si besoin, le confier à un atelier spécialisé

Passé la porte de l’entreprise, une atmosphère typique d’atelier mécanique se dégage. Des blocs-moteurs et des culasses sont entreposés en attente d’une réparation tandis que d’autres, parfaitement propres et brillants, sont prêts à être repris par les clients. Un peu plus loin se dressent des machines-outils à la taille souvent imposante et pour la plupart méconnues des non-initiés. Face à elles, le personnel exécute ses tâches avec concentration et sérieux. Il faut dire que la plus grande précision est de mise puisque, ici, tout est question de dixièmes ou de centièmes de millimètre.
Moteurs, boîtes de vitesses…
« L’entreprise a été fondée en 1990 par mon papa, Willy, qui est toujours à sa tête », précise Thomas. « Après des études en électromécanique, il a d’abord travaillé dans une carrière, tout en lançant parallèlement une activité complémentaire de révision de moteurs. »
L’activité n’a cessé de croître. Euro-Rec révise aujourd’hui tous types de moteurs, dont les moteurs agricoles bien entendu. La société est également spécialisée dans le tournage et le fraisage de tous types de métaux. « Par extension, il nous arrive aussi d’effectuer des travaux tels que des alésages dans des boîtes de vitesses, par exemple pour la pose de nouveaux roulements. Nos clients sont autant des particuliers que des professionnels dont font partie de nombreux concessionnaires avec lesquels nous avons bâti des relations de travail, et qui nous apportent les moteurs, boîtes de vitesses ou autres composants puisque nous n’effectuons aucun travail directement sur des véhicules ».
Entretenir son moteur, la clé de sa longévité
Des moteurs en panne, Thomas en voit passer tous les jours, avec des dommages tantôt limités, tantôt très conséquents. Et il souhaite attirer l’attention de leurs propriétaires : « Bon nombre d’interventions que nous menons trouvent leur origine dans un manque d’entretien du moteur ou des systèmes annexes comme le système de refroidissement. J’insiste toujours auprès de mes clients : un entretien régulièrement et correctement effectué est un gage de longévité du moteur. »
Négliger l’entretien de base pour des raisons de manque de temps ou budgétaires est un très mauvais calcul car cela met en péril la bonne santé du moteur et les réparations qui en découlent sont souvent onéreuses. « Il est aussi très important que ces entretiens soient réalisés par des personnes compétentes. Il est déjà arrivé que des moteurs soient confiés à notre atelier à cause d’une intervention maladroite ou malheureuse d’une personne ne disposant pas des connaissances techniques nécessaires avec, là aussi, une mauvaise surprise à la clé puisque le montant des réparations dépassait de beaucoup l’économie qui avait été espérée en ne se rendant pas chez un concessionnaire ou un professionnel digne de ce nom… »
Enfin, un dernier critère à ne pas omettre lors de l’entretien et du fonctionnement du moteur est d’utiliser les pièces, huile et carburant préconisés par le constructeur.
Des dysfonctionnements évitables…
Thomas poursuit, en énonçant les principaux dysfonctionnements pouvant survenir sur un moteur à la suite de pareilles négligences.
« Une première cause de dégâts importants est bien évidemment le manque d’huile ou l’utilisation d’une huile inadaptée. Dans ce cas, le moteur souffre d’un manque de lubrification, ce qui signifie que les pièces mécaniques se retrouvent en contact direct l’une avec l’autre, le fin film d’huile de lubrification ayant disparu ou étant insuffisant. Cela tourne souvent au scénario catastrophe, avec le serrage du moteur. Il faut alors l’ouvrir complètement et tout contrôler pour mesurer l’étendue des dégâts, qui peuvent toucher l’ensemble des éléments : culasse, soupapes, segments, cylindres, pistons, bielles, vilebrequin… »
La qualité de l’air aspiré est un deuxième facteur à prendre en compte. Lorsque le filtre à air ne réalise plus correctement sa tâche ou lors de travaux en atmosphère poussiéreuse (moisson, pressage, travail du sol…), il se peut que le moteur avale de la poussière. Dans ce cas aussi, il peut en résulter un serrage du moteur.
