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Suis-je obligé d’accepter les eaux d’un lotissement ?

Je suis propriétaire d’une parcelle en contrebas d’un terrain dont les eaux de ruissellement inondent mes terres. Le propriétaire du terrain supérieur projette d’y installer un lotissement d’environ 50 habitations. Il en résulterait environ 3,6 ha de béton sur une parcelle de 4,2 ha. Les deux terrains sont séparés par un chemin agricole de terre. Le projet se situe en zone d’habitation. Les eaux pluviales ainsi que les eaux usées devront passer par ma propriété. Quels sont mes droits ?

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Il est clair, qu’il y a ici une servitude d’écoulement en faveur du terrain supérieur. Selon l’article 637 du Code Civil (C.C.) une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire.

Ensuite, le Code Civil précise que la servitude n’établit aucune prééminence d’un héritage sur l’autre et qu’elle dérive ou de la situation naturelle des lieux, ou des obligations imposées par la loi, ou des conventions entre les propriétaires.

La servitude d’écoulement est un exemple d’une servitude dérivant de la situation naturelle des lieux. L’article 640 stipule que les fonds inférieurs sont assujettis à ceux plus élevés, à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l’homme y ait contribué. Le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement.

Le propriétaire supérieur ne peut par ailleurs rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur.

Défense d’aggraver

La dernière phrase de l’article 640 est importante dans votre situation : le propriétaire du terrain supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur. Il nous semble qu’un tel projet peut être considéré comme une aggravation de la servitude vu que le volume sera considérablement augmenté.

L’art. 640 C.C. ne s’applique pas, en outre, aux eaux d’égout (Bruxelles, 2 juin 1989, Res. Jur. Imm. 1990, 57). Si le projet prévoit un écoulement des eaux d’égout, le prétexte de servitude ne peut être utilisé, ce n’est pas autorisé.

Pour être complet, nous vous signalons l’article 702 C.C., celui-ci dispose que celui qui a un droit de servitude ne peut en user que suivant son titre, sans pouvoir faire, ni dans le fonds qui doit la servitude, ni dans le fonds à qui elle est due, de changement qui aggrave la condition du premier. Cet article interdit donc en termes généraux que la servitude soit aggravée.

Que faire ?

Si le propriétaire du terrain supérieur ne respecte pas l’interdiction d’aggraver la servitude, vous pouvez réaliser une procédure devant le Juge de Paix. Vous pouvez tout d’abord demander une conciliation devant le Juge de Paix. Cette procédure se passe sans frais de justice et ne nécessite pas d’avocat. Le Juge de Paix peut même descendre sur les lieux. Dans ce cas, ce dernier ne demande éventuellement que des frais de déplacement. Cette procédure en conciliation n’est cependant pas obligatoire.

Si vous ne pouvez pas vous contenter du projet en conciliation, la procédure sera poursuivie quant au fond avec une action qui tend à nier l’existence d’une (telle) servitude. Bien entendu, cette procédure comporte des coûts.

Le permis d’urbanisme

Il est clair que le lotissement et la construction des maisons nécessitent plusieurs permis. Vous feriez bien de faire part de vos remarques lors de l’enquête publique. Néanmoins, les discussions concernant une servitude sont en général rarement une raison de refus permis (à lotir comme à bâtir).

Les permis sont délivrés sous réserve des droits civils. Cette proposition est admise en principe sous l’empire du Code wallon de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme, du patrimoine et de l’énergie (CWATUPE) et est explicitement formulée dans le Code du développement territorial (CoDT) et le décret relatif au permis d’environnement. (PACQUES, M., permis et droits civils, Larcier) L’aggravation de la servitude ne peut pas en soi enfermer le permis.

Sur ce sujet le Conseil d’État a rendu un arrêt intéressant dans lequel le Conseil précise que les règles de droit civil ne constituent pas des règles de police d’aménagement du territoire au regard desquelles la légalité d’une demande de permis doit être examinée. Il est toutefois possible que la méconnaissance d’une règle de droit civil par le projet, indépendamment de sa conséquence en droit civil, soit la cause d’une mauvaise urbanisation. Dans ce cas, il appartient à l’autorité chargée d’instruire la demande de se prononcer sur ce point de bon aménagement des lieux. Un litige de droit civil doit donc être pris en compte par l’administration saisie d’une demande d’autorisation quand il est connu de celle-ci au moment où elle statue et elle peut estimer que son enjeu est de nature à entraver la mise en œuvre d’un projet conforme au bon aménagement des lieux. (C.E. (13ième ch.) 7 juin 2016, nº 234.979, Amén. 2017 (reflet DELNOY, M.), liv. 1, 38).

En vertu de cet arrêt, il nous semble opportun de lancer la prédite procédure devant le juge de paix, ainsi que de soulever des objections contre la demande d’un permis d’urbanisme.

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