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La résilience de la populiculture belge

Depuis une dizaine d’années, la forêt subi de graves dommages : chênes, hêtres, frênes et surtout épicéas sont l'objet d' attaques soit cryptogamiques soit entomologiques.

Temps de lecture : 7 min

Les plus éminents spécialistes se sont penchés sur les problèmes en concertation avec l'administration des Eaux et Forêts, la Société Royale Forestière de Belgique, relayés par la ministre Tellier qui a débloqué un important budget afin d'aider les propriétaires pour la replantation de parcelles adaptées au changement climatique.

En 2019, 20 ingénieurs, attachés aux services sylvicultures des universités wallonnes, sous le patronnage de l'inspecteur général honoraire du Département de la Nature et des Forêts (DNF), ont publié un document «Accord-cadre» de recherches et vulgarisation forestières qui se veut résolument novateur. On y trouve notamment une série d'articles sur la «gestion des risques et résilience des forêts» mais pas un mot sur la populiculture alors qu'un chapitre est intitulé «Le bouleau une essence d'avenir!».

Comprenne qui pourra!

Tant en France qu'en Belgique, une «nouvelle sylviculture» à vu le jour: réussir l'adaptation des forêts au changement climatique passe par l'introduction d'un nouveau concept: «la forêt mosaïque». L'objectif: renforcer la diversification des essences, par des expérimentations menées dans des îlots d'avenir, et varier les modes de sylviculture. Pour faire face à cette modification, on évoque la «résilience» de la forêt c’est-à-dire un processus d'adaptation positive.

La résilience de la populiculture

On peut situer le début de la résilience de la populiculture avec la création (en 1947) de la Commission Internationale du Peuplier (CIP) émanation de la FAO, par 6 pays européens (dont la Belgique). Elle fut suivie l'année suivante par l'installation à Grammont de l'Institut de Populiculture (IP) de la société Union Allumettière (UA) qui souhaitait développer de nouveaux cultivars répondant aux critères de l'industrie: rapidité de croissance, facilités d'entretien, résistances aux maladies et qualité du bois produit.

A la même époque, UA achète 1.500 ha à travers toute la Belgique (de la Campine au Hainaut) afin d'y cultiver les peupliers dont elle a besoin en plus des achats aux propriétaires privés. Utilisant des clones locaux, mais surtout le Robusta, UA installe les peupleraies à faible écartement de 3,5 m X 3, 5 m (avec éclaircie vers 10-12 ans) en passant par 5 m x 5 m et jusqu'à 7 m x 7 m. Ces plantations s'avérèrent un échec au début des années 1960, atteintes par une maladie de faiblesse,vulgairement dénommée «maladies des taches brunes» (chalaropsis populi).

Entre-temps, une élimination systématique des clones sensibles au chancre suintant avait été entreprise bénéficiant d'une loi obligeant à les supprimer.

Au début des années 1960, une maladie de jeunesse (liée à la production en pépinière), le Dothichiza populea avait décimé de nombreuses jeunes peupleraies. Les pépiniéristes spécialisés réussirent à l'éliminer par des techniques et des traitements appropriés. La fin des années 1960, fut marquée par une nette amélioration de l'élagage: l'utilisation de nacelles élévatrices sur tracteur en remplacement des outils manuels et des premières tronçonneuses.

En 1970, les premières sélections de l'IP furent commercialisées. Elles avaient fait l'objet d'observations durant 10 ans dans des plantations installées dans des stations variées. Grâce à des tests précoces (mis au point par le Dr. Ridé) elles étaient résistantes au chancre. Ces premiers cultivars étaient le résultat de croisements entre des peupliers nigra sélectionnés dans la vallée de la Dendre (entre Ath et Grammont)et des peupliers deltoïdes, originaires des États-Unis de régions climatiques proches de nos régions, certaines légèrement plus «sudistes». On dénomma ces croisements «euramériacains».

Une intense collaboration s'installa alors entre l'IP, les pépiniéristes spécialisés (peu nombreux), les populiculteurs privés, le tout vulgarisé par le Centre de Populiculture du Hainaut (CPH, créé en 1959) qui organisa «2 excursions populicoles annuelles» pour visiter les plantations expérimentales installées par l'IP chez des populiculteurs privés, un colloque et publiant des bulletins d'informations.

En 1972, (il y donc 50 ans), 35 populeta avaient déjà été plantés à travers tout le pays. Elles sont aujourd'hui plusieurs centaines de plantations comparatives soit avec des mélanges «pied à pied», soit de préférence en «blocs» qui jalonnent l'ensemble du pays.

