
La première fois qu’on m’a parlé d’asperges, c’était en latin. Je devais être enfant de cœur et j’entends encore l’antienne grégorienne chantonnée par le curé, en procession, le tout accompagné de grands coups de goupillon. «Aasperrges-me…»
Il m’a fallu attendre 20 ans pour découvrir ce légume dans une assiette: de superbes petites asperges vertes, quelque part en Algérie. Je me suis dit: «tiens, un légume exotique…». Puis, ce fut le tour des grosses asperges blanches venues d’Argenteuil.
Plus tard encore, dans le bassin d’Arcachon et dans les sables de la Loire, j’ai fait davantage connaissance avec cette plante extraordinaire qui s’offre au printemps, avant même d’entamer son cycle végétatif.
Elle me touche par son courage et sa subtilité. Darwin pourrait sans doute nous expliquer toutes les ruses qu’elle a dû développer pour survivre dans des conditions difficiles, de froid et surtout de sécheresse, avant d’arriver jusqu’à nous. Elle a eu l’idée de stocker des glucides et des minéraux dans ses racines afin d’avoir toujours sous le pied l’énergie nécessaire pour redémarrer sa croissance dès que les conditions d’humidité et de chaleur sont au rendez-vous.
Alors là, elle lance ses turions à la conquête du sous-sol jusqu’à l’atmosphère où elle pourra envisager comme nous tous, de croître, de se reproduire, et puis, non pas mourir, mais se cacher de nouveau en sous-sol pour repartir la saison suivante.
Le tendon d’Achille de la base de ces tiges, c’est qu’avant de prendre de l’amertume au contact de l’air, les turions, bien tendres, sont trop appétissants pour l’Homo sapiens qui sait les préparer. Et pendant deux mois, notre brave asperge se fait piquer tous les deux ou trois jours ses turions qu’elle fait, refait et refait encore au risque de s’épuiser si on ne lui laisse pas le temps de lancer sa dernière génération. Il faut lui laisser une dernière opportunité: développer tiges et feuilles pour faire de la photosynthèse tout l’été et reconstituer son stock d’énergie dans ses racines afin de revivre l’aventure l’année suivante.
Je plaide coupable d’en avoir planté dans le jardin depuis pas mal d’années et de me prêter à ce rituel de prélèvement d’avril à juin. Je leur demande pardon, elles ne m’en tiennent pas rigueur et reviennent s’offrir à moi chaque printemps. «Asperges, je vous aime », au propre comme au figuré.
Il n’en reste pas moins vrai que les asperges produites chez nous, dans nos jardins ou chez nos agriculteurs de proximité, ont un «Je ne sais quoi» qui s’appelle «terroir» et qui mérite bien le label «Prix Juste Producteur».
