
De la viande hachée « porc et bœuf » à 4 €/kg ; des pilons de poulet à 2,2 €/kg : les extra-deals dans les supermarchés soulèvent des questions sur la durabilité de la filière alimentaire qui a amené cette viande au rayon « boucherie », mais les consommateurs n’y voient aucun mal. Pour la plupart, sinon pour tous, quand il s’agit de sortir de l’argent, la durabilité joue un rôle décoratif tout à fait mineur, remisée au placard sans état d’âme. En fin de compte, c’est le prix qui détermine le choix. Une étude de l’agence de marketing belgo-britannique Beyond Reason a démontré que moins d’un consommateur sur dix achète des produits alimentaires en fonction de leur score écologique. Plus surprenant encore, selon cette étude, cette tendance est la plus marquée chez les jeunes de 18 à 29 ans, lesquels n’hésitent pas non plus à changer de smartphone comme de chemise, ou à prendre l’avion comme on prend sa brouette ! Un grand écart existe entre ce que les consommateurs disent vouloir faire et ce qu’ils font réellement, sauf pour une très petite minorité.
En grande majorité, les consommateurs choisissent l’alternative durable lorsqu’elle n’est pas plus chère, et bien entendu, si et seulement si elle propose une qualité et un goût comparables, le tout emballé sous une meilleure image. Le consommateur belge se considère pourtant comme un « écologiste convaincu », qui descend volontiers dans la rue pour alerter l’opinion publique et les pouvoirs politiques sur les dérèglements climatiques. Mais le naturel revient au grand galop quand il s’agit de concrétiser en actes toutes les belles légendes qu’ils racontent et les comédies qu’ils se jouent à eux-mêmes. Selon une autre étude, réalisée par la Fevia -fédération de l’industrie alimentaire belge –, 4 consommateurs belges sur 10, la bouche en cœur, affirment regarder en premier la qualité, puis seulement le prix et l’impact sur la santé. 7 consommateurs sur 10 souhaitent que l’industrie alimentaire en fasse davantage pour le bien-être animal et la production locale, sensibilité affichée en paroles dans les sondages, infiniment moins lors des actes d’achat. Dans cette même enquête, la Fevia a demandé aux consommateurs belges qui, selon eux, serait le principal responsable de la durabilité soi-disant « déplorable » des aliments et des boissons. Sans surprise, les Belges pointent d’un doigt accusateur les entreprises alimentaires et les agriculteurs. Ben voyons ! À peine 5 % des consommateurs se considèrent eux-mêmes les premiers responsables de la durabilité de la filière. Ils refusent de se culpabiliser, alors que leurs choix se portent le plus souvent sur des produits bon marché, et donc peu durables.
De la parole à l’acte, le chemin se perd dans la broussaille des consciences. Le contraste est grand entre les préférences affichées et les comportements réels. Ainsi, lors d’une enquête de consommation menée chez nos voisins néerlandais, 6 personnes interrogées sur 10 ont affirmé vouloir que disparaissent les élevages intensifs ; 8 sur 10 veulent manger moins de viande et davantage de protéines végétales. Cependant, ces « vœux pieux » ne se traduisent guère chez eux par une baisse de la consommation de viande : 77 kilos par Néerlandais depuis vingt ans. En Belgique, où les produits Bio sont abondamment sanctifiés et encensés dans les propos des consommateurs, les poulets de chair issus de l’élevage biologique ne représentent actuellement que 1,1 % de la consommation de volaille ! Les poules et poulets Bio vivent plus longtemps, et sont mieux soignés en termes de bien-être animal. Mais ces critères pèsent très peu dans l’esprit des gens, au moment de l’achat. Les crises actuelles et l’inflation appauvrissent la population de manière fort inquiétante, et ceux qui s’affirment « écologistes » sont soudain frappés d’amnésie dès qu’ils franchissent le seuil de leur supermarché, accablés de cécité et de surdité devant les produits durables devenus « trop chers ».
« L’esprit est ardent, mais la chair est faible », comme disait un brave gars de Palestine en son temps… Les messages envoyés aux agriculteurs, par les uns et les autres, sont fort contradictoires et nous font tourner en bourrique. Les prix proposés aux consommateurs mènent la danse et guident les choix des consommateurs, non-acteurs de la durabilité. Ceux-ci portent ostensiblement de beaux habits verts lumineux, mais retournent très vite leur veste dès qu’il s’agit de passer à la caisse. Tout n’est que mensonges et faux-semblants, dans la grande farce de nos vies. Entre les paroles et les actes, se creusent trop facilement des fossés abyssaux, mille fois hélas…
