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Les phytos souffrent du manque

de connaissance de nos concitoyens

Ces dernières décennies, les produits phytosanitaires sont devenus de plus en plus sûrs pour l’environnement et la santé humaine, en raison de procédures d’évaluation strictes. Cependant, le sentiment de crainte qu’ils suscitent auprès des consommateurs ne cesse de croître. Une situation interpellante qui s’explique de diverses manières mais ne semble pas irréversible. À condition d’œuvrer en toute transparence – moyennant certaines précautions – et d’améliorer un processus d’évaluation déjà très rigoureux.

Temps de lecture : 8 min

Néonicotinoïdes, glyphosate… Ces produits défrayent la chronique depuis plusieurs mois, voire années. Les premiers, dont certains ne peuvent désormais plus être utilisés qu’en serre, sont accusés d’être des tueurs d’abeilles. Le second anéantirait la vie des sols et serait cancérigène, selon ses détracteurs.

Néanmoins, ces produits sont essentiels au travail de nombreux agriculteurs. Leur toxicité semble souvent exagérée, selon les autorités qui mettent en avant les normes de plus en plus strictes auxquelles doit répondre tout produit phytosanitaire ou engrais mis sur le marché, que ce soit en matière de santé humaine, d’exposition, d’environnement, de toxicologie…

Malgré ces hauts niveaux d’exigence, la perception qu’a le grand public de ces intrants (et du risque éventuel qu’ils représentent) ne s’est pas améliorée ces dernières années, bien au contraire. À un point tel que cela a eu impact régulatoire et a entraîné le retrait de plusieurs produits du marché. Mais comment en est-on arrivé-là ? Le grand public a-t-il une trop grande influence sur les instances décisionnelles ? Comment inverser la tendance actuelle ? Éléments de réponse avec Philippe Castelain, senior expert en toxicité humaine chez Sciensano, à l’occasion des 60 ans du Comité d’agréation des pesticides à usage agricole.

Évaluations plus strictes

« Depuis la fin des années ‘70, le processus d’autorisation des produits phytopharmaceutiques et la législation qui lui est associée ont fortement évolué », débute-t-il.

Ainsi, les premières lignes directrices européennes apparaissent en 1978. D’une part, elles concernent l’étiquetage des produits. D’autre part, elles définissent les produits autorisés ou non sur le marché par le biais d’une liste négative. L’évaluation des produits et substances actives était dévolue aux États membres.

En 1991, l’analyse du risque (toxicologie, problématique des résidus…) est véritablement intégrée dans une nouvelle directive. L’évaluation des produits reste nationale mais la liste devient positive. Seuls les produits y figurant peuvent être appliqués au champ.

Enfin, c’est en 2009 qu’a vu le jour le règlement 1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives précédentes. Si celles-ci se contentaient de définir les objectifs à atteindre par les États membres mais leur laissaient le libre choix de la manière d’y parvenir, le règlement, lui, est contraignant. Plus sévère, il doit être mis en œuvre dans son intégralité dans toute l’Europe. L’évaluation devient zonale (l’Union européenne est découpée en trois zones : nord (6 pays), centre (13 pays dont la Belgique) et sud (9 pays)) mais peut être complétée par d’éventuelles exigences nationales.

Sûrs mais considérés comme dangereux

En parallèle, la perception du risque que présentent les produits phyto à elle aussi évolué. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ils étaient considérés comme parfaitement sûrs. Mais dès le début des années ‘80, une certaine méfiance est née dans l’opinion publique et s’est prolongée dans les années ‘90. Actuellement, ces produits sont considérés comme dangereux.

« Alors que les substances utilisées sont mieux évaluées et moins toxiques pour l’environnement et l’utilisateur, un sentiment de danger s’est propagé au sein de la population », déplore Philippe Castelain. La raison ? « Les mesures prises pour protéger le monde extérieur attiseraient les peurs ».

Mais l’expert cible aussi l’influence que peuvent avoir les médias ou certaines organisations non gouvernementales. « Tantôt, les informations diffusées laissent croire que les autorités cachent certains éléments. Tantôt, l’amalgame est fait entre danger et pesticides », poursuit-il. « Quand ce ne sont pas de fausses vérités ou des demi-vérités qui sont « révélées » aux lecteurs, auditeurs, spectateurs, soutiens, activistes… »

Certaines comparaisons hasardeuses, entre le glyphosate et l’amiante ou les cigarettes par exemple, sont également pointées du doigt. « Du côté de l’amiante, les résultats des recherches menées sont explicites : c’est un agent cancérigène avéré ». Et pour le glyphosate ? « Les études ne prouvent, notamment, ni effet génotoxique, ni lien de cause à effet chez l’homme. » Ce qui a conduit l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) à ne pas classer le glyphosate parmi les substances cancérogènes. « Aucune raison donc de comparer ces deux produits », défend-il.

Inconnu, donc risqué ?

Philippe Castelain met également en évidence certaines incohérences qu’a que le grand public dans la perception des risques.

