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Mercosur : sur une dangereuse ligne de crête

Reportée in extremis en cette fin décembre, la signature de l’accord de libre-échange entre l’UE et les pays du Mercosur n’a pas apaisé les tensions. À l’heure où la commission se projette vers une possible conclusion d’ici mi-janvier, la colère agricole demeure intacte, le parlement européen se sent marginalisé et les opposants annoncent déjà un bras de fer juridique. Le traité, négocié depuis plus de 25 ans, risque de s’enliser dans une crise de cohérence européenne.

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La signature de l’accord, un temps annoncée pour le 20 décembre dernier au Brésil, a finalement été repoussée au terme d’ultimes tractations, faute de majorité suffisante entre les États membres. Le 18 décembre, lors du conseil européen, Ursula von der Leyen a acté ce report auprès des chefs d’État et de gouvernement, renvoyant la perspective d’une conclusion en janvier.

Ce contretemps s’est joué dans l’urgence. Il a été facilité par un échange téléphonique entre la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, et le président brésilien, Lula da Silva. Ce report a offert un répit à la France. Emmanuel Macron n’a cessé de rappeler que le texte ne pouvait être signé « en l’état ». À l’inverse, l’Allemagne et l’Espagne, qui plaidaient pour une conclusion rapide, ont vu leur stratégie temporairement mise en échec. Pour la commission, ce délai supplémentaire a surtout pris la forme d’un désaveu politique, sa présidente ayant été la cible principale de la mobilisation agricole organisée le même jour à Bruxelles.

Une colère agricole toujours vive

À l’aube de l’année nouvelle, le report n’a en rien calmé la contestation. La semaine passée, des milliers d’agriculteurs belges et européens ont une nouvelle fois convergé vers Bruxelles pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme une concurrence organisée à leur détriment.

Faut-il encore le rappeler, l’accord UE–Mercosur faciliterait l’entrée sur le marché européen de produits agricoles (viande bovine, sucre, riz, miel, soja) issus de filières sud-américaines ne respectant pas les normes sanitaires, sociales et environnementales imposées aux producteurs européens. À cette inquiétude économique s’ajoutent des préoccupations liées à l’usage de substances interdites dans l’UE et à des contrôles jugés insuffisants. Pour une large part du monde agricole, le traité incarne désormais un paradoxe européen : exiger toujours davantage d’efforts environnementaux et sociaux tout en ouvrant le marché à des produits soumis à des règles bien moins contraignantes.

Un parlement relégué en bout de chaîne

Au fil des semaines, le malaise s’est également cristallisé autour du rôle du parlement. « Les parlementaires européens n’ont jamais eu leur mot à dire sur le contenu même de l’accord », déplore l’eurodéputé belge Benoît Cassart, rappelant que la politique commerciale relève d’une compétence exclusive de la commission.

Lorsque les eurodéputés ont enfin été appelés à se prononcer, notamment sur les mesures de sauvegarde agricoles, ils ont clairement exprimé l’urgence d’introduire des mécanismes de réciprocité et des clauses miroir. Avant l’ajournement de la signature, le parlement a ainsi adopté un amendement porté par Benoît Cassart prévoyant un mécanisme de réciprocité : la commission serait tenue d’ouvrir une enquête et de prendre des mesures de sauvegarde lorsqu’il existe des preuves crédibles que des importations bénéficiant de préférences tarifaires ne respectent pas des exigences équivalentes en matière d’environnement, de bien-être animal, de santé, de sécurité alimentaire ou de protection des travailleurs.

Clauses miroir : un durcissement fragile

Chez les écologistes, ce vote a suscité un espoir mesuré. L’eurodéputée wallonne Saskia Bricmont s’est réjouie de l’adoption de plusieurs amendements visant à rendre les clauses miroir réellement opérationnelles, contrairement à la proposition initiale de la commission, adoptée à l’unanimité par le conseil.

Mais très vite, les négociations avec les États membres ont ravivé les craintes. Le compromis issu du trilogue a réduit la réciprocité à une simple déclaration politique, dépourvue de valeur contraignante. Pour Saskia Bricmont, ces mesures de sauvegarde « ne règlent absolument pas les problèmes liés à l’accord commercial », auquel elle reste farouchement opposée. Benoît Cassart partage cette inquiétude. Il redoute que son amendement sur la réciprocité soit sacrifié dans un compromis final, ce qui constituerait, selon lui, « une claque pour le parlement » et pour l’ensemble des acteurs concernés.

Du côté du Mercosur, la patience s’amenuise. Le Paraguay a averti que le temps n’était pas « infini », tandis que Lula a appelé l’UE à faire preuve de « courage ». La date du 12 janvier est désormais régulièrement évoquée comme nouvelle échéance possible.

Le droit comme nouveau champ de bataille

Pour les opposants à l’accord, le report de décembre n’a apporté aucune garantie supplémentaire. « On avance avec ce énième report, mais zéro garantie pour les agriculteurs, ni maintenant ni en janvier. Gagner du temps ne sert plus à rien », tranche Saskia Bricmont.

Les Verts entendent désormais déplacer le rapport de force sur le terrain juridique. Une fois l’accord signé par le conseil, ils déposeront une résolution demandant l’avis de la Cour européenne de justice. Un avis suspensif, susceptible de retarder encore la ratification du traité.

Cette stratégie marque un tournant. Faute d’avoir été associés à la négociation, faute de garanties juridiquement contraignantes sur la réciprocité des normes, les opposants misent désormais sur le droit pour bloquer un accord qu’ils jugent politiquement, socialement et environnementalement incohérent.

Un test de cohérence pour l’Europe en 2026

Àu moment de clôturer l’année 2025, Ursula von der Leyen continue de se dire « confiante » dans la possibilité d’une signature rapide. Emmanuel Macron réclame, lui, que le texte « change de nature », avec des garanties renforcées pour les agriculteurs et le maintien de leurs revenus dans la future Pac, tout en jugeant prématuré de conclure. Plus qu’un traité commercial, l’accord UE–Mercosur est devenu un révélateur des tensions entre institutions européennes, des contradictions entre ambitions géopolitiques et exigences environnementales, et des limites d’une politique commerciale en quête de légitimité démocratique. À l’aube de 2026, l’UE se trouve face à une question simple et redoutable : jusqu’où est-elle prête à aller pour rester fidèle à ses propres principes ?

Marie-France Vienne

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