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Pratiques commerciales déloyales: «Il est indispensable de réellement protéger les agriculteurs»

Adoptée en avril 2019, la directive sur les pratiques commerciales au sein de la chaîne agroalimentaire est toujours au cœur des débats. À l’initiative du parlement qui a longuement travaillé sur ses lignes directrices, la commission est venue faire le point sur sa transposition et sa mise en œuvre au sein des États membres.

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Pour rappel, cette directive a pour objectif la protection des agriculteurs, mais aussi des PME de l’agroalimentaire, face notamment à la grande distribution. Le texte, qui concerne les produits agricoles et denrées alimentaires, interdit à l’échelle de l’UE à tout partenaire commercial d’imposer unilatéralement 16 pratiques jugées déloyales.

On y trouve, par exemple, les paiements tardifs et annulations de commandes en dernière minute pour les produits périssables, les modifications unilatérales ou rétroactives des contrats ainsi que l’obligation faite au fournisseur de rembourser les produits invendus ou le refus de fournir des contrats écrits. La directive permet notamment aux agriculteurs et PME, ainsi qu’aux organisations qui les représentent, de porter plainte contre leurs acheteurs quand ils utilisent de tels procédés. Les pays membres doivent mettre en place des autorités nationales pour traiter ces plaintes.

De nombreux États membres en retard, la Belgique aussi

Le délai de transposition dans le droit national était fixé au 1er mai 2021. C’est dire que nous sommes déjà largement en dehors des clous.

En raison de la complexité de cette législation, la commission a eu non moins de 50 échanges avec les États membres, sans compter de nombreux contacts bilatéraux sur les questions techniques et juridiques.

Elle a organisé une réunion « de rattrapage » le 31 août dernier afin de faire le point sur l’état d’avancement de chacun d’eux, libres d’adopter des règles nationales allant au-delà de la liste des pratiques déloyales. Un point qui avait été âprement discuté lors du dernier trilogue.

Dix-neuf États membres ont, depuis lors, notifié une transposition complète, deux (la République tchèque et l’Autriche) n’ont que partiellement transposé la directive tandis que six États membres n’ont pas communiqué sur l’état d’avancement de leurs travaux en la matière. Il s’agit de l’Italie, de l’Espagne, de Chypre, de la Pologne, de la Roumanie et… de la Belgique qui prévoit toutefois de se mettre en ordre dans le courant de ce mois de novembre.

Comme le précise la Fevia, notre pays a repris telles quelles les seize pratiques commerciales déloyales de la directive, à une exception près. Il a été décidé de ne pas faire de distinction entre les produits agricoles et alimentaires périssables et non périssables en ce qui concerne les délais de paiement et de fixer un délai de paiement maximal de trente jours.

Par ailleurs, la loi belge (à venir) laisse la possibilité de compléter la liste des pratiques via un arrêté royal. Pour la Fevia, il s’agit d’une bonne chose étant donné que certains comportements d’achat pourraient s’adapter en fonction de la législation et que de nouvelles pratiques pourraient apparaître.

« Le processus ne s’arrêtera pas avec la transposition de la directive »

Quoi qu’il en soit, le parlement a demandé à la commission de ne pas relâcher la pression sur les retardataires.

Cette dernière a rappelé que le renforcement de la position des agriculteurs dans la chaîne d’approvisionnement était son principal objectif. Elle entend d’ailleurs mener un suivi sur base de sondages et d’enquêtes annuelles, y compris une étude portant sur des références. Elle organisera également des réunions annuelles avec les autorités chargées de l’exécution au niveau national. Quant aux États membres, ils présenteront des rapports, toujours annuels, d’ici le 15 mars 2022.

Les eurodéputés ont plaidé en faveur d’une collecte de données intermédiaire avant cette date, notamment quant au nombre de plaintes qui auront été soumises, ainsi qu’au niveau de leur degré de confidentialité.

La lutte contre les pratiques commerciales déloyales a été généralement bien accueillie par les pays membres appelés à uniformiser le niveau d’application autant que faire se peut, certains ayant déjà déployé des outils de lutte depuis de nombreuses années.

Ils sont quelques-uns à avoir même dépassé les exigences minimales de la directive au niveau de la liste des pratiques qu’ils ont élargie en y ajoutant des interdictions ou en durcissant celles qui y étaient déjà énoncées.

Des règles plus strictes sont en principe compatibles avec la directive, « à condition qu’elles respectent les règles du marché intérieur de l’UE » a rappelé la commission. Les États membres qui n’avaient pas encore légiféré en la matière avant de transposer la directive ont, eux, globalement suivi le champ d’application de celle-ci.

Concernant les autorités chargées de l’application des règles régissant la directive, le rapport de la commission explique que les États membres se sont plus concentrés sur le rôle des autorités administratives, en n’accordant qu’une attention restreinte aux instances judiciaires. Sur ce point, l’Exécutif regrette que les mécanismes de recours collectif au service des organisations de producteurs restent largement inexploités.

Quant aux mesures d’application, le rapport souligne qu’il s’agit avant tout de sanctions financières et de mesures de redressement par voie d’injonction. Toutefois, certains pays accordent aussi aux parties la possibilité de proposer des engagements quand d’autres prévoient d’utiliser des mécanismes de recours en matière civile.

« On ne fait pas de cadeaux aux agriculteurs en matière de contrôles et de sanctions »

L’hétérogénéité de la situation entre pays inquiète les eurodéputés qui insistent sur la dimension de contrôle et de surveillance annoncée par l’Exécutif pour mesurer l’efficacité de cette directive dont certains redoutent le contournement.

Sans protection des agriculteurs, il n’y aura pas de garantie au niveau de la sécurité alimentaire de l’UE ont martelé plusieurs parlementaires. « Nous espérons que les autorités compétentes agiront avec vigueur et détermination pour réellement aider les agriculteurs et éliminer ces pratiques délétères » a d’ailleurs insisté le conservateur néerlandais Bert-Jan Ruissen.

Une allusion à peine voilée aux « alliances commerciales » qui poussent certains distributeurs à se rapprocher pour négocier ensemble afin d’avoir plus de poids pour inciter leurs principaux fournisseurs à baisser leurs tarifs. On se souvient de la descente, en 2019, des enquêteurs de la direction générale de la concurrence de la commission aux sièges d’Intermarché et de Casino dans le cadre des pratiques de leur ancienne centrale d’achat commune Incaa (Intermarché Casino Achat).

Les députés ont fait savoir à la commission qu’ils souhaitaient que l’on redonne du poids aux producteurs dans la chaîne de valeur. « En matière de contrôle et de sanctions, on ne fait pas de cadeaux aux agriculteurs, il n’y a pas de raison à ce que l’on en fasse à ceux qui ne jouent pas le jeu dans la chaîne agroalimentaire » a déroulé le français Jérémy Decerle du groupe centriste « Renew ».

Marie-France Vienne

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