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Et à la fin du match,

c’est toujours l’agriculture… qui se retrouve perdante !

L’accord de libre-échange entre d’une part, le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et d’autre part, l’Union européenne a été signé le vendredi 29 juin. Un résultat obtenu sur le dos de l’agriculture, dénoncent ensemble les organisations professionnelles de l’UE. Ce compromis doit toutefois encore être approuvé par les 28 États membres et le Parlement européen.

Temps de lecture : 8 min

« Il ne faut pas nier que nous avons dû faire des concessions importantes pour parvenir à un résultat équilibré et ambitieux », a dû admettre le commissaire européen à l’Agriculture Phil Hogan le 28 juin, commentant l’accord commercial que venaient de conclure à 19 h à Bruxelles les négociateurs de la Commission européenne et du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay).

De son côté, la secrétaire d’État argentine au Commerce extérieur, Marisa Bircher, qualifiait d’historique, l’accord obtenu 20 ans après le début des discussions entre les deux entités, qui concerne plus de 770 millions de consommateurs et quelque 18.000 milliards de PIB, soit le quart du produit intérieur brut mondial, relevaient Belga et l’AFP.

Un accord jugé catastrophique par les organisations agricoles de l’UE – et aussi par les écologistes – qui ont dénoncé notamment l’ouverture du marché européen de denrées produites selon des critères environnementaux et sociaux bien moindres.

Lourdes concessions

Pour parvenir à ce compromis, le Mercosur a accepté d’ouvrir grand ses portes à l’industrie européenne, tout particulièrement ses voitures, mais aussi ses produits chimiques et pharmaceutiques, ainsi que ses marchés publics. En échange, l’UE consent à de lourdes contreparties dans le secteur agricole. Elle s’est ainsi engagée à ouvrir d’importants contingents d’importation tarifaires pour une série de produits sensibles, notamment : graduellement sur 5 ans, 99.000 tonnes de viande bovine (quelque 44.000 t étant réservées au Brésil), dont 55.000 t de viande fraîche et réfrigérée et 45.000 t de viande congelée pour la transformation, au droit préférentiel de 7,5 % ; sur 5 ans également, 180.000 t de volaille à droit nul ; 180.000 t de sucre à droit nul ; sur 5 ans, 650.000 t d’éthanol (dont 450.000 t pour l’industrie chimique), avec un droit de 6,4 €/hl pour le produit non dénaturé et de 3,4 €/hl pour le produit dénaturé.

Le Commissaire européen à l’Agriculture tente de rassurer

Phil Hogan a tenté de rassurer les agriculteurs et éleveurs européens en précisant que ces importations devront « respecter les normes strictes de l’UE en matière de sécurité alimentaire », que l’accord « confirme explicitement le principe de précaution » et qu’il prévoit des « mesures de sauvegarde » en cas d’augmentation soudaine des importations susceptible de causer un préjudice grave au secteur concerné.

« La Commission est également disposée à aider les agriculteurs à procéder aux ajustements nécessaires, avec un soutien financier pouvant atteindre 1 milliard € en cas de perturbation du marché », a-t-il également promis. En échange de ses concessions, dont le but était notamment d’obtenir l’ouverture du marché du Mercosur pour les produits industriels européens, les voitures en premier lieu, l’Union européenne a obtenu des quatre pays sud-américains, parmi ses « intérêts offensifs » agricoles, la protection de 357 indications géographiques, l’ouverture de leur marché pour un contingent de 30.000 t de fromage avec des droits réduits à zéro sur 9 ans ainsi que l’abolition à terme de leurs droits sur le vin.

« Inacceptable », clament les agriculteurs européens révoltés

Par la voix de leurs organisations professionnelles, les agriculteurs européens ont immédiatement fustigé cet accord commercial qui les place selon eux face à une concurrence déloyale et qu’ils dénoncent depuis des mois.

« Les organisations d’agriculteurs et les organisations coopératives ont mené une longue campagne pour expliquer toutes les conséquences directes d’un tel accord. Et malgré cela, des concessions substantielles ont été faites dans le domaine agricole, notamment en ce qui concerne certains des secteurs les plus sensibles de l’UE, tels que la viande bovine, la volaille, le sucre, l’éthanol, le riz et le jus d’orange », s’insurgeait d’emblée le secrétaire général du Copa et Cogeca, Pekka Pesonen.

Le Copa et la Cogeca décrient « une politique commerciale sur le mode « deux poids et deux mesures », qui élargit le fossé entre ce qui est demandé aux agriculteurs européens et ce qui est toléré des producteurs du Mercosur », dont les normes sanitaires et environnementales ne sont pas les mêmes qu’en Europe ».

En Allemagne, le patron du Deutscher Bauernverband, premier syndicat du pays, a jugé l’accord totalement déséquilibré, au point de mettre en péril beaucoup d’exploitations agricoles familiales.

En France aussi, la pilule ne passe pas. La patronne de la Fédération française des syndicats d’exploitants agricoles, Christiane Lambert, a dénoncé « un coup dur pour l’agriculture et un mensonge, une tromperie pour les consommateurs », soulignant que « 74 % des produits phytosanitaires utilisés au Brésil sont interdits en Europe ». La Fédération nationale bovine appelle les agriculteurs à manifester et demande au Conseil et au Parlement européen de ne pas accepter l’accord conclu par la Commission le 28 juin.

