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Ah ça ira, ça ira

Temps de lecture : 4 min

Le mythe du Phénix qui renaît de ses cendres est éternel. Dans l'histoire du monde et de l'humanité, chaque fin de cycle correspond à la disparition d'une espèce ou d'une civilisation dominante. Comme la nature a horreur du vide, celui-ci est plus ou moins rapidement comblé par l'émergence de choses nouvelles, inédites, plus aptes à s’accommoder des changements. Les mammifères ont remplacé les dinosaures voici soixante millions d'années ; les Romains ont émergé face aux Grecs et aux Égyptiens ; la digitalisation a balayé les moyens de traitement classiques en ce début de 21e siècle.

Rien n'est figé, tout progresse ou régresse, vers un pire ou un meilleur. De même, notre «vieille» agriculture familiale traditionnelle vit ses dernières années dans nos pays occidentaux. Nous assistons en direct à son enterrement de première classe, en technicolor, tandis qu'une autre, de plus en plus diversifiée, est portée sur les fonts baptismaux. Cette nouvelle agriculture, foisonnante en apparence, semble partir dans tous les sens et suivre des pistes parfois diamétralement opposées, slalomant entre évolutions et révolutions. Mais pas le choix, faut y aller ! Et comme le chantaient les révolutionnaires français en 1789 : «Ah ça ira, ça ira! ».

Le temps, tel que nous le percevons, s'ordonne en une suite de cycles répétitifs : le cycle jour-nuit, ceux de la lune, celui des saisons, etc. Naissance, vie, mort. En 12.000 ans, depuis les premiers balbutiements du Néolithique jusqu'en 1950, l'agriculture a connu une histoire très peu chahutée, et des cycles très longs, d'une durée chacun de plusieurs siècles. La paysannerie a constitué pendant ce temps interminable la grande majorité de nos populations.

Une véritable révolution

«En Europe de l'Ouest, le monde paysan est passé de l'écrasante majorité à l'infime minorité, en moins de cinquante ans! Il s'agit là de l'événement majeur de la seconde moitié du vingtième siècle», affirmait le philosophe français Michel Serres. La belle aventure se termine, inutile de pleurer sur un passé révolu. En négligeant son agriculture ancestrale, le monde a sans doute commis une grave erreur. D'après Michel Cépède, président du conseil de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture entre 1969 et 1973, le modèle d'agriculture équilibré entre culture et élevage, entre tradition et modernité, tel qu'il existait dans nos campagnes à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, aurait pu nourrir jusque trente milliards d'êtres humains sans aucun dommage pour la planète. Aujourd'hui, la malnutrition (famine pour 820 millions, et obésité pour deux fois ce chiffre) touche un tiers des 7,5 milliards des Terriens et nuit gravement à l'environnement.

Tout a changé trop vite, et les «vieux» cultos comme moi, arrivés à la fin de leur carrière, sont abasourdis de voir à quel point leur activité s'est modernisée le temps d'une génération, motorisée, mécanisée, et depuis peu digitalisée. Nous sommes passés des chevaux aux tracteurs hyper-sophistiqués, de la traite manuelle aux robots, des faucheuses lieuses aux moissonneuses. C'est vertigineux ! Tout a changé, sauf notre inféodation, nos pieds et poings liés soumis au bon vouloir d'autorités supérieures.

«Manants» et «tenants» soumis autrefois aux maîtres des villas, serfs soumis aux seigneurs féodaux, métayers soumis aux propriétaires et à l'État, exploitants d'aujourd'hui soumis à la politique agricole commune, aux administrations bureaucratiques et aux technocrates, paysans mangés vivants par l'industrie agro-alimentaire et le grand commerce. Être soumis est dans notre ADN, mais nous restons chacun, encore et toujours, stupidement persuadés d'être notre propre maître et d'avoir notre destin en main.

Nouvelle vague montante

Cette impression est diablement grisante ! Elle motive puissamment la jeune génération, cette nouvelle vague montante qui grimpe à l'assaut de l'avenir, sans peur et sans reproche, et compte bien noyer définitivement la «vieille» agriculture conventionnelle et ses archaïsmes. Tous ces jeunes m'étonnent et me stupéfient par leur vitalité, leur vivacité et leur confiance en l'avenir des métiers de la terre. Hélas, ils sont trop peu nombreux. Est-ce un atout, puisqu'ils auront à leur disposition de grandes surfaces libérées par les «vieux» de ma génération ? Est-ce désespérant, puisqu'ils porteront sur leurs quelques épaules des responsabilités écrasantes ? Ces paysans modernes ne se posent pas ce genre de question : ils foncent ! En avant, toutes !

Certains misent sur l'ultra-intensif, l'ultra-gigantisme ; d'autres au contraire se jettent à corps perdu dans l'agro-écologie, le bio, l'extensif. Des exploitations se spécialisent dans l'accueil, le social, le culturel, le ressourcement, la pédagogie verte, le tourisme. Certains essayent de tout maîtriser : produire, transformer, vendre. La plupart - j'espère! - ne sont pas complètement idiots, et se rendent compte qu'ils vivent sur Terre à crédit et vident leur planète de toutes ses richesses. Les uns profitent, les autres respectent. Les uns s'en fichent et mangent tout, les autres militent et raisonnent. L'agriculture plurielle et singulière de nos jeunes, à l'image de toutes les activités du monde d'aujourd'hui, est absolument dépendante d'une énergie abondante et pas chère issue du pétrole, une énergie monstrueusement polluante et diablement facile à utiliser.

S’adapter, toujours

De grands bouleversements se profilent dans un proche horizon. Le pétrole n'est pas inépuisable : il faudra le remplacer, dans un délai de quelques dizaines d'années. Comment rouleront nos tracteurs ? L'agriculture devra revoir sa copie dans plusieurs domaines. Sa finalité-même va évoluer, car l'alimentation se «végétarise» et se détourne des produits d'origine animale. La lutte contre le réchauffement climatique est devenu un défi collectif, crucial et incontournable.

Notre agriculture devra s'adapter, mourir et renaître plusieurs fois avant de trouver une forme d'équilibre. Mais ça ira, ça ira, ça ira !!

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