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Face aux consommateurs et à la grande distribution, le modèle agricole actuel souffre… mais des solutions existent

Baisse des prix sur les marchés nationaux et mondiaux, exigences croissantes des transformateurs et de la grande distribution, perte de confiance des consommateurs… L’agriculture est actuellement confrontée à de nombreux défis. Néanmoins, face à cette morosité ambiante, des solutions se profilent à l’horizon. Ainsi, les éleveurs doivent notamment se réapproprier leur production pour la commercialiser sous leurs propres marques.

Temps de lecture : 7 min

Promis par le président français Emmanuel Macron durant sa campagne électorale, les États Généraux de l’Alimentation (voir encadré) se sont terminés en novembre dernier dans un climat qualifié de mortifère pour les 35 principales filières alimentaires françaises. En effet, outre-Quiévrain, la part de la valeur ajoutée revenant aux agriculteurs suite à l’achat de 100 € de produits alimentaires par les consommateurs est inférieure à 8 € alors qu’elle était de 11,50 € en 2000, soit une chute de plus de 30 %. Les parts dévolues aux importations de produits et à la grande distribution ont, quant à elles, respectivement augmenté de 13,9 € à 15,50 € et de 28 € à 30 €.

« Pour les enseignes de la grande distribution, la marge se conserve… Elle ne se partage pas ! », ne pouvait que constater Olivier Mevel, maître de conférences à l’Université de Bretagne-Loire (France) et spécialiste des filières alimentaires, le 17 janvier dernier à l’occasion de l’Assemblée générale du Collège des producteurs.

De la fourchette à la fourche

Outre cet effondrement de la valeur ajoutée, le monde agricole doit faire face à la volatilité des prix mondiaux des intrants et productions ainsi qu’à des traités internationaux et normes européennes perçus comme menaçants ou discriminants. Sans oublier l’incroyable compétition qui règne entre les différents bassins de productions agricoles européens !

Toutefois, l’asymétrie d’information entre le producteur, l’industriel et le distributeur constitue, sans conteste, le plus grand danger. Et M. Mevel d’expliquer : « L’offre est déterminée par le prix de vente de la future production au moment des semis ou de l’insémination. Or, la demande n’est connue que lors de la récolte de la culture ou de l’abattage des animaux, soit plusieurs mois plus tard. Ce décalage temporel implique la mise en place d’une régulation entre l’agriculture et les autres maillons de la chaîne ».

En parallèle, le monde agricole doit faire face à une pression nouvelle et croissante venant de la grande distribution et des consommateurs. Les quantités produites doivent sans cesse être adaptées aux quantités demandées. « La filière ne fonctionne plus de la fourche à la fourchette mais bien de la fourchette à la fourche ».

Les consommateurs doutent

Si les agriculteurs subissent de plein fouet la pression et les exigences croissantes de la grande distribution, les consommateurs sont, eux, en proie au doute. Ainsi, 79 % des Français estiment qu’il est probable que leur alimentation nuise à leur santé, contre « seulement » 50 % des Britanniques.

En ce qui concerne la viande en particulier, Olivier Mevel identifie deux principales sources à l’origine de ces doutes. D’une part, les associations de défense des animaux et autres activistes végans tirent à boulet rouge sur l’élevage. D’autre part, l’industrie agroalimentaire anonymise totalement les produits carnés en n’indiquant, par exemple, ni leur élevage, ni leur région d’origine. « Il en découle une baisse de la consommation de viande, trop souvent – et faussement ! – attribuée à son prix de vente », déplore-t-il.

Éleveurs et cultivateurs se doivent donc de regagner la confiance des consommateurs. Pour ce faire, créer une relation de proximité entre les parties prenantes est essentiel. « Certains l’ont déjà compris et cela s’observe très nettement. Le chiffre d’affaires généré par les circuits courts a explosé entre 2010 et 2016, passant de 2,5 à 5,1 milliards d’euros. »

Comme chez nous, les circuits courts gagnent en importance en France. Le chiffre d’affaires généré par ce mode de commercialisation a d’ailleurs doublé entre 2010 et 2016.
Comme chez nous, les circuits courts gagnent en importance en France. Le chiffre d’affaires généré par ce mode de commercialisation a d’ailleurs doublé entre 2010 et 2016. - J.V.

Guerre des prix

Toutefois, la grande majorité des agriculteurs voit ses productions commercialiser dans les grandes surfaces et n’en tire donc qu’un faible revenu. Grandes surfaces qui, pour se distinguer de la concurrence, vendent leurs produits aux prix les plus bas. « Or, le prix le plus juste n’est pas le prix le plus bas mais celui qui rémunère tous les maillons de la chaîne de valeur. »

En outre, la grande distribution bénéficie d’une structure qui lui est largement favorable et lui permet de peser lourdement sur les prix payés aux agriculteurs. En effet, seules quatre super-centrales d’achats (représentant plus de 30.000 points de vente) redistribuent vers 67 millions de Français les denrées fabriquées à partir des légumes, fruits, carcasses, céréales… de 470.000 exploitants agricoles.