La poussière entre dans le moteur en même temps que l’air d’admission et passe au niveau de la segmentation. Étant par nature abrasive, elle finit par user les segments et le cylindre, faisant disparaître le honage de ce dernier. Ce honage correspond à une finition de l’état de surface du cylindre consistant en des rayures procurant une rugosité favorable à l’adhérence de l’huile, et donc à l’étanchéité avec les segments du piston. Le honage s’estompant, puis disparaissant, le segment racleur n’assure plus correctement sa fonction et de l’huile peut remonter au-dessus du piston et s’échapper via les gaz d’échappement. Outre le risque de serrage, le moteur s’étouffe progressivement et peut finir par surchauffer.
La surchauffe peut aussi être due à un troisième facteur important : le mauvais entretien du système de refroidissement. En général, la surchauffe se marque par une détérioration du joint de culasse et, le cas échéant, par une déformation du plan de culasse, voire par la création de fentes dans celle-ci. Dans les cas les plus graves, une dilatation des pièces mobiles du moteur peut survenir et occasionner le serrage de celui-ci.
« Il est donc important de contrôler et nettoyer régulièrement les ailettes du radiateur sur les moteurs à refroidissement liquide ou les ailettes de refroidissement des cylindres sur les moteurs à refroidissement par air. De même, le bon fonctionnement et la surveillance de l’indicateur de température sont requis afin de repérer rapidement toute anomalie, comme une défaillance du thermostat ou de la pompe à eau. »
Enfin, un quatrième facteur entre en ligne de compte : la qualité du carburant. Les systèmes d’injection à haute pression utilisés actuellement y sont particulièrement sensibles. Un mazout de mauvaise qualité peut engendrer des écoulements au niveau de l’injecteur. Dans les situations les plus extrêmes, l’injecteur peut même se retrouver complètement bloqué en position ouverte. Le carburant s’écoule alors dans le cylindre et se mélange à l’huile, avec pour conséquence possible un serrage du piston.
« Certaines manipulations sur les systèmes d’injection, visant à procurer davantage de puissance, peuvent aussi occasionner des dégâts assez impressionnants. Dans pareil cas de figure, l’injecteur est amené à injecter le carburant à une pression supérieure à celle à laquelle il est initialement destiné. Il arrive que cela troue littéralement le piston, soit en raison d’une limite de résistance à la pression de celui-ci, soit en raison d’une modification des caractéristiques du jet mettant à mal cette résistance. Ceci explique pourquoi, et souvent à raison, les concessionnaires refusent majoritairement d’augmenter la puissance d’un tracteur, malgré des demandes parfois pressantes de certains propriétaires ».
… ou résultant de l’usure des pièces
Bien entendu, certaines pannes ou casses sont totalement indépendantes d’actions ou d’inactions humaines. Il s’agit de celles dues à l’inéluctable usure des pièces du moteur se manifestant en fonction du nombre d’heures de fonctionnement ou de l’intensité des sollicitations imposées au moteur.
« Généralement, les signes d’usure apparaissent au niveau de la segmentation, affectant l’étanchéité entre le cylindre et les segments. Pour identifier cette perte d’étanchéité, un test de compression peut se révéler utile : un compressiomètre est adapté sur l’orifice de fixation d’un injecteur ou d’une bougie de préchauffage et mesure la capacité du moteur à comprimer l’air dans la chambre de combustion. Si la compression est insuffisante, cela signifie que le système cylindre-piston-culasse-soupapes n’est pas étanche. L’origine du problème peut donc résider au niveau des segments (d’autres causes sont toutefois possibles). Visuellement, une fumée d’échappement plus dense et plus foncée, voire bleutée, est aussi un signe d’alerte révélant que de l’huile est brûlée, et donc une inétanchéité possible des segments. »
L’usure se marque également par la détérioration du joint de culasse. Sur un moteur à refroidissement par eau, cela se solde souvent par des fumées d’échappement plus blanches, de la vapeur d’eau se mêlant aux gaz d’échappement. L’étanchéité des soupapes diminue également avec le temps et peut être révélée par le test de compression évoqué ci-avant. Cette perte d’étanchéité est souvent due à l’accumulation de calamine sur le siège et la tête de la soupape. Le tracteur a tendance à fumer davantage.
