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« Votre priorité ? Réconcilier

le citoyen avec l’élevage et la viande ! »

Concours de circonstance ? Agendas coordonnés ? Rémy Mer et René Laporte, deux Français spécialisés dans les matières de bien-être animal et d’abattage étaient tous deux en Belgique fin novembre. Les organisateurs du 1er Sommet des Eleveurs et de la 16e journée des productions porcines et avicole les ont donc invités à décortiquer les questions de société liées à ces problématiques et amener des éléments de réponse aux éleveurs.

Temps de lecture : 7 min

Attaqué de toute part, le secteur de l’élevage doit faire face à de nombreuses polémiques liées au bien-être animal, à leur abattage… Face au désarroi de l’éleveur vis-à-vis du consommateur dans le cadre de sa relation au lait et à la viande, Emmanuel Grosjean, président du Collège des producteurs, s’est interrogé sur le phénomène.

« Les études montrent, notamment, une diminution de la consommation de 5 % pour la viande fraîche et de 12 % pour les boissons lactées fermentées. Les controverses interpellent et ne sont donc pas sans un certain impact sur le chiffre global des élevages… »

Voilà un an que le Collège des producteurs scrute trois quotidiens francophones de la presse écrite à la recherche d’articles relatifs aux secteurs laitier et viandeux. L’objectif ? Recenser le nombre d’articles qui traitent de ces sujets et déterminer le caractère positif ou négatif de chacun d’entre eux.

Une tendance positive

Sur les questions spécifiques de la viande (hors recette et agriculture en général), le Collège a dénombré une centaine d’articles, soit un article paru tous les 3 jours. Si on y regarde de plus près, 60 % de ceux-ci sont plutôt positifs, tandis que les autres 40 % sont plutôt négatifs.

Sur la question du lait, seuls 24 % des articles ont une approche négative. Quant à l’agriculture au sens large, quelque 30 % des articles l’ont également. « La question de la viande est donc plus polémique et véhicule une image plus négative que les deux autres sujets.

Et M. Grosjean d’affiner son analyse : « Plus les quotidiens sont de proximité, plus ils véhiculent une image positive du secteur, d’où l’importance des images et de la proximité vis-à-vis du consommateur. À noter que les journaux de type « généraliste » publient moins d’articles en lien à l’agriculture et près d’un rédactionnel sur deux véhicule des idées négatives. Un constat interpellant qui va permettre au Collège des producteurs de cibler davantage d’actions avec la presse.

Les vegans, jeunes mais influents

Emmanuel Grosjean s’intéresse ensuite aux jeunes et à leur source principale d’information : Internet ! Au vu des tendances observées sur le net, il constate que depuis 2011, le mot viande engendre un taux de consultation constant, après le terme « bio ». « Près de 90 % de ces recherches sont liées à des recettes, à une notion de plaisir, ce qui est plutôt rassurant. »

Pour le mot Vegan, c’est la surprise : le phénomène est très récent (2013) et prend de l’ampleur très rapidement. « C’est interpellant… Quelque chose est en train de se passer et il est nécessaire que le secteur en tienne compte ! »

L’abattage, la polémique

Si la production de viande soulève nombre de questions sur trois domaines principaux – l’environnement, la santé et la mise à mort des animaux –, c’est bel et bien la question de l’abattage qui pose problème à l’opinion publique. En effet, elle a une influence forte sur les gens.

Dans un même temps, on assiste à la disparition des abattoirs de proximité. Ne reste plus que quelques grandes structures travaillant en « boîte noire ». Le consommateur ne sait dès lors plus pas ce qui s’y passe, ce qui ne joue pas en faveur de l’abattoir.

L’orateur en veut pour preuve la radicalisation des associations liées au bien-être des animaux. La Cellule info viande, mise sur pied par le Collège des producteurs, a donc un rôle à jouer, et ce de manière à permettre aux gens de se positionner au mieux quant au débat lié aux modes de production de la viande.

Des critiques de plus en plus vives

Pour Rémi Mer, journaliste français spécialisé, les critiques adressées à l’élevage sont récentes mais croissantes et de plus en plus vives, notamment sous la pression des mouvements « animalistes », comme Gaia.

Si tous les consommateurs ne s’interrogent pas quant au statut et au bien-être de l’animal, la majorité d’entre eux estime que la protection du bien-être des animaux relève d’un devoir. Quel n’est donc pas leur désarroi lorsqu’une crise, comme celle de la vache folle ou des lasagnes à la viande de cheval, apparaît. Des controverses en naissent et suscitent des remises en cause des pratiques des acteurs des filières concernées.

