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Écoute dans le vent

Oufti, ça décoiffe ! Les dimanches de ce mois de février se suivent et se ressemblent, balayés par des tempêtes aux prénoms pourtant innocents : Ciara, Dennis, Ellen… En attendant peut-être Francis et d’autres garnements à sa suite ? Comparés aux ouragans de 1990, ce ne sont là que brises légères. Voici trente ans, ces événements climatiques majeurs avaient ouvert le bal d’une décennie particulièrement chahutée pour notre agriculture. Ciara et ses copains présagent-ils d’années 2020 aussi difficiles que les années ’90 ? « Écoute, mon ami, écoute dans le vent ; écoute, la réponse est dans le vent ! » (Bob Dylan, 1963).

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D’entrée de jeu, 1990 frappa très fort ! Le 1er janvier, un brouillard givrant persistant provoqua la chute d’arbres chargés de glace, et causa des pannes de courant partout en Wallonie. Ce n’était là qu’une petite mise en jambes avant la charge des cavaliers de l’Apocalypse ! Le 25 janvier, au soir d’une journée particulièrement chaude pour la saison, une terrible tempête balaya la Belgique de vents d’une violence inouïe : jusqu’à 152 km/h à Saint-Hubert ! Les dégâts furent considérables : arbres arrachés, forêts ravagées, toitures enlevées, pylônes électriques renversés… On n’avait jamais connu ce genre de catastrophe, de mémoire de paysan ! Une seconde tempête eut lieu le 28 janvier, puis une troisième le 3 février (135 km/h à Saint-Hubert). D’autres attendaient leur tour : les 11, 12 et 14 février (une Saint-Valentin « ébouriffante ») ; les 26, 27, 28 février et surtout le 1er mars, celle qui vint donner le coup de grâce. Durant toutes ces semaines éprouvantes, les pannes de courant furent innombrables, en pleine saison des vêlages ! Effectuer une césarienne à la lumière des phares d’un tracteur n’avait rien d’une sinécure ! Les pompiers prêtaient des groupes électrogènes pour effectuer la traite des vaches. Par ailleurs, tout au long de cette période, la température moyenne resta très élevée, avec des moyennes de plus de dix degrés ! Pour la première fois, on entendait parler des effets du « réchauffement climatique » dû aux « gaz à effet de serre »…

Le printemps 1990 vint très tôt. Les assureurs allaient de fermes en fermes pour évaluer les dégâts, et déterminer les (chiches) dédommagements. Heureusement, le Fonds des Calamités allait intervenir. Hélas, la spirale négative était engagée ! Les prix du bétail sur pied, même cul-de-poulain, commencèrent à baisser inexorablement, de semaine en semaine. Les marchands ne passaient plus dans les exploitations, tant le commerce était difficile. Et pour cause ! L’enterrement de première classe du Bloc de l’Est en 1989 et la réunification de l’Allemagne provoquaient une restructuration de leur agriculture ; le marché européen de la viande était engorgé par l’afflux de dizaines de milliers de carcasses de bovins. Le grand commerce y trouvait son compte, mais les éleveurs perdaient en quelques mois une grande partie de leurs revenus ! L’un après l’autre, les dominos tombaient, et l’élevage bovin BBB plongeait dans un marasme sans précédent. Et cela ne s’est guère amélioré depuis lors…

Cette décennie 1990 fut particulièrement violente, tempétueuse, et « tueuse » tout court, avec les guerres du Golf et de Yougoslavie, et surtout le génocide rwandais ! Nous vécûmes des scandales alimentaires, les crises hyper-médiatisées de la vache folle et de la dioxine. Ces tristes souvenirs nous rappellent combien nous sommes exposés aux secousses imprévues de l’actualité, aux soubresauts climatiques, économiques et politiques. Les tempêtes de ce mois de février frappent-elles les trois coups de scénarios aussi déplorables et destructeurs ? Probablement pas, mais le parallélisme est troublant…

« Écoute mon ami : la réponse est dans le vent ». Quand il souffle force 7, il nous engage à bien protéger nos biens, à sangler les portes des étables, à rester chez soi pour tout surveiller. Le vent nous parle d’inquiétude, de prudence ; il nous conseille de tendre l’oreille à l’écoute des événements du monde. Il nous pousse à réfléchir sur la précarité de nos jours, à essayer de deviner de quoi sera fait notre avenir, assombri et nébuleux, plongé dans ces défis majeurs qui nous concernent au plus près : réchauffement climatique, délitement de l’agriculture familiale paysanne, politique agricole européenne ultra-libérale menée par des politiciens technocrates qui murmurent à l’oreille des finances. Quand le vent prend le mors aux dents et s’emballe, mieux vaut s’accrocher, et espérer des jours meilleurs. La réforme de la PAC est en pleine cogitation chez les grosses têtes de l’UE ; nous sommes dans l’oeil du cyclone, cette zone calme au centre d’une vaste zone de turbulences. Bientôt, la prochaine PAC soufflera de plus belle sur nous en rafales : on ne perd rien pour attendre.

« Je n’ai pas peur de la route ; faudrait voir, faut qu’on y goûte, et le vent nous portera ». (Noir Désir, 2001)

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