Ainsi, selon l’Eurobaromètre des risques liés aux aliments publié en 2010 par la Commission européenne, 72 % des consommateurs se montrent inquiets face à la présence éventuelle de résidus de pesticides dans les fruits, légumes et céréales. Ils ne sont toutefois que 62 % à craindre les intoxications alimentaires provoquées par des bactéries comme la salmonelle (dans les œufs) ou la listeria (dans les fromages). « Cela démontre qu’il y a une sous-estimation du danger « naturel » de certaines choses », explique-t-il.

Il poursuit : « Un médicament antisida aura bonne presse car il permet d’augmenter les chances de survie des malades. Même s’il accroît aussi les risques de cancer ». Au contraire, les effets bénéfiques des pesticides, comme la certitude de disposer d’une production alimentaire de haute qualité, sont souvent ignorés de la société. Conséquence : elle rejette ces produits, sur base des éventuels risques qu’ils présentent et par méconnaissance.

Cela s’explique par le fait qu’une personne lambda aura toujours une faible perception des risques que présente un produit qui lui est familier, dont l’ingestion est volontaire et contrôlable ou encore dont l’origine est naturelle. A contrario, un produit moins connu, d’origine chimique ou dont l’ingestion n’est ni volontaire, ni contrôlable souffrira plus fréquemment d’une mauvaise réputation.

Philippe Castelain rappelle encore qu’en cas de doute sur un produit, le principe de précaution prévaut. Si certaines informations scientifiques sont manquantes ou laissent supposer que ledit produit présente des risques de dommages graves, des mesures de retraits temporaires sont immédiatement prises. Durant ce temps, des études complémentaires sont menées afin de combler le manque de connaissance et d’évaluer les risques. Au terme de cette étape, le retrait est soit confirmé, soit levé. Aucune raison, donc, de s’inquiéter.

Avec transparence… et précautions

« Amener plus de transparence dans le secteur, et surtout au niveau des résultats des études préalables à la mise sur le marché des produits phytosanitaires, permettrait de lever les craintes et de réaliser de meilleures évaluations », plaide l’expert.

Et de citer un exemple : « Le glyphosate a été évalué comme non-cancérigène par les autorités sur base d’études publiées et de recherches menées par l’industrie (et réalisées selon la législation en vigueur et les bonnes pratiques de laboratoire). Le Centre international de recherche sur le cancer est arrivé à la conclusion inverse, mais ne s’est basé que sur les études publiées. S’il avait utilisé les mêmes données que les autorités, ses conclusions auraient peut-être été tout autres ».

Vu qu’elles ne disposent pas des mêmes données, la discussion entre les parties n’est en outre pas possible. En revanche, si les différents acteurs ont accès aux mêmes données, en toute transparence, mais n’arrivent pas aux mêmes conclusions, une discussion est possible.

Toutefois, la question de la transparence totale des données scientifiques soulève un problème de taille. « Celles-ci seront accessible à tous, laissant ainsi la place à une interprétation non-professionnelle par tout un chacun. » C’est-à-dire également par des personnes n’ayant aucune connaissance du sujet et qui, malgré cela, remettraient en cause les autorisations octroyées aux produits de protection des plantes à l’issue d’une évaluation professionnelle. « On risque donc de voir se développer un sentiment de crainte vis-à-vis des décisions prises par les autorités »

Pour éviter cela, les autorités se doivent d’expliquer, de contextualiser précisément le processus d’évaluation ainsi que les résultats obtenus. « Ce qui demande des ressources financières et humaines mais aussi de savoir si la publication des données se fait avant, pendant ou après la mise sur le marché d’un produit », ajoute Philippe Castelain.

Vers des évaluations plus qualitatives

D’autres solutions sont encore proposées en vue d’améliorer la qualité des évaluations menées. Ainsi, le Comité d’agréation des pesticides à usage agricole plaide pour une meilleure exploitation des résultats des recherches financées par l’Union européenne, mais aussi pour une communication accrue entre chercheurs de l’industrie, des universités et des services publics.

Philippe Castelain poursuit : « À cela s’ajoute l’importance de prendre des décisions cohérentes aux niveaux international, national et régional. Observons la Belgique : trois régions et aucune décision commune concernant le glyphosate… ».

Outre la communication et la transparence, le Comité prône un renforcement du contrôle des bonnes pratiques de laboratoire (attestant de la bonne conduite des recherches), notamment en dehors de l’Union européenne. L’objectif : pouvoir faire confiance en toutes les études, qu’elles soient issues de l’industrie ou de centres de recherches. Un registre d’études, consultable par les autorités, devrait être créé au niveau des laboratoires. En cas de doutes sur un produit, des études de sécurité ad hoc devraient être menées et financées par les instances officielles.

Enfin, le Service public fédéral Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement (duquel dépend le Comité d’agréation) souhaite que des mesures soient prises au niveau de l’Union européenne afin de garantir une surveillance de la qualité des évaluations, via une répartition équitable des évaluations des substances actives auprès de divers États membres, le renforcement du rôle de l’Efsa, une meilleure communication sur la prise de décision finale au niveau de la Commission européenne et la création d’un contexte légal sur la manière d’intégrer toute nouvelle technique scientifique utile dans le processus actuel d’évaluation.

J.V.

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