Le statut de l’animal en question

La montée de ces préoccupations renforce les questions autour du statut de l’animal. En devenant radicaux, ces débats confirment les « problèmes publics » de l’élevage.

« Aujourd’hui, on retrouve deux types de relation à l’élevage, à la viande. On passe progressivement d’une population de « zoophages » (mangeur d’animaux, de bêtes…) aux « sarcophages » (mangeur de chair, de viande…), devenus apparemment majoritaires », explique M. Mer.

Et de poursuivre : « Le choc des révélations autour de certaines conditions d’élevage et plus encore de l’abattage n’en est que plus troublant, voire révoltant pour le consommateur, déjà défiant vis-à-vis des filières alimentaires. Les pratiques d’élevage sont donc loin d’être une évidence pour tous ceux qui vivent en milieu urbain.

Leurs questions sont très interpellantes et déstabilisent les mangeurs de viande. Faut-il encore en manger ? En quelle quantité ?… Tant de questions qui alimentent aujourd’hui le débat.

Par extension, l’industrialisation des modes de production (robotisation, génomique, concentration…) est elle aussi questionnée. Si les opérateurs économiques cherchent à s’adapter pour répondre aux attentes des consommateurs et des ONG, il faut regretter que les éleveurs soient très souvent absents des débats.

S’impliquer dans le débat

Pour l’orateur, personne ne va échapper à la question de l’élevage et de l’abattage. Et au vu des parties prenantes, le débat va tendre à se radicaliser. Il faut donc s’y préparer.

Devant tant de critiques, le risque serait de tomber dans le déni du bien-fondé des questions posées, de se focaliser sur les ONG les plus actives en criant au complot ou de se limiter aux critiques elles-mêmes, sans voir leur caractère plus global.

Selon lui, pour sortir des conflits et mieux anticiper ces sources d’incompréhensions la communication de proximité doit être privilégiée pour lever ces préjugés, dépasser les caricatures et au passage renforcer la fierté des éleveurs. Cela revient à travailler sur l’image (les perceptions et représentations) comme sur l’identité (les pratiques, les systèmes de production).

Et de prendre pour exemple : « L’objectif annoncé en France est de produire en 2022 près de 50 % d’œuf « alternatifs ». De même, un quart des porcs allemands serait déjà positionné sur ces normes de bien-être, avec le soutien des distributeurs. »

Réconcilier le citoyen avec l’élevage

L’urgence et les priorités sont bien de réconcilier les citoyens avec l’élevage comme avec la viande, d’éviter les réglementations spécifiques, et de rechercher en même temps plus de valeur ajoutée.

L’élevage intensif pâtît d’une mauvaise image car on lui associe la souffrance animale. L’acceptabilité des élevages est donc bien posée ; il faut dès lors accompagner les porteurs de projet pour se préparer à mieux communiquer sur leurs élevages.

Les éleveurs doivent être sensibilisés au plus vite à ces questions de bien-être. Les remises en cause de l’élevage industriel et de l’abattage ne vont pas s’estomper. Il ne s’agit pas tant de communication que de dialogue, pour faire émerger et accepter les désaccords ou malentendus, et parfois de médiation…

Et Rémy Mer d’interpeller : « L’éleveur doit pouvoir prouver qu’il tient compte du bien-être animal dans ses pratiques. Dialoguer, se donner des outils pour argumenter et débattre, parler de sa relation à l’animal, de sa passion, éviter les mots tendancieux, pouvant être mal interprétés… N’oubliez pas que les produits issus de l’élevage sont chargés d’une forte symbolique à laquelle le consommateur pense quand ils vous entendent. »

Et d’en venir aux réseaux sociaux : « On n’a pas toujours les outils pour voir ce qui se passe sur les réseaux sociaux, ni pour réagir. De véritables questions sont posées à l’élevage et constituent un mouvement de fond. Il faut le tenir à l’œil. »

Les détracteurs n’ont que trop insister sur les aspects négatifs, d’où la nécessité de mettre en avant les aspects positifs. « Eleveurs, soyez consciencieux… Rééquilibrez la balance et montrez l’élevage sous son meilleur jour ! Le climat actuel de tension n’est durable pour personne ! Il faudra certainement du temps pour trouver un nouvel équilibre… », conclut-il.

P-Y L.

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