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Agriculteur exploitant pensionné: comment éviterla validation d’un congé?

Nous avons 67 ans, nous touchons notre pension de retraite mais nous n’avons jamais arrêté notre exploitation agricole. Dans le cadre de celle-ci, nous occupons quelques hectares sous bail à ferme écrit. Nous avons récemment reçu un congé de notre bailleur qui souhaite vendre ces terres. Un tel congé est-il valable ? Que faire pour éviter qu’il soit validé par le juge ? Pouvons-nous échapper à ce congé en cédant le bail à notre fils ?

Temps de lecture : 5 min

Les droits d’un preneur pensionné ne se terminent jamais de plein droit. En outre, il ne ressort d’aucune disposition légale que, pour la seule raison qu’il ait atteint l’âge de la retraite et qu’il bénéficie d’une pension, le preneur ne dispose pas du droit de préemption en cas de vente d’un bien rural donné en bail à ferme. Néanmoins, la position d’un preneur pensionné est peu protégée.

Pensionné peu protégé sauf…

L’article 8 bis de la Loi sur le bail à ferme prévoit plusieurs possibilités pour terminer le bail d’un fermier pensionné. « Si le preneur ayant atteint l’âge de la pension, bénéficie d’une pension de retraite ou de survie et ne peut indiquer aucune des personnes mentionnées à l’article 34 comme pouvant éventuellement poursuivre son exploitation, le bailleur peut mettre fin au bail en vue d’exploiter lui-même tout ou partie du bien loué ou d’en céder l’exploitation à son conjoint, à ses descendants ou enfants adoptifs ou à ceux de son conjoint, ou aux conjoints desdits descendants ou enfants adoptifs ».

Si les conditions cumulatives prévues par l’article 8bis de la loi relative aux baux à ferme sont remplies, le bailleur peut mettre fin au bail en vue de vendre le bien. On ne doit pas tenir compte des moyens d’existence du preneur après la mise à la retraite. Le seul moyen pour éviter que le congé ne soit validé se situe dans la présence de votre fils en tant que successeur. Vous n’êtes pas obligé de lui céder votre exploitation agricole en totalité. Il suffit que vous cédiez le bail en question.

Quand indiquer le successeur ?

Dans la pratique, il y a discussion sur le moment auquel le preneur doit indiquer son successeur afin d’éviter la validation du congé. Certains propriétaires exigent que cela soit fait avant que le congé soit donné. Dans leur optique, il n’est plus possible d’indiquer un successeur après le congé a été signifié.

Dans la jurisprudence, on constate une plus grande souplesse en faveur du preneur. Pour un cas similaire, le Tribunal de premier instance de Courtrai a décidé que le preneur ne devait pas céder son bail avant le congé : « L’article 8 bis de la loi sur le bail à ferme énonce explicitement que les personnes qui peuvent éventuellement poursuivre l’exploitation doivent être désignées. Le mot « éventuellement » exclut expressément qu’une certitude absolue doive être donnée quant à la personne du successeur. En outre, ce mot implique également que ce successeur ne doit pas nécessairement succéder effectivement ni ne doit déjà exploiter l’entreprise agricole lorsque le délai de congé est atteint. Il doit toutefois être au moins sérieux ou plausible que les personnes désignées poursuivent l’exploitation afin de ne pas trop restreindre les droits (de propriété) du bailleur. En l’espèce, les deux fils sont particulièrement familiarisés avec les biens affermés de sorte que les deux peuvent être jugés aptes à exploiter une entreprise agricole. Il est en outre plausible et sérieux que l’un des fils ou les deux ensemble continueront effectivement à exploiter l’entreprise agricole au moment où le père ne sera plus à même de l’exploiter ».

Le Tribunal de premier instance de Bruxelles a tranché un second cas similaire comme suit : « L’article 8bis de la loi sur le bail à ferme n’indique pas à quel moment le fermier doit désigner son successeur (potentiel). En l’espèce, le juge estime que le fermier doit avoir désigné un successeur au moment du congé. En effet, le juge doit vérifier le sérieux et le fondement des raisons du congé donné par le bailleur. Il ne pourrait s’acquitter de cette mission s’il était permis au fermier, qui est pensionné au moment de son congé et qui bénéficie d’une pension de retraite ou de survie mais n’a pas encore désigné de successeur, de remettre en cause les raisons du congé invoquées par le bailleur en désignant encore un tel successeur pendant le délai de préavis ou après son expiration, mais avant la clôture des débats. Il ressort en outre de la rédaction de l’article 8bis de la loi sur le bail à ferme que le bailleur ne peut mettre fin au bail qu’après que le fermier est apparu incapable de désigner un successeur. Le fait de n’avoir pu désigner de successeur constitue en d’autres termes la condition nécessaire permettant au bailleur de résilier le bail, de sorte que cette non-désignation précède nécessairement la résiliation, d’autant plus qu’il est insensé de permettre au bailleur de congédier le fermier pour un motif que le fermier pourrait mettre à néant par la suite. L’article 8bis précité exclut par conséquent la désignation d’un successeur après réception du congé. »

Selon nous, vous pouvez donc encore échapper à la validation du congé. Il faut simplement indiquer votre fils comme successeur. Vous prendrez garde de bien de demander au Juge de Paix, au moment de la procédure de conciliation, qu’il prenne acte dans le procès-verbal de (non)– conciliation que vous indiquez votre fils comme successeur.

Céder le bail assez rapidement

Pour éviter toute discussion, nous vous conseillons de céder le bail le plus vite possible après le procès-verbal de (non)– conciliation. Si vous désirez donner une cession privilège à votre fils, il faut se baser sur l’article 35 de la Loi sur le bail à ferme, lequel dispose : « Si, dans les trois mois de l’entrée en jouissance du cessionnaire, le preneur ou ses ayants droit notifient au bailleur la cession que le preneur a faite du bail à ses descendants ou enfants adoptifs ou a ceux de son conjoint ou aux conjoints desdits descendants ou enfants adoptifs, en lui indiquant les noms, prénoms et adresses du ou des cessionnaires, le bail est, sauf opposition déclarée valable du bailleur, renouvelé de plein droit au profit du ou des cessionnaires. Ce renouvellement a pour effet que, toutes autres conditions étant maintenues, une nouvelle et première période de neuf ans prend cours au bénéfice du ou des cessionnaires, à la date anniversaire de l’entrée en jouissance du cédant qui suit la notification ; en outre, le cédant est déchargé de toutes obligations résultant du bail nées postérieurement à la notification ».

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