
Quand meurt le preneur…
Le décès du preneur appelle une réponse plus complexe, dépendante de la composition familiale du preneur décédé. Le principe de départ veut que le décès du preneur ne met pas fin au bail. C’est ce qu’énonce l’article 38 de la loi sur le bail à ferme : « En cas de décès du preneur d’un bien rural, le bail continue au profit de ses héritiers ou ayants droit, à moins que congé ait été donné par le bailleur ou par ses héritiers ou ayants droit dans les conditions déterminées ci-après ». Ainsi, le décès du preneur induira la poursuite du bail au profit de son ou de ses héritier(s). On hérite en fait d’un droit au bail, au même titre qu’on peut hériter de n’importe quel autre bien de la succession. On peut donc dire que le droit au bail fait partie de l’actif successoral. Une seule exception existe au principe à cette transmission « automatique » : le bailleur peut donner congé (dans l’année qui suit le décès) à l’héritier pour autant qu’il se soit réservé cette faculté dans le bail (suppose donc un écrit) et que l’héritier ne soit pas un parent visé à l’article 39 (descendant, etc etc.).
Le preneur décédé n’a qu’un seul héritier, non-exploitant :
Le preneur décédé n’a qu’un seul héritier, exploitant :
Par contre, il semble bien que, si l’héritier, à condition qu’il soit un parent visé à l’article 43 (descendant, enfant adoptif…), informe effectivement au bailleur qu’il entend « reprendre » le droit au bail (tout en informant du décès, évidemment), il se verra attribuer une première et nouvelle période d’occupation de 9 ans alors que, s’il n’écrit pas de la sorte au bailleur, il poursuivra certes le bail sans toutefois bénéficier d’une première et nouvelle période d’occupation de 9 ans. L’héritier soucieux de la durée de son droit d’occupation sera donc attentif à écrire sans délai au bailleur son intention de « reprendre » le droit au bail.
Les effets de pareil envoi sont, en fait, les mêmes que ceux d’une cession privilégiée visée à l’article 35 de la loi sur le bail à ferme. Il est entendu que, tout comme en matière de cession privilégiée, le bailleur dispose d’une faculté d’opposition, non pas à la transmission du bail en tant que telle, mais au renouvellement de celui-ci par la voie d’une première et nouvelle période d’occupation : la loi renvoie, quant à cette procédure d’opposition, à ses dispositions relatives à la cession privilégiée (35 à 37). En substance, le délai d’opposition est de 3 mois et les motifs d’opposition, limitativement énumérés, sont les suivants : (1) envoi, par le bailleur, d’un congé antérieurement au décès ou à la notification de reprise du bail, (2) intention du bailleur d’exploiter (ou tout membre de sa famille) dans un délai inférieur à 5 ans, (3-4) incompatibilité entre le bailleur et l’héritier (injures ou condamnations de l’héritier), (5) absence de capacité ou de moyens matériels dans le chef du preneur, (6) affectation à des fins d’intérêt général si le bailleur est une « autorité publique »…
Le preneur décédé a plusieurs héritiers dont un seul exploitant :
Là où se complexifie vraiment la situation, c’est lorsque le preneur décédé a plusieurs héritiers. Pareille hypothèse engendre, elle-même, plusieurs sous-hypothèses.
La première sous-hypothèse est celle d’une pluralité d’héritiers dont un seul entend reprendre l’exploitation du bien loué. En ce cas, il est probable, pour ne pas dire évident, que celui-là sera celui, parmi les héritiers, qui reprendra l’exploitation du bien loué. La loi impose deux démarches (qui semblent pouvoir être réalisées par une seule notification). La première, visée, à l’article 39 de la loi, est d’informer le bailleur du décès. Cette obligation n’est assortie d’aucun délai ni d’aucune sanction, ce qui la rend, en fait, peu contraignante puisque l’irrespect de cette obligation ne pourra être puni. La seconde démarche, facultative, consiste, pour les héritiers ensemble, à notifier au bailleur l’identité de l’héritier qui reprendra le droit au bail. Cette démarche est facultative en ce sens que, si pareille notification n’a pas lieu, le repreneur poursuivra le bail alors que, si pareille notification a lieu et à condition que l’héritier soit un parent visé à l’article 43, il bénéficiera d’un renouvellement du bail pour une première et nouvelle période d’occupation (renvoi, à cet égard, à l’hypothèse ci-dessus de l’héritier unique, fermier, qui reprend le droit au bail et le notifie au bailleur).
La seconde sous-hypothèse est celle d’une pluralité d’héritiers dont plusieurs sont exploitants. De deux choses l’une. Soit les héritiers se mettent d’accord entre eux (l’un d’eux reprend ou plusieurs reprennent en commun) : mêmes démarches d’information et de notification que ci-dessus. Soit les héritiers ne s’entendent pas, et c’est alors au Juge de Paix, saisi par l’un ou plusieurs héritier(s), de dire qui, parmi eux, sera désigné pour la reprise du droit au bail. Les critères d’attribution sont expressément visés par la loi, en son article 41, en ordre successif : (1) conjoint ou cohabitant, (2) l’héritier désigné par testament pour la reprise du droit au bail, (3) héritier qui collaborait de façon régulière à l’exploitation (même s’il n’habitait pas la ferme) (critère assez flou), (4) héritier désigné par « la majorité des intérêts » (critère très flou), (5) héritier désigné au sort (c’est-à-dire à la courte paille). Il est précisé que les critères 3 et 4 permettent une reprise en commun du bail, soit par plusieurs héritiers. La loi impose (mais sans sanction et sans délai, à nouveau) d’informer le bailleur de l’identité du ou des héritiers désignés, ce par voie de notification. Si le ou les repreneurs sont des parents visés à l’article 43, s’en suivront le renouvellement du bail et la création d’une première et nouvelle période d’occupation de 9 ans…
La matière étant complexe, il est vivement conseillé de se faire entourer par des professionnels lorsque vient le décès.
, avocat au Barreau de Tournai