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Mission impossible ?

Bien que relativement discrète durant ces 3 dernières saisons, la septoriose reste, en cas d’épidémie sévère, la maladie foliaire du blé la plus compliquée à contrôler.

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Sur le blé, la septoriose peut être provoquée par deux espèces de champignons: Staganospora nodorum et Zymoseptoria tritici. Cette dernière est, de nos jours, l’espèce dominante; S. nodorum est, quant à elle, retrouvée très sporadiquement dans les champs wallons. Cette maladie cause une nécrose caractéristique sur les feuilles de blé, reconnaissable par la présence de petits points noirs.

En Wallonie, la maladie est visible chaque année mais la sévérité des épidémies varie fortement d’une saison culturale à une autre. La septoriose peut infecter les cultures dès la levée, bien que les premiers symptômes ne soient généralement visibles qu’à partir de février, dans le bas de la végétation. Les printemps chauds et humides, parsemés de nombreux épisodes pluvieux sont les conditions idéales pour que la maladie parvienne à endommager sévèrement les étages supérieurs des plantes de blé. Dans cette situation, la septoriose peut engendrer des pertes de rendement allant jusqu’à 30-40%.

Pas de variétés totalement résistantes et fongicides de moins en moins efficaces

La septoriose est compliquée à contrôler car aucune variété de blé ne lui est totalement résistante. D’autre part, l’épidémiologie du champignon lui permet de rapidement développer des résistances à la plupart des fongicides disponibles sur le marché. Les récents résultats du projet RESIST (CRA-W) démontrent que les populations de septoriose en Wallonie sont de plus en plus résistantes aux produits de protection des plantes (PPP). Certaines souches résistantes à la quasi-totalité des fongicides disponibles sur le marché sont désormais présentes sur notre territoire. D’autre part, le retrait récent de plusieurs matières actives dont le chlorothalonil va rendre la lutte contre ce pathogène encore plus compliquée. En effet, ce fongicide multisite était un des seuls à pouvoir venir à bout des souches multi-résistantes. Il importe donc d’utiliser correctement les matières actives encore agréées afin de préserver leur efficacité le plus longtemps possible. Fort heureusement, quelques nouveaux fongicides très actifs sur cette maladie ont ou vont être agréés en Belgique.

Facteurs favorisant les épidémies en Wallonie

Plusieurs facteurs favorisent le développement d’épidémies sévères de septoriose :

Des conditions climatiques propices: un automne humide et chaud suivi d’un hiver peu rigoureux permet une implantation optimale de la maladie dans la jeune culture. Toutefois, ce sont surtout les conditions climatiques à partir du redressement qui vont déterminer l’impact de la maladie sur le rendement. Durant les mois d’avril, de mai et de juin, des précipitations intenses (supérieures ou égales à 0,5 mm/heure) à répétition permettent une progression de la maladie sur les différents étages foliaires successivement formés. Une humidité relative moyenne élevée (>60%) favorise l’infection des feuilles. Des températures moyennes élevées (14°-20°C) diminuent le temps de latence raccourcissant la durée des cycles de reproduction.

Une variété sensible: les variétés sensibles rendent le contrôle de la maladie délicat lorsque les conditions climatiques sont favorables au printemps. Les variétés moyennement sensibles, assez sensibles et très sensibles vont souvent nécessiter un traitement dès le stade 32 indispensable pour freiner la progression de l’épidémie vers les étages foliaires supérieurs. Les variétés plus tolérantes permettront souvent de retarder le premier traitement contre cette maladie et de réaliser des économies sur la protection fongicide.

Un semis trop précoce: Entre septembre et décembre, d’importantes quantités d’ascospores sont généralement présentes au-dessus des champs wallons. Plus longtemps la culture sera exposée à cet inoculum, plus l’épidémie s’enflammera rapidement au printemps si les conditions climatiques sont favorables. La septoriose pourra même réaliser plusieurs cycles asexués avant l’hiver si le semis est précoce. Une date de semis postérieure au 15 octobre est conseillée en cas d’utilisation de variété sensible.

Un précédent blé: Les résidus de culture de blé sont la source d’inoculum primaire (ascospores, pycnidiospores et mycelium). Les plantules de la nouvelle culture seront plus facilement inoculées. La destruction et l’enfouissement des résidus est à conseiller dans cette situation. Il est aussi conseillé de privilégier des variétés résistantes à la septoriose sur un précédent blé.

Une densité de semis élevée: Les fortes densités diminuent globalement la distance entre les feuilles dans un champ et favorisent aussi les contacts directs entre celles-ci. Ceci permet une dispersion horizontale et verticale plus efficace de la maladie. Bien que dépendant de nombreux facteurs comme la date de semis; 250 grains par m2 est une densité à ne pas dépasser pour un semis vers le 15 octobre.

Une fumure azotée excessive: De nombreuses études démontrent qu’un excès d’azote favorise le développement du mycélium de septoriose au sein des plantes de blé. Le suivi des conseils de fumure azotée permet de limiter ce risque.

