Accueil Politique

Des terres plus chères, des fermes plus vulnérables

Présentés le 16 décembre dernier à Namur, les chiffres du rapport 2025 de l’Observatoire du foncier agricole wallon confirment une dynamique en apparence paradoxale : si la terre agricole reste majoritairement entre les mains de non-agriculteurs, ce sont bien les exploitants qui rachètent aujourd’hui l’essentiel des surfaces mises sur le marché. Mais à quel prix, et avec quelles conséquences pour l’avenir du modèle agricole wallon ?

Temps de lecture : 5 min

Déroulé par Marc Thirion, directeur de la Direction de l’aménagement foncier rural (DAFoR), ce huitième rapport de l’Observatoire propose une lecture objectivée d’un marché souvent abordé à travers des ressentis ou des inquiétudes diffuses. Année après année, l’outil affine son analyse d’un foncier devenu un enjeu central, à la croisée des débats agricoles, économiques et sociétaux, tant par sa valeur patrimoniale que par son rôle structurant dans l’avenir des exploitations.

Près de 850.000 ha sous observation

En Wallonie, les biens immobiliers agricoles représentent près de 850.000 ha, soit l’essentiel de la surface régionale utile à l’agriculture. Ils englobent à la fois les terres situées en zone agricole au plan de secteur et les surfaces effectivement exploitées et déclarées dans le cadre de la Politique agricole commune.

Derrière cette étendue, un chiffre frappe par son ampleur : 357.422 propriétaires détiennent aujourd’hui un droit de propriété sur ces terres. Parmi eux, seuls 5 % sont des agriculteurs. Les 95 % restants sont des non-agriculteurs, majoritairement des personnes physiques, auxquels s’ajoutent des propriétaires publics, communes, CPAS, fabriques d’église, dont la présence foncière demeure, dans certains territoires, structurante. Pourtant, lorsqu’on raisonne en surface plutôt qu’en nombre de propriétaires, la photographie se nuance. Les agriculteurs possèdent 42 % du foncier agricole non bâti et 46 % des terres effectivement cultivées. « Le foncier reste l’outil de production par excellence de l’agriculture », rappelle Marc Thirion. « Il est donc logique que les exploitants cherchent à sécuriser leur accès à la terre, en particulier celle qu’ils travaillent ».

Un marché peu mobile, mais aux effets profonds

Chaque année, à peine 1 % du foncier agricole change de mains. En 2024, cela représente environ 10.000 ha, dont 7.800 ha par des ventes, le solde résultant de donations. Un marché quantitativement restreint, mais dont les effets structurels dépassent largement le volume apparent des transactions. L’analyse des flux est sans ambiguïté : 70 % des terres mises en vente proviennent de non-agriculteurs, tandis que 67 % des surfaces vendues sont acquises par des agriculteurs. « Ce sont clairement les non-agriculteurs qui se défont du foncier, et les agriculteurs qui le récupèrent », résume M. Thirion. Une dynamique qui, à rebours de certaines craintes, ne traduit pas une marginalisation immédiate du monde agricole.

Car la terre achetée par des non-agriculteurs ne quitte que marginalement le champ de l’agriculture. Près de 85 % des surfaces concernées continuent à être exploitées par des agriculteurs l’année suivante, le plus souvent via des mécanismes de location. Mais la nature exacte de ces contrats, bail à ferme, conventions précaires, accords informels, demeure largement hors du champ statistique, laissant planer une incertitude sur la stabilité réelle de l’accès à la terre.

Autre enseignement marquant : le rôle central joué par les jeunes agriculteurs. Les exploitations comptant au moins un agriculteur de moins de 41 ans concentrent près de 75 % des surfaces acquises par les agriculteurs. Elles se distinguent également par leur capacité, ou leur nécessité, à accepter des prix plus élevés : en moyenne, 7 % de plus par hectare que les exploitations sans jeune. Cette dynamique traduit une volonté forte d’installation et de projection dans le métier. Elle révèle aussi une contrainte structurelle. « Sans accès au foncier, il n’y a tout simplement pas d’installation possible », rappelle Marc Thirion. Mais l’accès à la terre se fait désormais au prix d’un endettement lourd, qui pèse durablement sur les trajectoires professionnelles et sur la capacité des exploitations à investir ailleurs que dans le foncier.