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« Pour la grande distribution, la marge se conserve… Elle ne se partage pas ! », Olivier Mevel

Une pression d’autant plus écrasante que les promotions sur les denrées alimentaires se multiplient… Et que les supermarchés se livrent une guerre sans merci afin de proposer aux consommateurs un prix toujours plus bas tout en augmentant leurs marges sur le dos des producteurs.

Et le spécialiste de constater que « dans cette guerre, même les labels de qualité ou premium, tels que « Label Rouge » ou « AB – Agriculture Biologique », souffrent ». Avec pour conséquence, ici encore, une perte de la valeur pour les agriculteurs consentant à respecter un cahier des charges plus sévère.

Quelles solutions ?

Afin de contrer cela, plusieurs propositions ont découlé des États Généraux de l’Alimentation.

Première solution évoquée, la contractualisation des relations commerciales entre les producteurs, les industriels et les distributeurs afin d’encadrer et de sécuriser celles-ci.

D’une part, ces accords tripartites fixeraient préalablement les volumes et les prix. D’autre part, ils intégreraient des clauses de renégociation permettant de prendre en compte l’évolution des coûts de production et des cours du marché. Chaque partenaire commercial disposerait également, par le biais d’un cahier des charges par exemple, d’une visibilité sur les prix, les volumes et la qualité des produits.

Les États Généraux de l’Alimentation proposent également d’augmenter le revenu des agriculteurs en construisant les prix non plus sur base des prix de vente au consommateur final mais bien à partir des coûts de production. C’est ce que l’on appelle le renversement de la construction du prix .

En pratique, l’agriculteur proposerait son prix de vente en fonction des coûts induits par sa production. Les valeurs ajoutées et les marges des différents acteurs de la chaîne viendraient se superposer à ces coûts de production pour, finalement, donner le prix final en rayon. « Néanmoins, cela demande que les agriculteurs connaissent leurs coûts de production avec exactitude… », interpelle le spécialiste.

Une autre proposition vise à limiter les promotions sur les produits alimentaires à 34 % de leur valeur. Le concept : rendre impossible les promotions trop importantes (du type 1 acheté + 1 gratuit) qui blessent les producteurs et impactent sérieusement leur santé financière. Il s’agirait aussi de limiter le volume des promotions à 25 % ou 30 % de l’offre.

« Faire des promotions sur l’alimentaire, c’est manquer de respect à l’égard des producteurs ! »

« Les associations de défense des consommateurs n’y sont toutefois pas favorables, évoquant une baisse du pouvoir d’achat des ménages. » Ces mêmes ménages qui, suite aux innombrables promotions, ont une vision biaisée de la notion du « juste prix ».

Travailler au plus près des consommateurs

À l’issue de ces États Généraux, la France s’est dotée, pour chacune de ses 35 filières alimentaires, d’un plan stratégique visant à répartir au mieux la valeur créée tout au long de la chaîne. En parallèle, la réflexion sur les inégalités d’accès à une alimentation qualitative a débouché sur la prise en compte de la nécessité d’une montée en gamme.

Une telle montée est-elle nécessaire en Wallonie ? « Pour y répondre, il est essentiel de dresser un état des lieux de la demande », explique M. Mevel. Avant d’ajouter : « En premier lieu, il convient surtout de laisser les filières travailler au plus près des consommateurs. Place aux démarches locales ! ». Concrètement, les producteurs doivent « se prendre en main et aller à la rencontre des consommateurs ».

Les agriculteurs ont donc une carte à jouer. D’autant plus que les consommateurs affirment avoir plus confiance en eux qu’en les grandes surfaces et les transformateurs et le font savoir, notamment en témoignant sur les réseaux sociaux. Cela, les éleveurs français l’ont bien compris. « Pour preuve, les rayons des grandes surfaces se transforment peu à peu. »

En Belgique, les marques appartenant aux agriculteurs eux-mêmes se développent également. C’est par exemple le cas de Fairebel.
En Belgique, les marques appartenant aux agriculteurs eux-mêmes se développent également. C’est par exemple le cas de Fairebel. - J.V.

En effet, le nombre de marque appartenant aux producteurs ne cesse d’augmenter : « La maison des éleveurs » (bœuf plein air nourri à l’herbe), « FaireFrance » (produits laitiers), « Cœur de Normandy » (produits laitiers normands)… Certaines de ces marques régionales affichent de meilleurs résultats que les marques nationales. Quant aux marques dites de distributeurs, leur progression s’est arrêtée. Cela signifie que le consommateur commence à comprendre qu’il est la solution au problème du revenu des agriculteurs et modifie son comportement d’achat en conséquence.

Et de conclure : « Le consommateur qui souhaite payer le prix juste existe… Alors, à quand une marque des éleveurs wallons ? »

J.V.

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