La résistance de la septoriose

La septoriose peut développer 3 types de résistance. La modification et la surexpression de cible sont des mécanismes spécifiques à une famille de fongicides. L’excrétion de fongicide est un mécanisme capable de rendre la septoriose moins sensible à tous les fongicides. Une même souche de septoriose peut cumuler tous ces mécanismes et devenir très résistante à plusieurs familles de fongicides. Le cycle épidémiologique de la septoriose lui permet de développer rapidement ces mécanismes de résistance dans un environnement sélectif. Ces caractères peuvent se propager très vite dans une région où les mêmes pratiques phytosanitaires sont employées.

La septoriose est donc potentiellement capable de développer des résistances à toutes les familles de fongicides unisites. Ces dix dernières années, la résistance de la septoriose aux triazoles et aux SDHI a fortement évolué en Wallonie. Des souches capables d’excréter de leurs cellules l’ensemble des fongicides sont aussi présentes dans les populations wallonnes.

La résistance croisée (c’est à dire la résistance à une substance active pouvant entraîner une résistance à une autre substance active) reste faible ce qui indique que l’association des substances actives est un moyen à privilégier pour freiner le développement des résistances.

Des souches très résistantes à plusieurs matières actives appartenant à la même famille de fongicides ou même à des familles différentes sont désormais détectées dans les champs wallons. L’utilisation de fongicides multisites doit être encouragée.

Efficacité des fongicides sur la septoriose

Durant les deux dernières saisons, un large essai comparatif a été implanté à Perwez sur la variété sensible à la septoriose RGT Sacramento. En 2019, la pression de septoriose était importante. En 2020, l’épidémie était plus modérée. Le rendement dans les parcelles sans traitement a atteint 9.2 tonnes en 2019 et 11.1 tonnes en 20. 20.

Dans ces essais, 23 fongicides commerciaux incluant les différentes familles fongicides ont été comparés à leur dose agréée. En 2019, les fongicides ont tous été appliqués au stade 39. En 2020, la pulvérisation a été effectuée au début de l’épiaison (stade 51). Dans les 2 cas, aucun symptôme n’était encore visible sur les derniers étages foliaires lors des traitements. En tête du classement, un groupe de 7 fongicides se démarque avec une efficacité proche de 75% et un gain de rendement élevé: Le Librax, le Revytrex, le Lenvyor, l’Ascra Xpro, L’Imtrex, le Priaxor et le Skyway Xpro.

Librax (P1) et Revytrex (P2) combinent une triazole (metconazole et mefentrifluconazole, respectivement) au fluxapyroxad (SDHI). Le mefentrifluconazole (Lenvyor - P3) et le fluxapyroxad (Imtrex - P5) appliqués seuls ont d’ailleurs également montré une très bonne efficacité. Ceci semble indiquer que le fluxapyroxad participe majoritairement à l’efficacité. Appliquer une matière active seule pour contrôler la septoriose n’est certainement pas une bonne pratique à suivre au vu des risques importants de sélection de résistance. Toutefois, les résultats obtenus avec les fongicides nouvellement agréés Revytrex (P2) et Lenvyor (P3) sont encourageants pour apporter des solutions dans la lutte contre la septoriose.

Le Priaxor (P6), un mélange de pyraclostrobine et de fluxapyroxad ne doit sa bonne efficacité qu’au SDHI qu’il contient. En effet, les strobilurines seules n’ont plus qu’une efficacité très faible sur la septoriose. En témoignent les résultats obtenus avec le Comet New et l’Amistar appliqués seuls (P23 et P24).

L’Ascra Xpro (P4), un mélange de prothioconazole avec 2 SDHI (fluopyram et bixafen) a offert un des meilleurs résultats. Il en est de même pour le Skyway Xpro (P7), un mélange de 2 triazoles (prothioconazole et tebuconazole) et d’un SDHI (bixafen). Ce type de fongicides associant des matières actives connues pour leur absence de « résistance croisée » est de plus théoriquement idéal pour freiner le développement de résistance.

Le fenpicoxamid (Aquino, Peacoq ou Questar - P8), une matière active nouvellement agréée appartenant à la famille des inhibiteurs externes de la quinone (QoI) s’avère être un produit prometteur dans la lutte contre la septoriose. Appliqué seul, il a permis un contrôle de plus de 50% de la maladie en moyenne dans ces essais. De plus, encore aucune résistance n’a été détectée à ces matières actives en Wallonie. Il constituera donc un partenaire idéal aux fongicides SDHI et triazoles.

Les produits P9 et P11 à base de prothioconazole en association avec une SDHI (benzovindiflupyr et bixafen, respectivement) ne sont pas les meilleures solutions contre la septoriose. Les deux fongicides montrent une efficacité similaire sur la septoriose. Le benzovindiflupyr appliqué seul a apporté une efficacité moyenne dans les essais d’un peu plus de 45%. Cependant, le benzovindiflupyr est surtout connu pour son excellente efficacité sur la rouille brune.

La comparaison des résultats obtenus avec l’Ampera et le Tebucur (P14 et P13 : tebuconazole avec ou sans prochloraz) indiquent que le prochloraz conserverait tout de même une faible activité sur la septoriose.