« L’accumulation de calamine concerne bien entendu les soupapes d’échappement mais aussi les soupapes d’admission sur les tracteurs plus récents car les systèmes anti-pollution recyclent les gaz d’échappement. Une partie de ceux-ci est donc réinjectée, avec la calamine qu’elle contient, dans le circuit d’admission. Toujours au niveau des soupapes, du jeu peut apparaître aux guides de soupapes. Cela se traduit alors par une consommation d’huile par les soupapes. Enfin, parmi les traces d’usure les plus courantes figure l’usure des coussinets de bielle dont l’épaisseur peut se retrouver hors tolérance et dont le remplacement s’impose alors ».
Place aux vérifications, rectifications et réparations
Après avoir dressé le tableau des pannes les plus fréquentes et de leurs causes, nous vous proposons de passer en revue brièvement les différentes interventions exécutées par l’atelier.
Étanchéité des culasses
Débutons par la révision des culasses. Celle-ci commence par leur mise sous pression afin d’en vérifier l’étanchéité.
« Cette opération peut être effectuée pour les moteurs à refroidissement liquide mais pas pour des moteurs à refroidissement par air. Il faut signaler que, pour ce dernier type de moteur, les fissures sur les culasses sont relativement rares. Si elles surviennent, c’est souvent au niveau des sièges de soupapes. »
Pour effectuer cette vérification, la culasse est immobilisée sur le support d’une machine dédiée et est ensuite immergée dans un bain. De l’air est envoyé dans les conduits d’eau de la culasse à des pression et température définies. Si des bulles apparaissent dans le bain, cela signifie que la culasse n’est plus étanche et présente donc des fissures.
Planéité des culasses
La seconde vérification opérée est celle de la planéité de la culasse. Pour ce faire, la culasse est fixée avec précision sur le gabarit d’une machine et des mesures sont prises avec un comparateur en différents points de la culasse. Si, en ces points, la valeur affichée par l’outil de mesure reste nulle, alors le plan de culasse est parfait. Si des déviations sont constatées, la culasse présente des déformations pouvant, par exemple, être dues à une surchauffe ou un mauvais respect du plan de serrage des goujons de fixation de la culasse sur le bloc-moteur. La culasse est alors replanée.
Étanchéité des soupapes
L’étanchéité des soupapes peut également être contrôlée au moyen d’un appareil mesurant la dépression lorsque les soupapes sont en position fermée. Différents facteurs peuvent être à l’origine d’un manque d’étanchéité : usure du siège de soupape, usure de la tête de soupape, relâchement du ressort de soupape… « Selon les défauts constatés, nous rectifions les sièges de soupape, plaçons de nouveaux guides de soupape, rectifions les soupapes… À chaque fois, nous vérifions si la rectification est possible en fonction des cotes et tolérances fournies par les constructeurs. Dans le cas contraire, la pièce est remplacée », signale Thomas.
Vérification du bloc-moteur
Afin de ne pas compromettre l’étanchéité avec le joint de culasse, la planéité de la surface supérieure du bloc est vérifiée avec un comparateur et, si nécessaire, rectifiée. Dans le cas de moteurs avec des chemises, il est aussi prévu de contrôler le dépassement des chemises. Lorsque celui-ci n’est pas conforme, les chemises sont extraites, le bloc est replané et la hauteur des chemises adaptée.
