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Volaille : un texte technique qui vire à la bataille politique

Présentée comme une simple mise à jour technique, la révision des normes de commercialisation de la viande de volaille s’est transformée en affrontement politique. Le débat sur la teneur maximale en eau révèle une tension plus large : comment l’UE peut-elle adapter un cadre réglementaire ancien à une filière avicole qui a profondément changé ?

Temps de lecture : 5 min

À première vue, la commission ne faisait que moderniser un règlement technique, vieux de plus de 30 ans. Mais lors de la réunion de la commission de l’Agriculture du parlement du 20 novembre dernier, la présentation de ce texte a rapidement viré à la contestation politique. Le ton est monté lorsque les élus ont abordé ce qui est devenu le symbole de l’obsolescence du cadre réglementaire : la teneur maximale en eau des viandes de volaille.

Un règlement ancien qui résiste mal aux réalités de l’élevage moderne

Les députés ont rappelé que ce seuil, conçu dans les années 1990, ne correspond plus aux caractéristiques des volailles actuelles, dont la physiologie a été profondément transformée par la sélection génétique. « Ces normes sont complètement dépassées », a lancé une élue, résumant la position d’une large partie de la commission. Selon les données évoquées au parlement, une proportion significative des poitrines et des cuisses commercialisées aujourd’hui dépasse la valeur réglementaire sans qu’aucune eau ne soit ajoutée artificiellement

Le Roumain Daniel Buda, particulièrement offensif, a accusé l’exécutif européen de « freiner la recherche génétique » et de « punir les producteurs de l’UE pour leurs innovations », en rappelant « la grande différence qu’il y a entre l’eau qui peut être ajoutée dans le poulet et l’eau naturellement présente » dans un muscle développé selon les standards actuels.

La commission campe sur sa ligne : protéger le consommateur avant tout

Face aux critiques, la commission s’est arc-boutée sur un argument unique : la lisibilité pour le consommateur. Pour Brigitte Missonne, cheffe d’unité à la DG Agri, peu importe l’origine physiologique ou technique de l’eau, « le consommateur ne fait pas la différence entre l’eau ajoutée artificiellement et celle qui relève des caractéristiques physiologiques des volailles d’élevage »

L’exécutif craint qu’un relèvement du seuil n’encourage des modèles d’élevage plus intensifs, permettant d’obtenir une viande plus chargée en eau mais moins coûteuse, au détriment de systèmes plus lents et plus extensifs. Une viande contenant davantage d’eau serait, selon Bruxelles, typique d’une production plus rapide et plus économique. Relever la limite reviendrait alors à « conduire à une course vers le bas », au désavantage des filières de qualité. Cet argumentaire n’a pas convaincu les députés, qui voient dans cette position une méconnaissance des réalités scientifiques et de l’évolution du secteur.

« Comment expliquer à nos agriculteurs qu’on les a poussés à innover et qu’on les sanctionne aujourd’hui pour avoir répondu aux attentes européennes ? », a dénoncé une élue du PPE.

Un étiquetage qui attise encore les tensions

Le dispositif prévu par la commission ajoute un point sensible : une volaille dépassant la limite fixée peut être commercialisée, mais doit porter l’indication selon laquelle « la teneur en eau dépasse les normes européennes »

Pour l’exécutif, il s’agit d’une simple obligation d’information. Pour les parlementaires, une telle mention revient à afficher une forme de disqualification commerciale. Et pour les producteurs, c’est une stigmatisation, d’autant plus paradoxale que l’écart provient désormais souvent de caractéristiques physiologiques naturelles. Le président de séance a lui-même reproché à la commission de « freiner la recherche génétique du futur », en refusant de distinguer clairement entre fraude et évolution biologique. Le débat autour de cette étiquette résume ainsi toute la difficulté de concilier transparence pour le consommateur et reconnaissance des avancées de l’élevage moderne.

Une controverse révélatrice de tensions plus profondes au sein de la Pac

Au-delà de la teneur en eau, la controverse met en lumière un malaise plus profond. D’un côté, une commission attachée à la continuité réglementaire, soucieuse de préserver une forme de lisibilité pour le grand public, de l’autre, un parlement qui réclame un aggiornamento capable d’anticiper les réalités scientifiques et économiques d’une filière en pleine transformation. La divergence n’est pas nouvelle, mais elle apparaît ici avec une netteté particulière, tant les évolutions de la volaille, devenues emblématiques des progrès génétiques européens, rendent criantes les limites d’un cadre pensé à la fin du siècle dernier.

Cette tension révèle aussi le tournant délicat que traverse aujourd’hui la Pac. Alors que l’UE demande à ses éleveurs d’adopter des pratiques plus durables, de réduire leur impact environnemental et de s’adapter à des attentes sociétales mouvantes, elle peine à ajuster les normes qui encadrent leurs productions. Beaucoup d’élus craignent qu’à force de décalage entre réglementation et terrain, l’UE n’entretienne une forme de dissonance qui fragilise la confiance des filières. La période de contrôle court jusqu’au 6 février, mais le débat, lui, dépasse largement ce calendrier : il interroge la capacité de l’Union à concevoir une régulation capable de suivre le rythme d’un secteur qui évolue vite, tout en protégeant la confiance du consommateur et l’avenir économique des exploitations. En filigrane, c’est la crédibilité de la Pac elle-même qui, une nouvelle fois, se joue. Si l’Europe veut conserver une agriculture compétitive, innovante et durable, elle devra trouver un équilibre plus stable entre ses ambitions normatives et la dynamique réelle des filières.

La bataille autour de la volaille n’en sera peut-être qu’un épisode, mais elle illustre la complexité croissante d’un exercice : réguler sans figer, protéger sans freiner, moderniser sans déstabiliser.

Marie-France Vienne

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