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Au bal masqué, ohé ohé

« Pour vivre mieux, vivons cachés ; pour vivre vieux, sortons masqués ! ». Qui l’eût cru voici trois mois à peine ? On trouve aujourd’hui tout à fait normal de se présenter à la caisse d’un magasin ou au guichet d’une banque, le visage caché par un masque ! C’est même devenu obligatoire. Après des semaines de tergiversations et d’annonces contradictoires, nos autorités publiques ont enfin reconnu l’intérêt primordial de porter en public des protections faciales, comme en Asie. Les médecins le recommandaient vivement depuis le début de l’épidémie, mais rien n’est simple en Belgique, quand il s’agit de prendre des décisions politiques : les débats tournent rapidement à la mascarade, pouvoirs spéciaux ou pas. Dans nos gouvernements, c’est carnaval toute l’année, « coronaval » depuis le 1er mars 2020… Cependant, -alléluia ! –, on nous promet, la main sur le cœur, -croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer ! –, un « après corona » avec une revalorisation des métiers essentiels, dont celui d’agriculteur, cela va de soi. « Paroles, paroles, encore des paroles ! » . Au bal masqué du CoViD 19, les politiciens se déguisent tous en Dalida.

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Ceci dit, selon l’expression consacrée, la critique est aisée, mais l’art est difficile. En temps normal, notre pays est déjà un vrai bazar à gérer, avec ses quatre Régions, ses trois Communautés, et sa kyrielle de ministres. Alors, vous comprenez bien, le virus sournois a beau jeu d’exploiter et de révéler toutes les failles de notre système politique et de ses administrations. Chacun rejette ses erreurs personnelles sur autrui, se retranche derrière les règlements, se cache à l’abri dans le fouillis des procédures, se précipite sous le grand parapluie des pouvoirs spéciaux. Chaque jour apporte son lot de surréalismes, dans la plus pure tradition belge : promesses non tenues, dysfonctionnements, disruptions locales, prises de position à géométrie variable… S’il ne s’agissait d’une épidémie particulièrement virulente et mortelle, le mauvais goût nous engagerait à rire de tout ce carnaval. Ce serait «  L’humour au temps du corona » , lequel évoque «  L’amour au temps du choléra », roman magique de Gabriel Garcia-Marquez dont l’intrigue ressemble à un délirant bal masqué.

« À défaut d’être rassurante, la gestion politique belge du CoViD 19 est tout à fait distrayante à observer ! », me disait hier soir un agréable monsieur par téléphone. « Chaque jour, j’ouvre la radio ou la télé en me demandant : qu’ont-ils encore inventé ? Et je ne suis jamais déçu… En 1986, le gouvernement Martens-Gol avait fait moins de chichi lors de l’explosion de Tchernobyl. Le nuage radioactif s’était arrêté à nos frontières, point final. Circulez, y’a rien à voir ». Le plus triste en 2020 est sans conteste le taux des décès au sein de notre population : on finira par devenir champions du monde du coronavirus, à ce train-là ! C’est affolant, et particulièrement alarmant pour les vieux pépés (comme moi) de plus de soixante ans. Comme dirait mon épouse : «  À peine arrivés à la soixantaine, nous voilà mis en quarantaine ! » . Utilitariste et pragmatique, elle s’est cousu vite fait deux masques en recyclant un soutien-gorge push-up de notre fille, bleu nuit et constellé de petites étoiles et de papillons dorés : deux masques esthétiques, couvrants et confortables sur son fin minois, mais un rien équivoques. On ne jette rien, dans les fermes…

Plus sérieusement, de nombreux et généreux bénévoles se sont lancés dans la confection de ces protections indispensables, tantôt austères et fonctionnelles, tantôt drôles et folkloriques. Le ridicule ne tue pas ceux qui en sont affublés, tandis que le Covid-19, quant à lui, tue pour de vrai ! Il impacte surtout des hommes des troisième et quatrième âges, paraît-il… Les femmes sont plus résistantes : elles nous enterreront tous, c’est bien connu. Mais les masques sont pénibles à supporter : on étouffe là-dessous ! Les infirmières et les médecins méritent toute mon admiration béate, de travailler ainsi équipés, durant des nuits et des jours… Ce sont des Saints ! Vous vous voyez, vous, transpirant, à court de souffle, astreints de soigner les animaux et de traire les vaches ? Ceci dit, certains agriculteurs souffrent du « poumon-fermier », et protègent leur respiration par le port d’un masque FFP2, qui empêche l’inhalation de spores d’aspergillus (poussière de foin) à l’intérieur des étables. Cet accessoire n’est pas tellement étranger à notre profession ; ainsi, la manipulation des produits phytosanitaires requiert leur emploi. Son port est vivement conseillé également, voire obligatoire, pour pulvériser les bovins contre la gale, visiter une porcherie ou un poulailler.

Dans quel monde vivons-nous ? L’air que nous respirons risque à tout moment d’être empoisonné par des microbes, des saletés de virus, des molécules chimiques dangereuses, ou des composés organiques volatils dûs à la pollution. Les fabriques de masques ont de beaux jours devant eux, et leur commerce va devenir florissant. Business is business ! Leur fabrication et leur distribution vont créer de nouveaux métiers dits « essentiels ». Le Covid-19 a chiffonné les tissus socio-économiques et culturels traditionnels, détricoté la trame de nos vies, tissée de rapports humains conviviaux et cousue de réflexes amicaux. Le déconfinement progressif va instaurer une autre réalité, créer un monde parallèle où chacun se méfiera et fuira chaque jour davantage son prochain !

On ira tous au bal masqué, ohé, ohé…

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