Vers 1975, UA décide de vendre les propriétés «boisées» qui seront achetées, dans leur majorité par des propriétaires privés (très peu par le domaine public!).

1980 sera le point de départ d'une révolution en populiculture avec le remplacement de la plantation en racines par celle en «plançons». Après quelques mises au point, cette technique se généralisa permettant un énorme gain de temps, tant en pépinières qu'en plantation proprement-dite, avec une très bonne reprise et la possibilité de réduire de 3 à 2 ans le passage en pépinière.

C'est aussi à la même époque que l'IP introduisit ses premiers croisements «interaméricains» (notamment Boelare et Beaupré) dont les performances furent immédiatement largement exploitées ce qui s'avéra une erreur car, assez rapidement, un nouvel agresseur se manifesta (et surtout sur ces nouvelles obtentions) les rouilles (particulièrement Melampsora larici populina) avec successivement plusieurs races (comme pour le covid!) qui obligèrent les chercheurs à modifier leur stratégie et contourner les résistances.

En 1988, l'UA céda l'IP à la région flamande. Ce fut, malheureusement, le début d'un démantèlement de l'institution en raison d'une politique qui se voulait plus écologique, défavorable au développement de la populiculture, avec même des freins législatifs.

Bon an mal an, les efforts des chercheurs de l'IP furent couronnés de succès et au début des années 2000 apparurent de nouveaux cultivars, tolérants aux rouilles et dont les autres performances étaient conformes aux espérances.

Sans entrer dans les détails, on se limitera à signaler que le populiculteur dispose aujourd'hui d'un large choix d'une vingtaine de cultivars dont les caractéristiques sont bien connues des pépiniéristes spécialisés en production de plants de peupliers et susceptibles de conseiller les planteurs, en fonction des stations à planter.

Depuis une dizaine d'années, le changement climatique a permis d'améliorer nettement la productivité des nouveaux cultivars de sorte que l'âge d'exploitation des peupliers est réduit de moitié par rapport aux anciennes peupleraies de Robusta, d'autant que l'industrie a modifié ses exigences (peupliers de 130 à 160 cm de circonférence au lieu de 160-200 cm antérieurement).

Modèle de biodiversité

Contrairement à une opinion (trop répandue), la peupleraie belge est un modèle de biodiversité. Bénéficiant d'une densité de plantation faible (surtout par rapport aux pessières, hêtraies et même certaines chênaies), la peupleraie est sous-étagée d'un taillis d'essences arbustives variées (frênes, aulnes notamment) et d'un tapis herbacé représentatif des caractéristiques stationnelles (texture, acidité, réserve en eau), favorisant une faune et une microfaune spécifiques.

Ces taillis sont, aujourd'hui, utilisés comme «bois énergie» avec les houppiers des peupliers. La recoupe des peupliers à 80 cm de circonférence permet la récupération d'un volume appréciable de bois de trituration, équivalent au volume de bois d'industrie.

Bref

L'historique des 75 dernières années de la populiculture (spécifiquement belge) montre qu'elle a évolué avec une résilience remarquable dans toutes ses composantes.

1. La sélection de nouveaux cultivars (à croissance rapide, tolérants aux diverses maladies et donnant un bois de qualité répondant aux besoins de l'industrie) est une réalité,

2. Les techniques culturales (pépinières, densité de plantation, technique de plantation (plançons), élagage mécanisé) ont été adaptées favorisant une productivité nettement améliorée,

3. Les rotations courtes de la populiculture sont un facteur favorable car, contrairement aux autres essences forestières beaucoup plus longévives, il est possible de changer de stratégie plus facilement (en adoptant de nouveaux cultivars ou des techniques en évolution) avec une résilience adaptée,

4. La populiculture répond aux souhaits à la fois économiques et écologiques actuels: produire rapidement un bois de qualité tout en assurant la capture d'une importante quantité de CO2 en raison d'un développement foliaire important, renouvelé fréquemment,

5. La populiculture belge est un modèle de «populiculture mosaïque» par la multiplication des cultivars largement répandus, tant au sein d'une même plantation (si elle est supérieure à 1 Ha) que dans des plantations contigües. Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner les photos satellitaires prises au printemps (du 15 mars au 1er mai) où les variations de coloration des feuillages au débourrement, distinguent très bien l'éventail des cultivars,

6. On regrettera finalement que les efforts des sélectionneurs et des propriétaires privés n'aient pas permis de maintenir en Belgique une industrie spécifique, obligeant à l'exportation de nos grumes de qualité vers la France (qui installe de nouvelles usines), l'Italie et surtout les pays asiatiques, l'Inde et l'Egypte.

Gilbert Picron

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