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Pac : les institutions agricoles cherchent leur place

Les critiques se multiplient contre les propositions de réforme de la Pac, principalement du fait de son budget raboté et d’un risque de renationalisation. Mais une autre menace pèse sur cette politique : une perte d’influence des organes de décision agricoles, en premier lieu le conseil des ministres de l’Agriculture et la DG agriculture de la Commission européenne du fait de l’éparpillement des dispositions agricoles dans différents règlements (notamment les plans de partenariats nationaux et régionaux).

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Un mouvement en ce sens était en cours depuis des années, mais cette fois le virage semble bien plus important. Ce tableau doit toutefois être nuancé. Les discussions ne font que commencer.

Et au Parlement européen, la commission de l’Agriculture reprend au contraire un peu de poids vis-à-vis de celle de l’Environnement qui lui avait pris beaucoup de compétences sous la précédente mandature. 

La colère du Copa-Cogeca

Trois mois après la présentation du cadre financier pluriannuel – incluant réforme de la Pac –, la commission européenne n’a toujours pas réussi à convaincre du bien-fondé de sa proposition. Les organisations et coopératives agricoles de l’UE (Copa-Cogeca) ne décolèrent pas. Elles organisaient le 21 octobre devant le Parlement européen à Strasbourg une manifestation pour redire leur opposition aux propositions de budget pour la future Pac. « La Commission européenne a franchi trop de lignes rouges », sa proposition est « inacceptable », ont-elles déploré pointant la réduction de 20 % des fonds de la Pac, la fusion des deux piliers et la suppression de la structure commune de la Pac.

Mais c’est aussi la perte d’influence des instances agricoles européennes qui les inquiètent. Les décisions sur les questions agricoles échappent peu à peu aux instances qui traditionnellement avaient la main dessus à Bruxelles : le Conseil des ministres de l’Agriculture et son groupe d’experts le CSA (comité spécial Agriculture), la commission de l’Agriculture du Parlement européen (Comagri) la direction générale de l’Agriculture de la Commission européenne (DG Agri) et les associations professionnelles agricoles.

Des prémices

La tendance n’est toutefois pas totalement nouvelle. Depuis des années, les autres directions générales – tout particulièrement celle de l’Environnement – lorgnent les 30 % du budget de l’UE dédiés à l’agriculture. Et déjà sous la précédente mandature, la DG Agri avait vu ses compétences concernant les aides d’État agricoles être transférées à la DG concurrence.

Avec comme point d’orgue, la présence du vice-président de la Commission en charge du Green deal, Frans Timmermans (qui était hiérarchiquement le supérieur direct du commissaire à l’Agriculture de l’époque, Janusz Wojciechowski), lors des trilogues sur la réforme de la Pac, menaçant de retirer tout bonnement la proposition si les colégislateurs ne se mettaient pas d’accord sur des dispositions qui lui convenaient. Et les textes découlant du pacte vert européen, comme la loi sur la restauration de la nature ou règlement sur l’utilisation durable des pesticides (finalement abandonné), étaient déjà discutés dans d’autres instances, notamment le comité des ambassadeurs de l’UE (Coreper). 

Remise en cause du CSA

Plus récemment, depuis 2024, les institutions ont multiplié les procédures d’urgence pour traiter des propositions de simplification de la législation (notamment de la Pac), réduisant comme peau de chagrin le rôle des instances agricoles chargées de les examiner – la Comagri pour le Parlement européen et le CSA (comité spécial agriculture) au Conseil de l’UE.

Au Conseil, l’ensemble des discussions sur les règlements omnibus (dont celui concernant la simplification de la Pac) ont été menées par le Conseil Affaires générales (et son groupe de travail dédié à la simplification, Antici) malgré les protestations des ministres de l’Agriculture qui ont insisté sur le besoin de respecter « le rôle essentiel du CSA dans la préparation des questions relatives à la Pac ». Lorsque le Danemark a pris la présidence du Conseil de l’UE, il aurait même, selon certaines sources, demandé aux représentants du CSA de quitter la salle des discussions sur le paquet de simplification omnibus.

L’existence du CSA est régulièrement remise en cause depuis quelques années. En 2023, les ministres de l’Agriculture avaient dû plaider pour le maintien de ses compétences, obtenant finalement gain de cause.

Un espoir, et puis non

Pourtant, suite à la crise liée à la pandémie de Covid, aux manifestations agricoles de l’hiver 2024, et avec le virage à droite observé au Parlement européen suite aux élections de juin 2024, la question de la sécurité alimentaire a repris le pas sur celle de la protection de l’environnement. Et avec la désignation d’un membre du PPE – première force politique du Parlement européen, autoproclamée parti des agriculteurs – en la personne de Christophe Hansen comme commissaire européen à l’Agriculture, tout portait à croire que ce recentrage allait perdurer.

La proposition de cadre financier pluriannuel préparée dans le plus grand des secrets par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, et présentée le même jour que le projet de réforme de la Pac a complètement remis en cause cette situation. Les interventions au titre de la Pac, le taux de co-financement, la part de paiements couplés, l’aide au revenu dégressive, la conditionnalité environnementale, ont été intégrés au projet de règlement sur les plans de partenariat nationaux et régionaux (c’est-à-dire le fond unique fusionnant notamment la Pac et les fonds de cohésion).