Le vilebrequin a lui aussi droit à une vérification complète. En cas de doute, une radiographie peut même être réalisée dans le but de révéler la présence de défauts structurels tels que des microfissures. Les diamètres des paliers et manetons sont mesurés au palmer. Il en est de même pour les coussinets de bielle. L’arrondi formé par la tête de bielle et le chapeau de tête de bielle est contrôlé par l’alésomètre et, si une ovalisation est observée, une rectification est entreprise. La bielle est également placée dans une machine spécifique grâce à laquelle il est possible de contrôler qu’elle n’est ni pliée, ni déformée.
Contrôle des pompes à huile et à eau
Lors de la réfection d’un moteur, les pompes à huile et à eau font aussi l’objet d’un contrôle. Elles peuvent être démontées pour inspecter l’état du roulement ou leur degré d’usure mais, généralement, Thomas préfère les changer systématiquement.
« En effet, le prix de ces pompes n’est pas significatif au regard du coût de la rénovation d’un moteur. Il n’y a donc pas de logique à conserver une vieille pompe à huile dans un moteur entièrement rénové. J’ai malheureusement connu un antécédent lors duquel nous avions remis à neuf un moteur ; le client a lui-même remonté l’ancienne pompe à huile sans s’être rendu compte que celle-ci était défectueuse. Résultat : le moteur a serré au bout de quelques heures seulement… »
Vérification du système d’injection
« De même, quand on refait un moteur, je conseille au client de se rendre chez un spécialiste pour vérifier le fonctionnement du système d’injection. Si nous pouvons assurer ce service pour d’anciennes générations d’injecteurs, ce n’est pas possible pour nous de le faire avec les systèmes d’injection à régulation électronique plus récents. Ce service a bien sûr un coût mais, de nouveau, remonter des injecteurs possiblement défaillants sur un moteur révisé n’est pas raisonnable ».
Quel regard porter sur l’évolution des moteurs ?
Il est vrai que les technologies liées au moteur ont connu une évolution certaine ces dernières années, avec notamment l’intégration de la régulation électronique de l’injection susmentionnée, de dispositifs de dépollution… Nous laissons le mot de la fin à Thomas pour connaître ses impressions vis-à-vis de cette évolution.
« L’innovation technologique est inhérente aux domaines techniques. Les moteurs actuels offrent des performances d’injection supérieures, ce qui se traduit par une combustion plus complète dans le cylindre mais cela rend aussi le moteur plus sensible notamment, comme mentionné précédemment, vis-à-vis de la qualité du carburant. »
« Les normes anti-pollution ont amené les constructeurs à doter leurs motorisations de différents systèmes de dépollution incluant la recirculation des gaz d’échappement, le filtre à particules ou le système de réduction catalytique sélective avec emploi d’AdBlue. Si des arguments environnementaux plaident en faveur de ces systèmes, chaque médaille ayant son revers, ils présentent également quelques inconvénients techniques, comme le risque de cristallisation de l’urée dans le circuit d’injection lorsque la solution d’AdBlue a été conservée dans de mauvaises conditions. »
« Une autre tendance imprimée sur les moteurs par les constructeurs est le down-sizing, autrement dit la réduction de la cylindrée des moteurs. À titre d’exemple, il y a 30 ans, un moteur de 90 ch comptait six cylindres ; aujourd’hui, des moteurs à quatre cylindres développent 150 ch et on demande des rendements identiques voire supérieurs à ces moteurs. Ils sont donc contraints de travailler à plein régime plus longtemps et plus souvent. Il n’y a pas de miracle : globalement, l’usure est plus rapide et les casses plus fréquentes. Concourent également à ce constat l’augmentation de taille des machines et les débits de chantier sans cesse croissants qui mènent invariablement à une sollicitation accrue des moteurs ».
Avant de clore ce reportage, nous tenons à remercier MM. Willy et Thomas Delcroix, ainsi que leur personnel, pour leur accueil et le temps qu’ils nous ont consacré.