A l’exception du nouveau mefentrifluconazole, les anciens triazoles appliqués seuls (tebuconazole P14, metconazole P15, prothioconazole P17 et difenoconazole P18) ont une efficacité similaire mais limitée sur la septoriose. Le difenoconazole n’est pas agréé pour une utilisation foliaire sur froment en Belgique mais est contenu dans le Difend et Difend Extra pour le traitement des semences. D’autre part le difenoconazole n’est pas efficace contre les rouilles.

La comparaison entre le Kestrel (P19) et le Proline (P17) montre que l’ajout du tebuconazole n’a pas d’effet sur l’efficacité contre la septoriose. Les triazoles en mélange sans partenaire ne permettent plus de contrôler efficacement la septoriose.

Construire un programme fongicide efficace

On peut proposer trois types de schéma de protection ou type de programmes fongicides pour contrôler la septoriose (tableau 1):

– Le double traitement aux stades 2e nœud et épiaison (32/55);

– Le traitement unique au stade dernière feuille (39);

- Le double traitement aux stades dernière feuille et floraison (39//65)

Bien que d’autres types de programmes soient possibles, ils sont souvent peu judicieux. Un programme constitué d’un simple traitement d’épiaison (55) est généralement trop tardif et manque de curativité. Tandis que les programmes fongicides les plus intensifs ne sont pas toujours ceux qui garantissent le meilleur rendement net. De plus, la diminution de l’utilisation des fongicides permettrait de freiner le développement de pathogènes résistants aux fongicides. Une moindre utilisation de fongicides répond également aux attentes de la société : limiter l’exposition des opérateurs et des consommateurs aux produits de protection des plantes, limiter l’impact de ces produits sur les différents compartiments du milieu.

Double traitement 32/55

Il n’y a pas lieu de s’inquiéter avant le stade 32 pour lutter contre la septoriose. A ce stade, une visite au champ ou le suivi des conseils suffit pour déterminer si une intervention est utile.

Les conditions favorisant ce type de programme contre une épidémie de septoriose sont, soit:

– des symptômes déjà bien visibles sur l’avant-avant dernière feuille formée (future F4) au stade 2e nœud (32);

– une variété sensible et des conditions climatiques favorables à l’implantation de la septoriose temmes qu’un hiver chaud ou Mars-avril pluvieux.

Dans cette situation un traitement type 32/55 sera nécessaire pour contrôler l’épidémie de septoriose. En effet, dans le cas où un traitement précoce a été appliqué (32), un traitement relais (55) sera toujours nécessaire pour prolonger la protection de la culture. Ce deuxième traitement doit intervenir maximum 4 semaines après le traitement 32.

Pour le traitement au 2e nœud, un mélange d’une ou deux triazoles et d’un multisite (soufre ou folpet) est une combinaison suffisante pour enrayer les maladies et contrôler les résistances. En cas de très forte suspicion de forte épidémie, un QiI peut également être ajouté au mélange. Bien qu’aucune résistance ne soit connue pour les QiI, l’utilisation d’un multisite reste importante pour prolonger la durée de vie des matières actives.

Le traitement au stade «épiaison» (55) devrait être composé d’une triazole et d’un SDHI (ou 2 dans le cas de l’Ascra Xpro). Dans le cas où il n’a pas été utilisé au stade 32, un QiI peut également être utilisé en combinaison avec une triazole ou un SDHI. A ce stade, les multisites n’auront qu’un effet limité sur la maladie. Lors du traitement d’épiaison, une réduction de la dose peut être envisagée avec certains fongicides.

Il est utile d’alterner les triazoles utilisées lors des traitements 2e nœud et épiaison. L’utilisation du prothioconazole sera privilégiée pour le traitement proche de l’épiaison pour son effet connu contre les fusarioses.

Traitement unique à la dernière feuille

Si aucun traitement n’a été effectué au stade 32, un traitement est souvent nécessaire au stade dernière feuille (39). Lorsque la variété est sensible à la septoriose, l’utilisation des matières les plus efficaces doit être privilégiée.

Dans un schéma à traitement unique, le mélange d’une (ou de plusieurs) triazole(s) avec un SDHI et un multisite a toujours fait ses preuves. Avec l’arrivée du nouveau mode d’action QiI, la combinaison de celui-ci avec une triazole ou un SDHI peut également être envisagée selon les situations. L’utilisation d’un multisite reste de rigueur. Réduire la dose de fongicide n’est pas à conseiller à ce stade.

Double traitement à la dernière feuille et floraison

Dans le cas où un traitement a été appliqué au stade 39, un traitement relais pourra être effectué au stade 65 s’il y a eu beaucoup de pluie avant la floraison et que la variété n’est pas tolérante.

Les triazoles (ou mélanges de triazoles) sont à privilégier à ce stade et particulièrement le prothioconazole. En plus de lutter contre les maladies du feuillage, le prothioconazole est le fongicide le plus efficace agréé contre les fusarioses. En cas de forte pression de maladie, un QiI ou un SDHI constitueront de bons partenaires à la condition qu’ils n’aient pas encore été utilisés dans le programme fongicide.

D’après M. Duvivier,

A. Clinckemaillie, P. Hellin,

Livre Blanc 2021

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