Crainte de perte de pouvoirs

De plus, le règlement horizontal de l’actuelle Pac (qui régit les sanctions et contrôles notamment) est, lui, fondu dans le nouveau cadre de performance commun à l’ensemble du budget européen. Ce cadre unique permettra d’évaluer, sur la base d’indicateurs simplifiés, la contribution des interventions de la Pac notamment.

Dès la présentation de la proposition, un certain nombre de ministres de l’Agriculture de l’UE s’en sont émus. Les ministres français, espagnol, italien ou slovaque ont, lors de la réunion du Conseil Agriculture en septembre, protesté contre leur perte de pouvoir. « Toutes les dispositions liées à la Pac doivent être discutées au sein du Conseil Agriculture », a prévenu la Française Annie Genevard. Au Parlement européen aussi des critiques en ce sens se sont élevées.

Les acteurs traditionnels de la Pac exclus

Une bonne part des interventions de la Pac « ne sera pas négociée par les acteurs traditionnels de la politique agricole », constate le think tank Iddri dans un décryptage (Cadre financier européen 2028-2034 : les enjeux clés pour le secteur agricole) publié le 30 septembre. En effet, le règlement sur le Fonds unique sera débattu par le Conseil des affaires générales, et en amont par un sous-groupe de travail dédié composé de conseillers nationaux sous le format « 1 + 2 » c’est-à-dire par un conseiller permanent accompagné de deux experts thématiques choisis par les États membres en fonction de leurs priorités politiques.

Pour l’Iddri, cette « perte de centralité des organes décisionnels propres au monde agricole – Conseil Agriculture, CSA, ou Comagri – pourrait in fine réduire la capacité d’influence des syndicats agricoles majoritaires, proches de ces instances ». Le Copa-Cogeca estime d’ailleurs avoir été écarté des discussions préparatoires, regrettant l’absence d’une véritable consultation publique. De plus, note l’Iddri, la proposition de règlement sur le Fonds unique élargit aussi le type d’acteurs inclus dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des futurs plans de partenariat au sein des États membres eux-mêmes. Les ministères en charge de l’Économie et du Budget pourraient « s’investir davantage dans l’élaboration des plans nationaux sur la Pac en raison de l’accroissement des mesures devant être co-financées ».

Technocratisation des politiques

Un autre think tank, Farm Europe, identifie un problème supplémentaire : le projet de Bruxelles « technocratise les politiques en les transformant en programmes gérés de manière opaque entre les administrations nationales et la Commission européenne, marginalisant ainsi les dirigeants politiques, y compris le Parlement européen ».

Là encore, une perte d’influence pour les décideurs agricoles au profit des ministères des Finances qui « ne laissent aux politiciens que les éléments secondaires de ces programmes, une fois que tous les axes et options politiques auront été fixés dans le cadre de négociations fermées ». L’eurodéputé vert allemand, Martin Hausling, dénonce un «  déficit démocratique  » . De plus, Farm Europe s’interroge sur la pertinence des recommandations que la Commission européenne adressera aux États membres pour leurs plans stratégiques de la Pac « d’autant plus qu’elle prévoit de réduire encore le niveau d’expertise au sein de ses services agricoles par des coupes drastiques dans les effectifs ». Avec le risque de ne devenir qu’une chambre d’enregistrement des 27 plans nationaux.

 

Strasbourg fait de la résistance

Mais au Parlement européen, la Comagri parvient pour l’instant à résister. Par rapport à la précédente mandature, elle semble même reprendre peu à peu du pouvoir vis-à-vis de la commission de l’Environnement, constate un observateur avisé au Parlement européen.

Dans le cadre de la difficile répartition des compétences entre les commissions sur le cadre financier pluriannuel 2028-2034, elle a obtenu une compétence partagée sur le dossier des Plans de partenariats nationaux et régionaux avec les commissions des Budgets, des Régions. Une situation inimaginable il y a encore quelques années lorsque la Comenvi s’était vue octroyer certaines compétences exclusives sur la Pac. La décision du Parlement a été actée lors d’un vote en conférence des présidents des groupes politiques, le 22 octobre.

La commission sous pression campe sur ses positions

La commission de l’Industrie, de la recherche et de l’énergie (Itre) sera la seule responsable pour le Fonds pour la compétitivité, mais là encore la Comagri sera associée aux débats pour avis. Même chose pour ce qui est du cadre de performance.

Globalement, et malgré cet accord sur la répartition des dossiers, la nouvelle structure du cadre financier pluriannuel fait toujours débat dans l’hémicycle, qui pourrait rejeter son pilier 1 consacré aux Plans nationaux et régionaux. Une résolution du Parlement devrait être soumise au vote lors d’une des deux sessions plénières de novembre.

Il se dit que la Commission européenne, sous pression, pourrait redécouper sa proposition. Dans un communiqué du 16 octobre, elle a pourtant écarté l’idée estimant que le texte sur la table va permettre de « répondre efficacement aux nouveaux défis de l’UE ». Elle se dit toutefois ouverte à « des échanges constructifs avec le Parlement européen et le Conseil afin d’écouter et de débattre de leurs points de vue ». Peut-être une planche de salut pour l’agriculture.

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