Jeunes agriculteurs :la commission veut enrayer le vieillissement du monde rural
Attendue depuis plusieurs semaines, la stratégie européenne pour le renouvellement des générations en agriculture a été dévoilée le 21 octobre par le commissaire Hansen. Face à un secteur où seuls 12 % des exploitants ont moins de 40 ans et où l’âge moyen dépasse 57 ans, l’Exécutif se fixe pour objectif de doubler la part des jeunes agriculteurs d’ici à 2040, sans pour autant débloquer de nouveaux financements.
« L’agriculture, c’est une vocation, une passion, pas un simple emploi », a affirmé M. Hansen devant la presse. « Sans les agriculteurs, les citoyens ne pourraient pas satisfaire leur besoin le plus élémentaire : se nourrir ». Derrière la formule, un constat alarmant : les revenus faibles, la difficulté d’accès à la terre, les charges administratives et la solitude du métier continuent de décourager les vocations.
Une stratégie sans budget nouveau mais à trois niveaux d’action
Présenté comme une feuille de route pour les années à venir, le texte se déploie sur trois niveaux d’action : la Pac, les autres politiques européennes et le niveau national. L’idée est moins de créer de nouveaux instruments que de mieux articuler les dispositifs existants pour renforcer l’attractivité du secteur.
La commission met l’accent sur cinq axes prioritaires : le financement, le foncier, la formation, les conditions de vie en zones rurales et la transmission des exploitations. « Les jeunes agriculteurs font face à des problèmes spécifiques qui nécessitent des solutions spécifiques », a souligné M. Hansen, appelant à une mobilisation conjointe de tous les niveaux de gouvernance.
La Pac comme moteur central
La commission veut faire de la Pac post-2027 le levier principal du renouvellement générationnel. Elle recommande de doubler la part des paiements directs dédiés aux jeunes agriculteurs, actuellement fixée à 3 %, pour atteindre 6 %. Ce taux, à ce stade indicatif, pourrait être relevé par les États membres dans leurs futurs plans stratégiques.
Autre mesure phare : la mise en place d’un « starter pack » destiné à soutenir l’installation des nouveaux exploitants. Ce dispositif prévoit des aides pouvant atteindre 300.000 €, un taux de soutien à l’investissement porté à 85 %, et un accès facilité au crédit grâce à la coopération avec la Banque européenne d’investissement. L’accompagnement à la formation et au conseil sera, lui aussi, cofinancé par la Pac.
Chaque État membre devra par ailleurs adopter une stratégie nationale de renouvellement générationnel, fixer des objectifs précis et soumettre des rapports réguliers à la commission sur les progrès accomplis.
Un maillage d’initiatives pour soutenir la relève
La commission compte également s’appuyer sur d’autres instruments européens. L’exécutif veut notamment mobiliser les recommandations du semestre européen pour encourager les réformes structurelles et les politiques sociales favorables à l’installation. Il prévoit aussi la création, dès 2026, d’un observatoire européen des sols, chargé de surveiller l’évolution du foncier et de prévenir la spéculation, et la simplification des règles de transmission précoce des exploitations.
L’accès à la connaissance est également mis en avant : les agriculteurs pourront désormais bénéficier du programme Erasmus pour jeunes entrepreneurs, afin de se former auprès d’autres exploitations européennes. La commission souhaite enfin financer des services de remplacement dans les fermes, destinés à soulager les exploitants en cas de maladie ou de congé familial, et confirme sa volonté de supprimer d’ici à 2032 les paiements directs versés aux agriculteurs retraités, pour encourager le renouvellement effectif des générations.
Les jeunes agriculteurs saluent le signal mais dénoncent un manque de moyens
La publication de cette stratégie était très attendue par les organisations professionnelles. Le conseil européen des jeunes agriculteurs (Ceja), qui représente près de deux millions d’exploitants, salue « un signal politique fort » mais déplore un plan sans budget nouveau. « Le renouvellement générationnel nécessite des ressources en plus d’un soutien politique fort », rappelle son président, Peter Meedendorp. « Des objectifs ambitieux sans engagements contraignants ne sont pas une stratégie, c’est un pari risqué ». Le Ceja souligne que la suppression du plancher de 3 % des aides directes actuellement réservées aux jeunes constitue « un recul historique », risquant d’accroître les disparités entre États membres.
Ce constat est partagé par plusieurs organisations agricoles et coopératives, qui estiment qu’« aucun jeune ne choisira ou ne restera dans le secteur agricole s’il ne peut espérer un revenu équitable, comparable à celui d’autres secteurs de l’économie ».
Des attentes fortes au parlement
Au parlement, la stratégie a reçu un accueil mesuré. L’eurodéputée libérale flamande Hilde Vautmans s’est dite « satisfaite de voir le commissaire venir enfin avec un plan plus que nécessaire ».
« La question que les agriculteurs me posent le plus souvent, c’est : osons-nous encore laisser nos enfants reprendre la ferme ? Est-ce encore viable ? Pourront-ils en vivre ? », a-t-elle déclaré alors que la session plénière battait son plein à Strasbourg. Elle appelle à « redonner des perspectives d’avenir aux jeunes agriculteurs », ce qui suppose, selon elle, moins de contraintes administratives, de meilleurs prix et des conditions réelles de transmission.
La députée plaide aussi pour que les politiques nationales de retraite et de succession soient mieux coordonnées avec les ambitions européennes. « Sans jeunes agriculteurs, il n’y a pas d’avenir pour notre sécurité alimentaire », a-t-elle insisté. « Nous devons tout mettre en œuvre pour leur redonner confiance et perspective ».
Entre ambition politique et réalité économique
Au-delà des incitations et des annonces, la stratégie de la commission illustre un tournant politique : celui d’une Europe consciente du risque de délitement de son tissu agricole. Mais sans moyens additionnels, la portée du plan demeure incertaine.
Pour M. Hansen, le message se veut avant tout mobilisateur : « Nous voulons soutenir les jeunes, c’est une priorité politique pour la sécurité alimentaire et le développement rural». Reste à savoir si cet élan politique trouvera un ancrage budgétaire suffisant pour devenir une réalité tangible. Entre ambition affichée et contraintes économiques, le renouvellement générationnel s’impose désormais comme le test de crédibilité de la Pac, et peut-être, plus largement, comme l’une des clefs de l’avenir rural européen.
Marie-France Vienne