Accueil Politique

Jeunes agriculteurs : l’ambition européenne fissurée par la réalité

Face à l’effondrement du nombre d’installations et au vieillissement accéléré du secteur, l’UE affirme vouloir faire de la relève agricole une priorité stratégique. Mais une audition organisée début décembre au parlement européen a révélé un fossé grandissant entre les ambitions affichées et les moyens réellement mobilisés. Au cœur des débats, l’avenir de la Pac, la spéculation foncière, la concurrence internationale et la capacité de l’Europe à offrir un horizon crédible à ceux qui souhaitent encore devenir agriculteurs.

Temps de lecture : 6 min

L’audition organisée au parlement sur l’avenir des jeunes agriculteurs n’a pas tant éclairé la stratégie publiée par la commission qu’elle n’en a révélé les lignes de fragilité. L’UE affirme vouloir « doubler la proportion de jeunes agriculteurs d’ici 2040 », mais les instruments censés y contribuer peinent à s’inscrire dans une vision cohérente. Le débat a ainsi mis en évidence un système où les ambitions politiques butent sur un environnement économique et réglementaire qui se dégrade, au point d’éloigner ceux que l’Europe prétend attirer.

Serena Tarangioli, spécialiste des politiques de la Pac au Crea italien, a rappelé que l’UE dispose désormais, en théorie, d’un cadre stratégique articulé : soutien à l’installation, renforcement des compétences, revitalisation des zones rurales. Mais elle a aussi noté, d’une voix mesurée, que ces orientations restent largement conditionnées à des arbitrages budgétaires incertains et à des choix nationaux hétérogènes. Elle a évoqué la difficulté croissante d’accéder au foncier, devenu un « marché où les jeunes partent perdants », et la persistance d’un déficit de reconnaissance du métier, facteur non négligeable dans l’attractivité du secteur.

L’intervention donnait à voir une contradiction essentielle : l’UE veut encourager la relève sans interroger en profondeur les mécanismes économiques qui, depuis des années, organisent l’exclusion progressive des jeunes.

Une génération qui refuse d’être cantonnée au registre des intentions

Peter Meedendorp, président du Ceja, a confirmé ce décalage. Le Néerlandais a décrit l’expérience commune d’une génération confrontée à un mur : des investissements lourds, une volatilité des marchés devenue structurelle, et une Pac dont les évolutions réglementaires rendent impossible toute projection sereine.

Il a regretté une stratégie européenne qui, selon lui, ne s’accompagne d’aucun signal budgétaire clair. L’absence d’une enveloppe dédiée dans la future Pac lui semble symptomatique. Cette carence n’est pas seulement financière : elle traduit, à ses yeux, une hésitation politique. Il a également insisté sur le fait que la simplification administrative ne saurait constituer une réponse suffisante si le cadre réglementaire global reste imprévisible. « On nous demande de nous projeter sur 20 ou 30 ans », a-t-il souligné, « alors que les règles changent souvent plus vite que les marchés eux-mêmes ».

Par touches successives, M. Meedendorp a dessiné le portrait d’une jeunesse agricole qui n’attend plus seulement d’être soutenue, mais d’être considérée comme un acteur politique à part entière, capable de contribuer à la définition d’une orientation durable pour l’agriculture européenne.

La bio, indicateur d’une dynamique que l’Europe n’utilise pas pleinement

L’intervention d’Anne Picot, de la Fnab et du réseau des jeunes bio européens, a introduit un élément souvent absent des discours institutionnels : le bio attire les jeunes. Les chiffres qu’elle avance, une proportion de jeunes deux fois plus élevée que dans le conventionnel, suggèrent que ce segment pourrait jouer un rôle stratégique dans la relève.

Mais son analyse fait apparaître une fragilité persistante. Les aides à la conversion et au maintien sont instables, les transmissions s’accompagnent parfois de déconversions faute de repreneurs formés, et les politiques nationales manquent d’homogénéité. Elle a souligné qu’une ferme bio qui retourne au conventionnel représente aussi une perte d’investissement public, signe que la transition écologique ne peut réussir sans politique structurelle.

Le parlement plus inquiet que divisé

Les interventions des députés ont reflété un climat politique où la préoccupation dépasse les clivages partisans. Plusieurs d’entre eux ont repris des constats entendus depuis des années, inflation du foncier, multiplication des normes, pressions commerciales, mais leur tonalité a changé. La question n’est plus seulement de corriger des dysfonctionnements, mais de déterminer si la Pac reste en mesure d’assurer la continuité du modèle agricole européen. Certains élus se sont montrés plus directs, estimant que la commission contribue, par ses réorientations successives et par l’absence de priorisation budgétaire, à rendre l’installation plus difficile.

D’autres ont insisté sur les effets psychologiques d’un contexte devenu imprévisible, citant des études nationales faisant état d’un moral en forte baisse chez les jeunes. Cette convergence de diagnostics suggère un parlement conscient de l’ampleur du problème, mais incertain de la marge de manœuvre dont il dispose face à des États membres qui, eux-mêmes, peinent à s’accorder sur l’avenir de la Pac. 

Le financement, révélateur d’une tension structurelle

En présentant les outils de la Banque européenne d’investissement (Bei), Pia Nieminen a rappelé que la question du financement demeure un angle mort. Le déficit de financement agricole, estimé à 62 milliards €, expose les jeunes de manière disproportionnée. Les banques, jugeant leurs projets trop risqués, refusent souvent de les accompagner. La Bei propose des mécanismes de garantie, des prêts spécifiques, des soutiens à l’investissement foncier. Mais l’efficacité de ces instruments dépend, là encore, d’un environnement politique stabilisé. Sans prévisibilité, les banques resteront prudentes et les jeunes, exposés. Les interventions de Matteo Metta, d’Agroecology Europe, et de Patrick Brady, spécialiste irlandais du foncier, ont élargi la perspective. L’un a plaidé pour une approche territoriale de la relève (logement rural, infrastructures, régulation foncière) l’autre a rappelé que la survie d’une exploitation se joue souvent dans la qualité de la transmission. L’ensemble dessinait l’idée que le renouvellement ne peut être pensé uniquement à travers les aides : il suppose une politique agricole conçue comme un ensemble cohérent.

Un choix politique que l’Europe ne peut plus différer

Ce qui ressort de l’audition, plus que des prises de position individuelles, c’est l’impression d’un système arrivé à un point de tension. L’Europe se trouve devant une alternative : soit elle clarifie sa vision agricole et lui donne les moyens de s’exprimer, soit elle laisse se poursuivre un mouvement de concentration, de décapitalisation des campagnes et de découragement d’une génération pourtant prête à s’engager. La relève agricole ne se décrète pas. Elle repose sur une articulation claire entre rémunération, stabilité réglementaire, accès au foncier, capacité d’investissement et reconnaissance sociale du métier. Elle exige, surtout, que l’UE assume ses contradictions et choisisse ce qu’elle veut préserver.

Marie-France Vienne

A lire aussi en Politique

Vers une dynamique fédérale de reconnaissance et de soutien pour les vétérinaires

Elevage La concertation fédérale réunissant les ministres Frank Vandenbroucke (Santé publique) et David Clarinval (Agriculture) a permis de concrétiser des engagements budgétaires et institutionnels en faveur des vétérinaires. Selon l’Union professionnelle vétérinaire (Upv), il s’agit d’un tournant important dans la relation entre les autorités et la profession, répondant aux besoins exprimés de longue date par les praticiens de terrain.
Voir plus d'articles