a enfin annoncé l’envoi prochain d’un rapport d’évaluation sur la directive de 2019, première étape avant une révision plus large du cadre législatif.

Vers une protection accrue des producteurs européens

Au-delà de la technique juridique, les trois représentants ont voulu rappeler la dimension humaine de cette réforme. Derrière les sigles et les procédures, il s’agit d’offrir aux producteurs une garantie de stabilité et de respect. « L’Europe montre qu’elle sait écouter et agir rapidement », a conclu M. Bonaccini. « Elle se tient aux côtés de ceux qui ont le plus besoin de protection, pour libérer la filière agroalimentaire des abus et des chantages ».

Christophe Hansen a repris cette idée en des termes simples : « Il est essentiel que nos agriculteurs soient enfin récompensés comme il se doit pour le dur travail qu’ils accomplissent pour nourrir l’Europe ».

Ce texte, sans révolutionner la directive existante, renforce son effectivité et préfigure la révision prévue pour 2026. En attendant, il trace la voie d’une Europe agricole plus juste, plus transparente et plus solidaire, où la coopération entre États devient l’arme première contre les abus de la mondialisation au sein même du marché unique.

Marie-France Vienne

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