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La ministre Dalcq engage un cycle de concertations sur le foncier

À l’issue de la présentation des chiffres 2025 de l’Observatoire du foncier agricole wallon, la ministre Anne-Catherine Dalcq a souhaité déplacer le regard. Après le temps du diagnostic chiffré, elle a ouvert celui de l’action publique, en présentant une note stratégique déposée au gouvernement wallon, destinée à refonder, sur le temps long, la manière dont la Wallonie appréhende la question foncière.

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La terre agricole, a-t-elle rappelé, ne peut plus être considérée comme une simple variable parmi d’autres des politiques publiques. Elle constitue un bien à haute valeur stratégique, indispensable à la souveraineté alimentaire, à l’équilibre des territoires et à la pérennité du modèle agricole. « Mettre en place une politique foncière, c’est penser à l’alimentation des citoyens », insiste la ministre, élargissant volontairement le débat bien au-delà du seul monde agricole.

Un changement de méthode assumé

Par cette note au gouvernement, la ministre wallonne entend rompre avec une approche fragmentée, dans laquelle le foncier subissait les effets indirects des politiques d’aménagement, d’énergie ou d’environnement. Désormais, la terre agricole devient un objet politique central, autour duquel doivent s’articuler les choix publics à venir. La note ne se veut ni un catalogue de mesures ni une réforme clef sur porte, mais un cadre stratégique commun, destiné à organiser la concertation et à hiérarchiser les priorités.

Le constat de départ est largement partagé. Depuis 1990, la Wallonie a perdu plus de 57 % de ses exploitations agricoles. Aujourd’hui, un agriculteur sur deux a plus de 55 ans et, dans quatre cas sur cinq, la question de la succession demeure incertaine. À cette fragilité démographique s’ajoute une flambée continue du prix du foncier, en hausse de 51 % entre 2017 et 2024, qui rend l’accès à la terre toujours plus difficile pour les jeunes et complique la transmission des exploitations.

Une terre sous pressions multiples

À ces évolutions structurelles s’ajoute une accumulation de pressions qui s’exercent sur la terre agricole. Entre 1985 et 2022, plus de 61.600 ha ont été artificialisés en Wallonie, sans mécanisme réel de désartificialisation. Dans le même temps, la transition énergétique et environnementale mobilise de plus en plus la terre comme support : développement de l’éolien, émergence de l’agrivoltaïsme, mise en œuvre du carbon farming, réflexion autour de futurs crédits nature.

Autant de dispositifs qui, s’ils ne sont pas strictement encadrés, risquent d’attirer des acteurs non agricoles sur le marché foncier. La Libérale ne remet pas en cause ces politiques, mais alerte sur leurs effets collatéraux. « Séquestrer du carbone est indispensable, mais cela doit se faire avec les agriculteurs, pas en les mettant en concurrence sur l’accès à la terre », souligne-t-elle, rappelant que certaines acquisitions foncières à des fins environnementales sont déjà observées.

De la note aux groupes de travail : une architecture politique en construction

C’est précisément pour traduire ce diagnostic en leviers d’action que la note déposée au gouvernement wallon ouvre un vaste chantier de concertation. Plusieurs groupes de travail ont été mis en place ou sont en cours de constitution, associant syndicats agricoles, représentants des propriétaires, notariat, administration et cabinets ministériels. Leur mission n’est pas de produire des principes généraux, mais d’examiner, un à un, les points de tension du système foncier wallon afin d’aboutir à des propositions juridiquement solides et politiquement soutenables.

L’un des axes structurants concerne la définition de l’« agriculteur actif ». Derrière cette notion se joue la capacité à orienter les aides publiques, notamment celles issues de la Pac, vers celles et ceux qui exercent effectivement une activité agricole. La réflexion englobe également la situation des agriculteurs pensionnés, les périodes de transition entre cédants et repreneurs, ainsi que les formes d’association temporaire permettant de sécuriser les transmissions sans brutalité économique.

Un autre chantier central porte sur le bail à ferme, dont l’attractivité s’est progressivement érodée. De plus en plus contourné par des conventions précaires, il n’offre plus toujours la sécurité nécessaire à l’investissement agricole. La réflexion engagée vise à redonner au bail son rôle structurant, en travaillant simultanément sur les incitants fiscaux à destination des propriétaires, sur les modalités du fermage et sur certaines règles encadrant la vente partielle des terres louées, afin de concilier stabilité de l’exploitant et valorisation patrimoniale.

La concertation porte également sur la hausse rapide du prix du foncier, dont les effets dépassent largement la seule capacité d’achat des agriculteurs. Sans aller vers un dispositif de type Safer, explicitement écarté par la ministre, la Wallonie explore différentes pistes de régulation, inspirées de mécanismes existant à l’étranger, dans l’objectif de freiner les envolées excessives sans figer le marché ni décourager la mise à disposition des terres.

La transmission des exploitations constitue un autre pilier transversal du chantier. Au-delà des dispositifs existants, la réflexion porte sur la manière d’anticiper les cessations d’activité, de mieux accompagner les cédants et de faciliter l’installation de jeunes, y compris hors cadre familial. L’enseignement agricole, la formation continue et les dispositifs d’accompagnement sont appelés à jouer un rôle accru dans cette transition générationnelle, qui s’annonce massive au cours des prochaines décennies. Un travail spécifique est également engagé sur la gestion et la mise en location des terres publiques. Communes, CPAS et autres propriétaires institutionnels détiennent un patrimoine foncier significatif, mais dont les modalités de mise à disposition suscitent régulièrement des tensions. Des dérives ont été constatées dans l’application des cahiers des charges, parfois au détriment de la transparence ou de l’équité entre exploitants. L’objectif affiché est d’assurer une gestion plus cohérente et plus lisible de ce patrimoine, dans l’intérêt général.

La note gouvernementale intègre enfin les enjeux émergents liés à la transition environnementale et énergétique. Le développement de l’agrivoltaïsme, les projets liés au stockage du carbone ou l’émergence de futurs marchés de crédits nature interrogent le rôle assigné à la terre agricole. La ministre plaide pour un encadrement clair, afin que ces nouveaux usages ne se traduisent pas par une concurrence accrue sur l’accès au foncier, mais puissent bénéficier directement aux agriculteurs eux-mêmes.

Un calendrier volontaire, sans promesse illusoire

Les travaux doivent aboutir à des propositions opérationnelles au cours de l’année 2026, pour une entrée en vigueur progressive des mesures à partir de 2027. Anne-Catherine Dalcq se garde de toute promesse simplificatrice. « Il n’y a pas de solution magique », reconnaît-elle ». En déposant une note au gouvernement et en ouvrant un cycle de concertation inédit, la ministre engage ainsi un chantier politique majeur, qui dépasse largement le seul monde agricole et touche à l’avenir alimentaire, social et territorial de la Wallonie.

Marie-France Vienne

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