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Prom’nons-nous dans les champs…

« Loup, y es-tu ? Covid-19, que fais-tu ? Prom’nons-nous dans les bois, là-bas pas de corona ; prom’nons-nous dans les champs, ici pas de virus méchant ».

Privés sans doute de vacances à l’étranger, -ô mon dieu, quel drame pour d’aucuns!! –, les Belges déconfinés déconfits n’auront d’autre choix cet été que les frontières intérieures du pays. Où est le problème ? Notre Wallonie propose à elle seule toute une rivière de diamants naturels et patrimoniaux, ce que nos gens ignorent fort probablement, car l’herbe paraît toujours plus verte ailleurs aux yeux des touristes. Plus loin c’est, mieux c’est, et l’empreinte carbone, on pose ses fesses dessus sur son siège d’avion… Pourtant, du Condroz à la Gaume, de la Hesbaye à l’Ardenne, du Pays de Herve au Tournaisis, nos campagnes offrent de vastes espaces à explorer, de milliers de kilomètres de chemins et sentiers où se balader sans souci, en pleine nature et sans trop se soucier d’y rencontrer le grand méchant loup-virus.

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Les communes rurales l’ont bien compris ! Elles encouragent cette année leurs citoyens et les touristes régionaux à profiter au maximum du réseau très dense de leurs promenades balisées. Ces circuits serpentent à travers champs, montent à l’assaut des collines et se glissent en douceur dans nos forêts, entre taillis et futaies. Ils quadrillent nos plaines agricoles et longent nos prairies, à l’ombre des haies vives, sous le regard parfois surpris des animaux. Les vaches ne regardent plus passer les trains, ceux-ci sont trop rapides, mais elles s’intéressent vivement à ces promeneurs colorés, plutôt bruyants, et qui dégagent toutes sortes de parfums inconnus à leurs larges narines. Parfois, le troupeau s’emballe ; les veaux font les fous et le taureau marque son territoire en mugissant de manière menaçante. Les néoruraux, ainsi que les touristes, s’étonnent et s’apeurent de ces manifestations spectaculaires. Ils n’apprécient guère non plus de croiser un convoi agricole sur un chemin étroit, où d’être dépassés par un fermier pressé de rejoindre son exploitation, avec sa benne qui déborde d’ensilage. Les tracteurs d’aujourd’hui leur semblent monstrueux ; les enfants s’égayent dans tous les sens à l’approche de ces engins qui ralentissent peu et font ronfler leur moteur, dans un nuage de poussière aveuglant. Les parents éprouvent de grandes frayeurs : on les comprend !

Les routes de campagne étaient jadis cahoteuses, boueuses en hiver, poussiéreuses en été ; elles sont souvent devenues des routes idéales pour les loisirs, grâce aux efforts des administrations communales soucieuses d’aménager de belles balades, pour leurs citoyens et les touristes de passage. Ce ne sont plus des voies d’accès aux champs ou aux fermes, mais un entrelacement de sentiers pédestres et de pistes cyclables VTT ou VTC. Le ravin entre l’agriculture et la société s’élargit sans cesse : de nombreux amateurs de loisirs ne comprennent pas les impératifs de l’agriculture contemporaine, et appréhendent peu la taille géante de ses machines modernes. Le promeneur et l’agriculteur vivent la situation dangereusement, sur certains tronçons encaissés trop étroits. Chaque camp est persuadé que la route lui appartient, et les deux partis se regardent en chiens de faïence. Des mots doux fusent parfois d’un parti à l’autre… Les cyclistes par exemple, -surtout étrangers –, ne respectent pas les règles de circulation à la campagne. Ils ne sont pas suffisamment conscients des dimensions des véhicules agricoles actuels. Inversement, les agriculteurs sont tenus d’être patients devant des usagers de la route qui utilisent les voies agricoles à des fins récréatives. D’autre part, la détestable manie du téléphone portable à l’oreille, ou tenu en main pour lire ou écrire des SMS, peut causer de dramatiques accidents, quand on conduit un convoi agricole de 30 tonnes à 50 km/heure sur un chemin étriqué où risque d’apparaître soudain un flâneur distrait. C’est effroyable !

Loup, y es-tu ? Covid-19, y es-tu ? Pas plus qu’un loup, il est peu probable de rencontrer un corona en liberté, se baladant dans la nature. Par contre, il n’est jamais exclu de faire face à un tracteur, ou d’effrayer des animaux dans leur prairie. Nos responsables communaux, si attentifs au « vivre ensemble », pourraient imaginer dans ce but des initiatives pédagogiques, afin de sensibiliser les usagers des chemins ruraux, qu’ils soient agriculteurs ou promeneurs. Ces derniers doivent apprendre à mieux lire l’environnement naturel et humain qu’ils arpentent. Au départ, tous ces sentiers et routes de campagnes ont été tracés dans un but utilitaire, afin de relier entre elles les localités, pour conduire les troupeaux en prairie et cultiver les terres. L’activité agricole a dessiné et aménagé les paysages ruraux wallons, naturels et enchanteurs, fruits du labeur opiniâtre autant qu’épuisant de dizaines de générations paysannes. Les promeneurs de nos balades en sont-ils conscients ? Fort peu, de toute évidence…

De même, les derniers mohicans-agriculteurs seraient bien avisés de comprendre les motivations de tous ces gens, « désœuvrés » à leurs yeux, qui se promènent nonchalamment et glandouillent dans « leur » campagne, sur « leur » aire de travail, sur « leurs » chemins. Conscients des dangers de la route, la plupart des agriculteurs essaient d’agir en conséquence. Mais comment créer le même réflexe chez les usagers fragiles ? La compréhension mutuelle, le bon sens, une communication adéquate via des panneaux didactiques par exemple, la connaissance de la législation, sont les ingrédients d’une circulation fluide et sans danger. Les cartes des balades balisées pourraient idéalement servir de supports pour enseigner les bons comportements, pour rappeler aux promeneurs un ensemble de vérités implicites, qu’ils ont souvent tendance à négliger, pour se conduire quelquefois comme en pays conquis.

Cet été, bien plus qu’auparavant, les agriculteurs croiseront sur leurs chemins de nombreux « baladins » baladeurs, Covid-19 oblige. Il faudra redoubler de prudence et de patience, mais ce sera l’occasion de dialoguer, d’expliquer, de mettre en garde, de renseigner, bref de se faire connaître et aimer des autres franges de la population. Laissez-moi rêver d’une ruralité partagée, où touristes et agriculteurs s’épanouissent ensemble en toute harmonie !

«  Prom’nons dans les bois, pendant qu’le loup n’y est pas. ». Pas encore…

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