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À table!

Assiettons-nous à table, et fourchettons ensemble combien coûte à la grosse louche ce qui transite par nos casseroles et passe sous nos couteaux ! Cette mise sur le gril va-t-elle nous couper l’appétit ? Serons-nous bons ensuite à ramasser à la petite cuillère ?

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En tout cas, je ne sais pas vous, mais quand j’entends « À table ! », mon ventre gargouille, mes glandes salivaires exultent et mes papilles s’affolent. En chacun de nous sommeille un chien de Pavlov, prêt à répondre au quart de tour à l’appel de la nourriture. C’est dire si manger reste un besoin animal et essentiel ! En imagerie médicale, le cerveau s’illumine comme un arbre de Noël dès l’instant où les signaux d’un repas imminent lui parviennent, surtout si l’on a faim. Une odeur de frites, de pain frais, de chocolat chaud, d’une bonne soupe… ; des bruits de couverts remués, du bouchon qu’on retire d’un coup sec -cloug ! –, du café qui passe au percolateur… ; la vue d’un beau steak qui grésille, d’une Dame Blanche dans sa robe chocolat-vanille, d’un plat de chicons au gratin… ; le croquant des chips sous la dent, la douce onctuosité glacée d’un ice-cream, la chaleur sur la langue d’un bol de bouillon… Nos rapports à la nourriture sont avant tout sensuels, et s’accompagnent d’une foule d’autres émotions : appétit, délectation, satiété, partage convivial en famille…

C’est bien beau tout cela ! Mais avant de manger, il faut se fournir en nourriture, cuisiner le repas, s’installer à table. Tout coûte de plus en plus cher, ma bonne Dame ! Que représente le budget alimentaire dans un ménage ? Selon Statbel, sa part est passée de 29 % en 1960, à 15,9 % en 2020, hors boissons alcoolisées et tabac (2,2 % tout de même de toutes les dépenses !) mais en incluant les repas pris à l’extérieur. Une application bancaire sur smartphone renseigne comment sont ventilées les dépenses ; c’est rigolo et instructif. Pour deux personnes adultes, nous arrivons à 300 €/mois environ en moyenne, pour les courses, soit dix euros par jour, bien que nous disposons d’un potager et d’arbres fruitiers, d’un petit élevage pour la viande et les œufs. Une famille citadine classique qui ne dispose pas d’un jardin, doit sans doute compter 10 €/jour/personne, sans faire de folie, si ce n’est 15€!

Dans l’esprit des consommateurs, manger coûte trop cher, satanés agriculteurs ! Le discours convenu des médias est sans pitié pour nous : les prix du pain, des légumes, de la viande augmentent sans cesse, en grande partie parce que les matières premières agricoles se renchérissent, parfois pour des raisons fallacieuses. Ainsi, une gentille madame, on ne peut plus bienveillante d’habitude, se plaignait à moi cette semaine du prix des pommes de terre, en hausse à cause des faibles rendements, a-t-elle entendu dire. Or, un jour de septembre, elle a vu passer devant sa porte un charroi ininterrompu d’énormes bennes remplies à ras bord de ces précieux tubercules, récoltés dans une grande parcelle proche de chez elle. Elle en a compté dix-huit, dit-elle. Où est la pénurie ? Chaque fois, au rond-point à la pente un peu inclinée, les chargements trop pleins perdaient des patates. Elle aurait bien aimé aller les ramasser, mais craignait d’être vue et de passer pour une mendiante. De plus, elle ne savait pas trop si elle risquait de s’empoisonner, avec tout ce « qu’ils avaient pulvérisé ». Les pommes de terre ont fini écrabouillées en purée sur la route, sous les roues des véhicules…

Dans certaines régions, des gens ont coutume de venir glaner dans les champs. 50 kg de patates, 20 ou 30 euros, sont toujours bons à prendre ! Se payer de quoi manger deviendrait-il un vrai problème ? Il reste très peu d’argent, quand on a déjà retiré de ses revenus un loyer d’habitation ou le remboursement d’un prêt, le chauffage et l’électricité, les frais de véhicule et de transport, le téléphone, Internet, etc. Les budgets « alimentation » et « chauffage » des ménages sont devenus plus que jamais des variables d’ajustement, sur lesquels les consommateurs rognent si nécessaire, en ces temps de crise. C’est triste ! Se nourrir est une fonction vitale qui peut offrir tant de plaisir ! Les moins nantis, les plus économes, se rabattent en magasin sur des produits blancs, en maudissant les fermiers « qui touchent autant de primes ». C’est le genre de réflexion qu’on entend chez nous, dans les campagnes, je vous l’assure ! Ils ne comprennent pas, par exemple, pourquoi le Bio est aussi cher, et réservé à une élite. Plus que jamais, il serait bon de communiquer avec l’autre bout de la chaîne alimentaire, d’expliquer le pourquoi et le comment, d’où vient l’écart entre les prix à la ferme et ceux dans les magasins.

Pendant les Trente Glorieuses (1945-1975), l’agriculture s’est fortement modernisée ; elle a pu fournir de la nourriture en abondance et bon marché dans nos pays européens. Puis vinrent les Trente Piteuses (jusque 2005) si décevantes, et maintenant les Trente Ruineuses durant lesquelles tout part en cacahuète, en attendant peut-être ensuite les Trente Furieuses, catastrophiques. Pourtant, notre nature profonde n’a pas changé. Quand on crie « À table ! », tout le monde accourt encore et toujours, pour assouvir sa faim et se régaler. En mangeant quoi, demain, et à quel prix??? Quels drôles de rôles fera-t-on jouer aux agriculteurs de nos régions ?

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