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L’épiaison, c’est magique!

Comme souvent, cette année, je me suis rendu compte que les escourgeons étaient en épis, sans avoir pris le temps de les voir venir. Ils me surprendront donc toujours.

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Comme souvent, cette année, je me suis rendu compte que les escourgeons étaient en épis, sans avoir pris le temps de les voir venir. Ils me surprendront donc toujours.

L’escourgeon, c’est vraiment une espèce qui dégaine plus vite que son ombre, comme dirait Lucky Luke. Aujourd’hui, on peut aussi dire qu’il va encore plus vite que Macron.

Les colzas montrent leurs dernières fleurs, les lins commencent seulement à monter, et les épis d’escourgeon sont déjà là, en deux temps et trois mouvements. Chaque année, je suis bluffé, et cela me procure une tendresse particulière pour les céréales. Du coup, je me sens préparé pour accueillir l’épiaison des froments.

Je sais que les plantes sont comme nous, elles naissent, elles grandissent, elles aiment et elles meurent. La levée, c’est un peu la naissance. Le tallage, c’est, disons, le premier jour d’école. L’épiaison, ce serait le mariage, et on enterre leur vie le jour de moisson. Ce n’est pas triste, d’autant que pour les grains, c’est sûr, il y a une vie après la vie, qui passe par le moulin, le four à pain, jusqu’au repas quotidien.

Quand les épis apparaissent, je me repasse le film de leur vie : le fameux stade « Épi 1 cm », quand se programme déjà la taille potentielle de l’épi. Puis, la biomasse verte qui se forme si vite et constitue les réserves qui iront vers le grain. L’épi sort, mais rien n’est fait. Il faut encore réussir la fécondation. La céréale étant autogame, cela se fera discrètement, à huis clos, sans que le vent ni les insectes ne doivent s’en mêler. On en verra les effets à la floraison, plus précisément la chute des étamines. Il y a ensuite le remplissage des grains. La tige et les feuilles donnent le meilleur d’eux-mêmes. Et quand les grains sont à point, qu’ils arrivent, par exemple, à 15 % d’humidité si la météo n’est pas contrariante, ils s’engouffrent vers les batteurs de la moissonneuse, se regroupent dans les bennes, et prennent le chemin que leur indique l’agriculteur.

Ça, c’est la belle histoire du blé quand tout va bien. Épiaison signifie promesse, pas charrette ! Ne parlons pas de l’an passé, c’est encore trop douloureux pour les trésoreries. Mais il y a prescription pour les années ‘80, quand « Moulin », nouvelle variété pour laquelle beaucoup s’étaient alors battus pour avoir de la semence, a croisé une gelée blanche au cours de sa principale nuit de fécondation. On peut dire que ce fut un mariage blanc, très peu consommé.

Les histoires sont parfois plus sympathiques, comme celle de la variété Fidel. Dans les années ‘70, un sélectionneur beauceron avait pris conscience qu’on avait éliminé les blés aristés (à barbes) parce que c’était pénible pour faire des gerbes manuellement. Mais après la guerre 40-45, la moissonneuse-batteuse s’est généralisée. Du blé barbu pouvait alors apporter du sang neuf. L’idée était révolutionnaire, comme celle d’un autre barbu de l’époque, à Cuba, d’où le nom de Fidel.

L’épiaison, c’est aussi l’occasion d’une petite réflexion sur l’étymologie du mot. ÉPI vient du préfixe grec qui signifie « au-dessus ». C’est le bout de la tige, son aboutissement, comme épilogue signifie la fin d’un livre ou épitaphe le dernier mot sur une tombe. Et Epicure, dans tout cela ? Entre stoïcisme et hédonisme, le philosophe grec a défendu l’idée d’une consommation modérée, dans un esprit de tolérance. C’était sans doute déjà la voie du bon sens, comme l’agriculture raisonnée creuse son sillon entre intensification outrancière et naturalisme intégriste.

Mais n’épiloguons pas : l’aboutissement de l’épiaison, ce sera après la moisson, quand nous connaîtrons le prix des céréales.

JMP

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