Le coup de grâce pour le BBB

Chez nous, rapporte Belga, la fédération du commerce de bétail a calculé que l’accord commercial avec le Mercosur coûterait plus de 50 millions d’euros par an à la filière bovine belge et pourrait constituer l’arrêt de mort de la race BBB. Selon son secrétaire général Benoît Cassart, « les contingents de viande octroyés au Brésil, à l’Argentine, au Paraguay et à l’Uruguay seraient en effet essentiellement des morceaux à haute valeur ajoutée telles que les entrecôtes et les contrefilets ». Actuellement, la différence de prix pour ces pièces entre l’Amérique du Sud et l’Europe est de l’ordre de 5 euros par kg. « Ces arrivées massives vont, par effet domino, pousser également le prix de toutes les autres pièces de boucherie vers le bas », s’inquiète encore M. Cassart.

« Quand la filière belge aura disparu, le consommateur européen sera pénalisé tant sur le prix que sur la qualité ou l’impact environnemental », ajoute-t-il, implorant le monde politique de prendre ses responsabilités.

L’agriculture familiale européenne sacrifiée, juge la Fwa…

« Qu’il s’agisse de l’élevage bovin ou avicole, de la production sucrière ou d’éthanol, il semble de plus en plus évident qu’à aucun moment, on a tenu compte des modes de production diamétralement divergents entre le modèle familial européen respectant des normes sanitaires et environnementales élevées et le modèle industriel de l’Amérique du Sud », dénonce le syndicat agricole wallon qui considère que cet accord est « un non-sens climatique, écologique et social ».

Dans un contexte économique très difficile pour toute notre agriculture, la production betteravière et l’élevage allaitant wallon risquent d’être particulièrement impactés. L’élevage bovin occupe un marché de niche dans notre pays où les morceaux à haute valeur ajoutée, malgré un recul, conservent une part de marché importante. « Or, ceux-ci sont un segment de marché intéressant à l’exportation pour les pays du Mercosur », observe la Fwa. Réclamant depuis longtemps un meilleur étiquetage des viandes transformées, le syndicat wallon dit espérer qu’une meilleure information du consommateur sur l’origine de la viande dans les préparations lui permettra de mieux orienter ses choix d’achat.

Alors que la question climatique est une préoccupation urgente et majeure, la Fwa pointe aussi la totale contradiction entre les concessions faites et les objectifs fixés par ailleurs.

… qui invite à des achats responsables

Pour tout produit alimentaire, la Fwa recommande donc aux consommateurs qui souhaitent faire des achats responsables d’être attentifs à la provenance des produits qu’ils choisissent et de préférer les aliments issus de nos productions belges et wallonnes.

La Fugea dénonce un manque de respect

« Cet accord est en totale contradiction avec les engagements de l’Union européenne sur de nombreux dossiers environnementaux, économiques et sociaux. C’est un manque de respect pour la démocratie, nos agriculteurs, nos citoyens et notre planète », lâche la Fugea. Et celle-ci d’estimer que la Commission européenne a pris une initiative anti-démocratique en forçant l’accord alors qu’elle est en partance et donc « en affaires courantes ».

« Une nouvelle fois utilisé comme variable d’ajustement, le secteur agricole européen est directement menacé par cet accord. La Commission européenne elle-même reconnaît les difficultés qu’aura le secteur et promet une aide financière jusqu’à un milliard d’euros en cas de perturbation du marché ». Pour la Fugea, cet accord accentuera encore plus la mise en concurrence de notre agriculture avec des productions ne respectant pas les normes strictes imposées aux agriculteurs européens. Une concurrence déloyale qui se traduira inévitablement par une pression à la baisse sur les prix des produits agricoles européens et donc sur le revenu des agriculteurs. Dans une filière d’élevage déjà fragilisée, le coup pourrait être fatal pour nos producteurs. »

L’Europe impose des normes environnementales, sanitaires, et de bien-être animal très élevées. Ces normes sont justifiées et en bonne adéquation avec l’agriculture durable, respectueuse des animaux et liée au sol que nous pratiquons. « Elles garantissent la qualité des produits de l’assiette des consommateurs qui sera remise en question avec l’arrivée sur nos marchés de viande low-cost provenant du Mercosur. Une situation à l’opposé des attentes de nos citoyens à la recherche d’aliments de qualité produits en toute transparence », poursuit la Fédération unie de groupements d’éleveurs et d’agriculteurs.

« Renforcer l’import de produits agricoles que nous produisons largement chez nous est une aberration d’un point de vue climatique. Signer l’accord avec le Brésil, qui menace de se retirer de l’accord de Paris, est hypocrite. Il est également inconscient de confier la production de viande à des pays où cette production se fait au détriment de la conservation de la biodiversité. »

Pour le syndicat, il est donc irresponsable de signer un tel accord : « Par respect pour nos agriculteurs et citoyens, nous demandons que la Belgique soutienne cette position au Conseil de l’Union européenne ».

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