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Mon beau sapin!

Épicéas, douglas, sitkas… : les sapins ne manquent pas en Ardenne ! Ils sont présents par millions, dressés fièrement dans nos forêts, alignés au cordeau en régiments comme des soldats prussiens, uniformes verts de gris et casques à pointe. Enfin, ces derniers mois, avec les attaques des scolytes, disons qu’ils sont beaucoup moins « dressés fièrement », et tirent pour certains une tête à faire peur, dépenaillés et squelettiques. Les sapins de Noël, par contre, gardent leur verdeur d’avance. Le secteur semble florissant : la Belgique est le troisième plus grand producteur d’arbres de Noël, derrière l’Allemagne et le Danemark. 85 % sont paraît-il exportés aux quatre coins du monde. Mon beau sapin, roi des forêts et des campagnes ?

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Parmi toutes les espèces de résineux susceptibles d’accueillir les boules et les guirlandes en fin d’année, la plus prisée n’est autre que le Nordmann, le plus beau, le plus fort, le plus propre ! Il doit son nom à un Finlandais, qui répondait au doux prénom d’Alexander, et l’a découvert en 1835, dans les basses montagnes de Géorgie. Les semences de cet arbre proviennent encore de cette région. Les pignons sont récoltés dans des forêts d’une altitude de 900-1000 mètres. Elles sont ensuite exportées au Danemark, pour être mises à germer puis cultivées. Les pépiniéristes achètent des plantules, lesquelles donneront vers l’âge de dix ans de beaux sapins de Noël. Le Nordmann est bien plus cher que le classique épicéa, plus cher à produire sans aucun doute. Ainsi, un « bête » champ de petits épicéas de Noël reste ouvert à tous les vents ; il est nettoyé une fois ou deux en été à la débroussailleuse. De leur côté, les Nordmann bénéficient de soins plus attentifs ! Ils sont protégés par des clôtures grillagées hautes de deux mètres, et font l’objet de multiples pulvérisations d’herbicides. Du glyphosate ?

Couché dans sa crèche, le petit Jésus éternue, les narines irritées par de vilaines molécules. Il se pose sans doute des questions, lui, le premier des écologistes, qui disserta sans fin dans ses paraboles sur les fleurs de lin ou de lys, les graines de figuier, ou les petits oiseaux du ciel qui ne sèment ni ne moissonnent. Oserait-il aujourd’hui être baptisé dans le Jourdain, marcher sur l’eau, changer celle-ci en vin, sachant qu’elle risque d’être polluée par des pesticides ? Au pied des Nordmann, l’âne et le bœuf sont -qui sait ?- exposés à des substances douteuses, tandis que Marie et Joseph frisent le burn-out, à respirer les effluves des aiguilles « parfumées » et supporter le clignement incessant des guirlandes multicolores. Les anges («dans nos campagnes, ont entonné l’hymne des cieux » etc etc) et les bergers, quant à eux, s’en remettent au Bon Dieu, et attendent les Rois Mages qui viendront se prosterner devant le Divin Enfant, et se consterner au pied d’un beau sapin pas vraiment chrétiennement correct.

Car le Nordmann de luxe n’est guère charitable non plus envers les agriculteurs. On peut comprendre pourquoi leur coût de production est si élevé, quand on voit les sommes d’argent offertes par les pépiniéristes pour acheter ou louer des terres agricoles, sur les hauteurs de Neufchâteau, par exemple. (Oui, ce Neufchâteau-là, la ville aux deux bourgmestres Yves et Dimitri, ceux qui se tirent les poils de la barbichette depuis dix-huit mois !) Quand la parcelle convient, -sa situation, son exposition, son accessibilité, sa taille –, elle est payée deux, trois, quatre fois un prix normal et acceptable. Les fermiers du coin ne rigolent pas spécialement devant cette concurrence…

La culture de sapins de Noël serait-elle donc une activité rentable, qui autoriserait l’achat de terres à prix d’or ? Que nenni, pleurent aujourd’hui les pépiniéristes ! Le grand commerce s’est emparé du symbole phare de la Nativité pour en faire un produit d’appel qui attire les clients dans leurs filets. Chez Ikea et Gamma, par exemple, des Nordmann sont vendus à prix cassé, 15-20 € au lieu de 30-40 €/pièce, lequel chiffre constitue un prix « équitable ». D’où viennent-ils ? De Belgique, affirme Ikea-Belgium ! Des pays de l’Est, où ils sont produits industriellement, accusent en chœur les producteurs de chez nous, bien marris de voir leurs beaux sapins, rois des forêts (que j’aime ta verdure !), devenir les rois des attrape-clients… Voilà un compte de Noël pas du tout merveilleux pour tout le monde…

Et le petit Jésus, dans tout cela ? Les Nordmann de l’Est vont peut-être le faire éternuer davantage… Notre société capitaliste et consumériste a décidément bradé le message de Noël ! La plus belle fête de l’année est devenue une affaire de gros sous. Mieux vaut pour nous faire abstraction de tout ce côté sombre, et nous consoler en contemplant la jolie petite flamme du renouveau, allumée lors de la Nuit de Noël !

Je vous souhaite à toutes et à tous d’humbles et joyeuses fêtes de fin d’année, et m’en vais discrètement derrière chez moi en forêt, chercher un petit moche épicéa, poussé naturellement en famille, serré parmi cent autres au pied de ses parents, comme le petit Jésus endormi dans sa crèche…

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