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Les 130, l’étonnant

vignoble

En apportant de nouvelles offres de diversification aux agriculteurs de la région française, anciennement appelée Nord-Pas-de-Calais, Ternoveo a également relancé la viticulture dans des départements qui n’en connaissaient plus depuis plusieurs siècles. Aujourd’hui, 60 viticulteurs exploitent un peu moins de 90 ha de Chardonnay.

Temps de lecture : 8 min

« Implanté à Saint-Quentin dans le département de l’Aisne, comme expliqué sur son site web, le négoce Ternoveo évolue dans un territoire marqué par une forte tradition agricole où il assure la collecte et la commercialisation de céréales ainsi que l’approvisionnement en agrofournitures (engrais, phytos, semences) pour les agriculteurs. En complément, la structure propose à ses clients des services et solutions technologiques pour répondre aux enjeux environnementaux et sociétaux et les accompagner au quotidien dans l’évolution du modèle agricole. »

C’est précisément lors d’un de ses séminaires d’entreprise en 2018 que fut posée la question d’une culture d’avenir face au changement climatique dans la région. Contre toute attente, ce fut la viticulture qui émergea des débats. Un argument joua fortement en faveur de cette décision : FranceAgriMer venait, en effet, d’autoriser la plantation de manière intensive de vignes dans les deux départements des Hauts-de-France qui en étaient empêchés jusqu’alors.

« Quand nous avons vu que la Belgique et l’Angleterre avaient des vignes et pas nous, nous avons voulu tenter le pari », se rappellent Christophe Dubreucq et Julien Poulin, présents dans le projet depuis le début. « Après des études techniques, économiques et financières, nous avons pris la décision fin 2019 de créer une filière. Nous étions conscients qu’on ne savait pas grand-chose, il fallait donc tout découvrir, sans toutefois faire du copié-collé par rapport à ce qui est déjà réalisé dans les autres vignobles de France. Nous voulions élaborer des vins tranquilles, pas des effervescents comme en Belgique ou en Champagne, et partir d’un cépage connu, qui s’adapte partout. Produire, c’est bien, mais commercialiser c’est mieux, et la notoriété du cépage fait partie du business marketing ».

Ils poursuivent : « Nous avons alors sondé les agriculteurs qui travaillaient déjà avec Ternoveo pour savoir s’ils souhaitaient entrer dans un projet où ils cultiveraient la vigne dont nous achèterions la récolte pour en faire du vin. Sachant que dans ce projet, nous n’abandonnons jamais les agriculteurs, nous sommes présents pour les guider dans la plantation, dans le traitement, la taille de formation et la production. Le but étant d’avoir un produit qualitatif qui arrive à la cuverie. »

Un chai évolutif

Ternoveo possédant un vaste bâtiment de 3300 m2 – une ancienne sucrerie fermée vers 1988 et utilisée pour le stockage des céréales – à Dompierre-Becquincourt, celui-ci fut choisi comme siège de cette nouvelle filière alors qu’aucun pied de vigne n’avait encore été planté.

« Nous sommes situés entre Saint Omer et Laon au centre d’un territoire assez large et si nous sommes positionnés à Dompierre, c’est aussi parce que cela nous appartenait », reprend Guillermo Arancibia, l’œnologue du projet. Il ajoute : « Cela permet de réduire les investissements et de réhabiliter la sucrerie en conservant à peu près son âme. Nous sommes ici au centre d’une toile d’araignée du vignoble qui, de haut en bas, fait 250 km. De tous les points, nous avons le même temps de trajet, soit 2,5 heures si on prend l’endroit le plus éloigné. Nous sommes ici à 5 minutes de l’autoroute, nos autres parcelles en sont situées à 15 minutes maximum. Cela permet de gagner du temps.

En 2020, 17 premiers hectares ont été plantés, 26,5 l’année suivante, et encore 34,5 en 2022. Nous avons un peu freiné en 2023 en ne plantant que 5 ha. Nous allons continuer par tranches de 5 ha, pour voir comment cela évolue. C’est beau de produire mais il faut aussi vendre derrière ! En 2023, nous avons produit 50.000 bouteilles et nous pensons en sortir 200.000 cette année, peut-être même 500.000 en 2025. Il faut donc adapter la stratégie.

Par ailleurs, ce bâtiment est idéal, car ses dimensions permettront, à terme, une production de 200 ha, ce qui, avec un rendement entre 8 et 10 t/ha, permet de produire l’équivalent de 12.000 hl, soit environ un million de bouteilles ».

À noter que chaque parcelle est vinifiée séparément avant d’être assemblée en bout de chaîne. À ce stade, les viticulteurs ne peuvent prétendre à leur propre vin, seulement celui du collectif.