Une hausse continue des prix

Le prix de la terre poursuit en effet sa progression. En 2024, le prix moyen d’un hectare agricole atteint 41.128 €, contre environ 27.000 € en 2017. En huit ans, la hausse est de 51 %. Même corrigée de l’inflation, la tendance demeure marquée, avec une augmentation de 2,7 % par an en valeur réelle. Les écarts entre catégories d’acheteurs sont significatifs. Les agriculteurs achètent plus cher que les non-agriculteurs, et les personnes morales agricoles acquièrent les terres à des niveaux sensiblement supérieurs à ceux des exploitants en personne physique. Les propriétaires publics, quant à eux, restent des acteurs marginaux, intervenant peu et à des niveaux de prix inférieurs au marché.

À l’échelle régionale, la valeur théorique de l’ensemble du foncier agricole non bâti atteint désormais près de 30 milliards €. Un chiffre qui donne la mesure de l’enjeu économique, mais aussi du poids croissant du capital foncier dans l’équilibre financier des exploitations.

Transmission, bail et fragilisation du modèle familial

Pour Renaud Grégoire, notaire et observateur quotidien de ces réalités, les chiffres de l’Observatoire viennent confirmer des tensions déjà perceptibles sur le terrain. « Nous sommes face à une extrême diversité de situations. Il n’existe pas un modèle unique d’exploitation, mais une multitude de trajectoires, avec des arbitrages familiaux souvent complexes ». La question de la transmission apparaît comme l’un des nœuds du système. En début de carrière, l’agriculteur cherche à devenir propriétaire de ce qu’il exploite. En fin de parcours, en l’absence de repreneur, il se retrouve détenteur de terres dont il doit décider l’avenir : les remettre à bail, les vendre, ou tenter d’en conserver la maîtrise hors du cadre du bail à ferme.

Dans ce contexte, le recul de la location inquiète. «Le bail à ferme apporte une stabilité et une visibilité indispensables à l’investissement agricole », insiste le notaire. « Lorsqu’il est contourné par des formes plus précaires, c’est la sécurité de l’exploitant et la transmission même des fermes qui s’en trouvent fragilisées ». À terme, cette évolution pèse sur le modèle agricole familial, caractéristique de la Wallonie. L’argent mobilisé pour l’achat de terres n’est plus disponible pour la diversification, l’innovation ou l’adaptation des exploitations. « Un agriculteur qui s’endette sur deux générations pour acheter sa terre compromet aussi la reprise future de son exploitation », observe M. Grégoire.

Ni spéculation massive, ni effondrement du marché : le rapport de l’Observatoire dessine l’image d’un système sous tension, dans lequel les agriculteurs récupèrent progressivement la terre, mais au prix d’un effort financier croissant et d’une rigidification des structures. « L’objectif de l’Observatoire n’est pas de prescrire, mais d’éclairer », rappelle Marc Thirion.

Marie-France Vienne

A lire aussi en Politique

Jeunes agriculteurs : l’ambition européenne fissurée par la réalité

Politique Face à l’effondrement du nombre d’installations et au vieillissement accéléré du secteur, l’UE affirme vouloir faire de la relève agricole une priorité stratégique. Mais une audition organisée début décembre au parlement européen a révélé un fossé grandissant entre les ambitions affichées et les moyens réellement mobilisés. Au cœur des débats, l’avenir de la Pac, la spéculation foncière, la concurrence internationale et la capacité de l’Europe à offrir un horizon crédible à ceux qui souhaitent encore devenir agriculteurs.
Voir plus d'articles

Trouvez un emploi dans le secteur agricole et horticole

Garden and pool

Gembloux, Namur

Postuler maintenant

Trouvez l'employé qui vous convient vraiment.

Publier une offre d'emploi
Voir toutes les offres d'emploi