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« En Belgique, le travail a déjà été réalisé »

La semaine dernière, la Raffinerie Tirlemontoise affirmait dans un communiqué être « un partenaire fort et fiable pour l’agriculture belge, aujourd’hui et demain ! » et rassurait quant à la restructuration annoncée par Sudzucker. Erwin Boonen et Guy Paternoster, respectivement directeur Matières premières et membre du Comité exécutif de la RT commentent.

Temps de lecture : 8 min

Dans ce communiqué, vous écartez toutes possibilités de fermeture d’usine en Belgique…

Guy Paternoster : Le groupe a pris la décision de fermer cinq de ses usines européennes, en Allemagne, France et Pologne. La Belgique n’est pas concernée. Chez nous, le travail a déjà été fait il y a quelques années avec les fermetures de Genappe, Hollogne et Brugelette. Au niveau administratif, une restructuration a également eu lieu il y a 4 ans. On ne peut jamais dire jamais mais il n’y a aucune raison d’envisager de nouvelles fermetures. La seule chose qui pourrait changer la donne c’est l’arrêt de la culture de la betterave en Belgique et on est loin d’en être là.

Erwin Boonen : Nous avons déjà fait ce qu’il fallait et nous pouvons aujourd’hui compter sur deux usines qui se portent bien. De plus, les fermetures n’ont jamais été accompagnées de réduction de production. Il n’y a jamais eu d’impact sur la capacité de travail des planteurs et il n’est pas question de changer cela. Qu’elles soient produites près ou loin, les planteurs pourront toujours nous livrer leurs betteraves et elles seront, en fonction de leur qualité, payées à l’identique.

Pas de modification non plus à l’avenir concernant les contrats ?

G.P.: Aucun changement n’est à prévoir concernant les conditions d’accès et les quantités à livrer mais il n’est pas impossible que quelques modifications soient apportées à la structure des contrats pour 2020. Les choses ne sont pas figées comme dans le système des quotas. Nous sommes dans une nouvelle ère et des apprentissages devaient être faits. De base, il s’agira toujours de contrats prioritaires liés à la participation Sopabe-T mais, pour le reste, les discussions vont seulement démarrer.

Le contexte sucrier n’est pas des plus favorable…

G.P.: En effet, avec la fin des quotas et la libéralisation de la production, le marché mondial du sucre s’est effondré et a entraîné avec lui le marché européen. La production mondiale de sucre avoisine les 190 millions de tonnes. Outre l’augmentation de production en Europe, on doit faire face à une surproduction en Thaïlande, en Chine, en Inde et au Pakistan. Dans ces deux derniers pays, il existe même des subsides à l’exportation. Le Brésil est également en surcapacité et offre un support fort à la culture de canne.

Néanmoins, la consommation mondiale de sucre augmente chaque année d’environ 2 % et la campagne 2018 a été très moyenne. La Belgique ne s’en sort pas si mal mais, au niveau européen, on a produit deux à trois millions de tonnes en moins. En 2019 et 2020, on prévoit un bilan déficitaire. Le marché devrait donc se raffermir. Tous les indicateurs penchent vers un mieux.

L’augmentation de production et ses effets sur les marchés étaient prévisibles. Pourquoi ne pas avoir choisi de la limiter dès le départ au sein du groupe ?

G.P.: Tous les fabricants ont la même stratégie de réduction des coûts fixes. C’est logique, leurs usines doivent tourner au maximum. Ça a sans doute amplifié le problème mais, si nous ne l’avions pas fait individuellement, le résultat global n’aurait pas été si différent.

Il n’empêche qu’aujourd’hui, compte tenu de la crise qui touche tous les pays européens, nous réclamons des mesures à l’Europe.

Nous demandons tout d’abord, la réintroduction d’une intervention publique comme c’est le cas dans d’autres secteurs. L’Europe pourrait racheter du sucre en cas de crise et alléger le marché. Actuellement des mesures facilitant les importations sont prévues en cas de prix à la hausse mais rien en cas de prix à la baisse, si ce n’est le stockage privé par les fabricants qui n’a pas vraiment d’impact.

Ensuite, nous sollicitons la mise en place d’un mécanisme autorisant les fabricants et les planteurs à maîtriser la production. Cela pourrait se faire au travers d’une organisation de branche nationale et européenne. Mais, il ne faut pas rêver non plus, nous ne reviendrons jamais à l’ère des quotas.

E.B.: C’est très bien d’avoir une réflexion individuelle mais, il ne faut quand même pas oublier que l’impact de l’Europe sur l’ensemble du monde est très faible. L’Europe a augmenté sa production de sucre de 5 millions de tonnes mais au niveau mondial l’augmentation était de 15 millions de tonnes. C’est cette augmentation-là qui a fait chuter les prix. L’Europe n’est qu’un petit acteur et, la surface et les quantités contractuelles ne sont que deux éléments d’influence parmi tant d’autres.

