Accueil Voix de la terre

Sa Majesté l’Argent

La reine est morte, vive le roi ! La couronne de Grande-Bretagne a quitté la royale chevelure de la défunte souveraine pour rejoindre celle – plus clairsemée — de son fils. On n’a pas fini d’en parler ! Les Britanniques ne font rien comme les Européens du continent. Ils vouent un culte inconditionnel, quasi irrationnel, à une institution féodale anachronique, fascinés comme des enfants par les tribulations de leurs souverains. Notre roi et notre reine belges nous font beaucoup moins rêver, car en vérité, toutes ces têtes couronnées sont des gens comme nous, avec leurs défauts et leurs qualités, leurs plaisirs et leurs douleurs, leurs besoins terre à terre et leurs fantasmes.

Temps de lecture : 4 min

À propos de terre à terre, parmi ses nombreux métiers, Élisabeth II était une de nos collègues, une agricultrice – oui, oui !- comme nous ! Elle possédait et exploitait de vastes domaines, et à ce titre, elle a bénéficié jusqu’au Brexit d’indemnités PAC à faire pleurer de dépit le menu peuple des campagnes. Son fils Charles, Prince de Galles jusqu’à son couronnement, a tiré de plantureux bénéfices de son duché de Cornouailles. Adepte d’agroécologie de la première heure, il y exploite 400 hectares en agriculture biologique, au milieu d’autres centaines et milliers d’hectares qui lui procurent bon an mal an, un revenu de 25 millions de livres sterling, soit l’équivalent de 28,5 millions d’euros ! La famille royale britannique serait dès lors, en quelque sorte, une famille « paysanne » XXXXL qui cultive la terre depuis des siècles, depuis Guillaume le Conquérant. Je rigole, bien sûr ! Ils emploient et font vivre des armées d’ouvriers agricoles et de fonctionnaires. Ils ont tiré parti des subventions agricoles octroyées par l’Union Européenne, au même titre que les plus humbles paysans de l’UE. Nous comptons notre argent en milliers d’euros ; Her Majesty the Queen et son fillot comptent en millions…

La distribution des aides PAC a toujours fait couler beaucoup d’encre. En juillet dernier, je suis tombé par hasard sur une émission de France 2, « Cash Investigation », qui s’intéressait justement à ces grands bénéficiaires de la PAC, ou plutôt aux tricheurs qui se faufilent dans les failles du système. La famille royale britannique ne triche pas et paie ses impôts. Les soupçonner de malversation serait « shocking », quoique… Pas mal d’autres, par contre, ne se sont guère gênés pour puiser dans la cagnotte européenne ! Ainsi, un « agriculteur » corse, membre de la chambre d’agriculture de l’Île de Beauté, déclare sans complexe des centaines d’hectares de réserves naturelles publiques, sur lesquelles il fait paître quelques bovins. Ses gains PAC cumulés depuis 2014 atteignent les deux millions d’euros, sans qu’il soit jusqu’à présent le moins du monde inquiété.

Cash Investigation de France 2 a surtout pointé du doigt les sociétés de gestion agricole. Ainsi, un homme d’état slovaque a touché pendant des années 1,5 million d’euros/an, pour la gestion de ses multiples exploitations. Comme il se contrôlait lui-même, il ne risquait pas d’ennuis tant qu’il était ministre… Ce genre de société existe également en Belgique et partout en Europe ; mais curieusement, leur business perdure envers et contre tout, malgré les récriminations, les interpellations, les déclarations politiques. Rien ne change ! Notre ministre régional de l’agriculture lui-même, semble rechigner à fourrer son nez dans ces nébuleuses bardées de défenses juridiques. Sa Majesté l’Argent est toute-puissante et domine notre monde ultralibéral de la tête et des épaules. La libre entreprise ne souffre aucune remise en question, ni la moindre concession. En d’autres mots, ce sont les plus malins et les plus riches qui attrapent tous les autres : les signaux du monde politique sont on ne peut plus clairs !

L’Argent est roi, -God save the King ! –, et tous les problèmes du monde ne viennent que par lui, ne sont réglés que par lui. Dans la vie courante, les crises actuelles en constituent la parfaite illustration. Le gaz et l’électricité ont atteint des prix prohibitifs, mais seule la menace d’une révolution poussera peut-être les gouvernements et l’UE à plafonner les tarifs ! Des sommes d’argent pharamineuses sortent des banques centrales et des caisses des États comme les liasses de billets d’un jeu de Monopoly. L’Ukraine est arrosée pour ses achats d’armes ; la Russie vend ses hydrocarbures à prix d’or ; l’inflation fait tourner les têtes partout en Europe ; les gouvernements règlent les questions écologiques et sociales à grands coups de millions, sans s’attaquer à corps perdu aux causes profondes.

Sa Majesté l’Argent est adorée comme la famille royale en Grande-Bretagne. Il fascine et on lui pardonne tout, bien qu’il nous traite plus bas que terre et fait de nous ses jouets, sous un régime «'ploutocrate », où la richesse constitue la pensée unique des lignes directrices politiques et sociales. Enterrerons-nous un jour His Majesty le Fric ? Et ses enfants : PIB et taux de croissance, consommation et pouvoir d’achat ? Ses âmes damnées : les marchés financiers ? Ses oligarques : les multinationales hyperfortunées ?

Un jour verra leur fin à tous, quand une météorite aura percuté la Terre, lors de l’éruption d’un super-volcan, ou lorsque les dérèglements climatiques auront eu raison de notre civilisation. Et nous aurons droit à de « royales » funérailles, spectaculaires et fastueuses…

A lire aussi en Voix de la terre

Merci les jeunes!

Voix de la terre Durant ce mois de février, votre détermination et votre enthousiasme ont secoué et réveillé les instances politiques locales et européennes.
Voir plus d'articles