D’autres menaces pèsent sur le secteur. Comment avez-vous prévu d’y faire face ?

G.P.: Le sucre n’a pas vraiment bonne presse chez nous. Sa consommation en Europe n’augmentera plus mais, au niveau mondial, c’est toujours le cas. Nous travaillons donc sur son image car, outre son pouvoir sucrant, le sucre est surtout utilisé pour ses pouvoirs conservateur et stabilisant.

Les produits de protection des plantes sont également sous pression, mais la recherche travaille à des alternatives et nous sommes confiants.

E.B.: Nous misons également sur les activités variées du groupe qui nous permettent de répondre aux besoins et à la demande de la société en général. Nous ne sommes pas tributaires de la seule activité sucre. Nous nous préparons à un avenir diversifié et nous pouvons compter sur les activités de Beneo et BioWanze.

On parle de plus en plus du sucre bio, vous travaillez déjà la betterave bio ?

G.P.: Depuis 2 ou 3 ans, on sent l’intérêt de plus en plus marqué de l’industrie pour le sucre bio. En Belgique, nous nous faisons la main. Des tests ont été menés par quelques planteurs l’année passée et ils seront élargis cette année. Mais, il y a clairement un apprentissage à faire de la part des agriculteurs, notamment en ce qui concerne le désherbage mécanique. Dans la mesure où ce produit a une meilleure valorisation sur le marché et au vu des rendements moindres, un prix plus élevé peut par contre être envisagé.

Dans votre communiqué du 25 février, vous parlez d’investissements importants. Pouvez-vous nous donner plus de détails ? Des rénovations sont-elles prévues dans les sucreries belges ?

G.P.: Le groupe Südzucker a déjà investi plus d’un 1 milliard d’euros dans ses activités belges avec une répartition équivalente entre le sucre, l’énergie et les spécialités (Beneo). Cela confirme un ancrage belge fort et son souhait de continuer à développer ses activités sur notre territoire.

Les sucreries subissent des pannes à chaque campagne. Cela impacte l’approvisionnement, les agriculteurs ont donc tendance à y être sensibles mais cela ne signifie pas pour autant que les installations sont vieillissantes. Nous possédons des outils performants et des investissements y sont déjà planifiés pour les trois prochaines années. En moyenne, chaque année, 15 à 20 millions sont investis dans les sucreries.

Vous saluez également l’intégration des planteurs belges (Sopabe-T) à l’association des planteurs allemands…

G.P.: La participation des planteurs belges au capital sous la forme de parts Sopabe-T a démarré en 1991 et avait pour but d’assurer un ancrage belge de la production et sécuriser les débouchés pour les betteraviers belges. Personnellement, je vois cette conversion des parts comme un moment historique. C’est la première fois en Europe que des agriculteurs de pays différents vont se retrouver dans le même actionnariat d’une société agroalimentaire. C’est une coopérative internationale qui est en train de se mettre en place. Le poids des agriculteurs belges sera équivalent à celui d’une des régions allemandes. Nous ne serons pas majoritaires, mais cela nous permettra d’être à la même table que les actionnaires.

E.B.: Ce n’est pas le nombre qui est important, mais bien le fait que l’on puisse faire connaître et reconnaître la situation belge et que l’on en tienne compte lors des prises de décisions. C’est une information que nous relayions déjà avant, mais elle aura encore plus de poids si elle vient des planteurs.

Pour la campagne 2018, un complément de prix est-il possible ?

C’est un sujet pour lequel les discussions ne démarreront que plus tard dans l’année. Le faible prix du sucre a logiquement entraîné un moins bon prix des betteraves et nous sommes conscients qu’un complément de prix serait le bienvenu pour les agriculteurs. Mais la situation de l’activité sucre n’est pas évidente non plus. Elle reste solide grâce aux autres activités du groupe, mais la RT est pour l’instant déficitaire et le restera jusqu’en septembre.

Votre avis sur le projet de sucrerie coopérative à Seneffe ? Un concurrent de trop ?

G.P.: Toute nouvelle implantation est un concurrent, qu’il s’agisse d’un projet de planteurs belges ou d’étrangers. On parle d’un nouvel acteur dans une région d’Europe qui est déjà en surproduction et on ne voit pas spécialement ça d’un bon œil. C’est une bonne idée que les agriculteurs se posent la question de maîtriser leur outil de transformation, c’est d’ailleurs ce que les planteurs allemands font et c’est aussi l’idée de la Sopabe-T. Mais, tout cela va venir alourdir le marché alors que les planteurs belges peuvent très bien trouver des débouchés dans les deux groupes sucriers belges.

E.B.: Ça va à l’encontre de ce que nous faisons. Le groupe prend ses responsabilités en diminuant sa production de sucre et participe ainsi à l’assainissement du secteur. Toute augmentation de production structurelle est défavorable au marché.

Propos recueillis par DJ

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