Pour l’heure, seul le quart du volume intérieur du bâtiment a été cloisonné pour aménager la cuverie et un chai à barriques : « Nous construisons au fur et à mesure de nos productions. Nous avons récolté 17 ha la première année, 26.5 de plus la seconde et tout s’est fait dans la partie actuelle. À partir de cette année, nous allons créer une extension par l’arrière, puis sur les côtés. On le fait pas à pas, c’est bien pour le produit, mais il faut surtout vendre derrière. Prochainement, 3000 hl de cuves vont arriver, cela nous donnera une capacité de 5500 hl. »

Un cépage qui se démarque  de ses voisins

Alors que ses voisins du Nord optent soit pour la production d’effervescents, soit pour les cépages résistants, Ternoveo a choisi un cépage classique et unique, le Chardonnay, et un vin tranquille décliné en trois qualités. « Nous avons aussi planté d’autres cépages pour analyser comment ils s’habitueraient à la région et voir si leur qualité serait au rendez-vous lors des essais de vinification des trois premières années, avant de les conseiller à nos viticulteurs. Nous avons aussi réalisé des tests avec des variétés résistantes françaises, le Voltis et le Floréal, mais en 2023, cela ne donnait pas grand-chose. Il faut cependant souligner qu’il s’agissait d’une année difficile. Nous allons voir comment cela va se passer en 2024, nous ne sommes pas fermés… », indique Christophe Dubreucq.

Faire du vin quand on n’y connaît rien n’est forcément pas simple, voire audacieux. « Dans ce cas, il faut bien se faire entourer, prendre des personnes avec des connaissances et un savoir-faire acquis depuis un certain temps. Notre conseiller viti-oeno (le cabinet Vinelyss) vient de Champagne, il connaît bien le chardonnay. Nos pieds de vignes sont de la pépinière Guillaume qui nous a suivis pendant la plantation. C’est un nouveau métier pour les viticulteurs, mais nous ne les abandonnons pas. Julien Poulin, responsable du vignoble, est en contact avec eux, il est aussi toujours présent lors des formations et des séminaires. Cette année, on passe les 78 ha en récolte, il va falloir que l’on commence à anticiper », souligne-t-il.

Les premières difficultés ont ainsi pu être évitées. « Nous pensions que les Saints de Glace pouvaient nous prendre en traître, mais nous avons échappé à cela. Il y a eu beaucoup de gel en 2023, dans le Grand Est et en Champagne, mais pas chez nous. Nos parcelles sont réparties sur quatre départements et elles ne sont jamais côte à côte, c’est aussi une protection contre la propagation des maladies. Même s’il pleut beaucoup, il y a toujours du vent pour sécher les vignes, le champignon n’a pas le temps de s’installer. Puis, il n’aime pas les températures fraîches que nous avons ».

Deux premières cuvées déjà proposées à la vente

Si Ternoveo n’a pas encore assez de recul pour définir les parcelles les plus qualitatives, celles-ci permettent déjà d’obtenir un vin homogène sur les premiers millésimes. « Avec Julien, nous déterminons la date des vendanges et en fonction de sa qualité, nous définissons un itinéraire technique pour obtenir la cuvée, le but étant de tout gérer avec la température, en essayant d’éviter les arrêts fermentaires. Mon boulot est de garantir qu’on ne change pas les caractéristiques de nos produits, d’année en année. Rester adéquat, il y aura un effet millésime, mais la matrice même ne change pas, l’essence du produit est conservée », précise l’œnologue-maître de chai.

L’achat des raisins par la SAS Chai des Hauts de France représente une rentrée potentielle pour les vignerons de 10 à 12.000 €, avec la vision future de revalorisation possible selon les qualités à la parcelle.

Trois cuvées sont actuellement produites, les deux premières étant déjà proposées à la vente.

Il y a tout d’abord Azimute, un vin léger et fruité, parfait pour l’été qui s’annonce. Doté d’une légère perlance apportant une dimension festive et de notes d’agrumes, sa persistance aromatique n’est pas très longue, mais il y a une belle tension et une jolie fraîcheur.

Parallèle 50 ensuite, un vin légèrement boisé, moins expressif au nez, mais plus complexe avec quelques notes d’abricot. Très gras et rond en bouche, il se mariera avec les fromages de la région ou un poisson en sauce blanche.

Enfin, Zenith (sortie prévue en décembre) est davantage boisé et bénéficie d’un élevage plus long qui apporte quelques notes d’évolution et un peu plus de tanins. Il sera parfait sur des viandes blanches ou une belle pièce de gibier…

Vendus essentiellement en Horeca et sur place, ces trois vins tiennent parfaitement la route et sont de bon augure pour l’avenir. Soulignons qu’ils sont aussi le résultat du travail de la Belge Laetitia Vankerkoven qui a réalisé trois vendanges aux 130 avec Guillermo Arancibia et suivi l’implantation de la cave. Elle vient de prendre la tête du Cellier de Perwez, récemment présenté dans ces pages, on ne peut que s’en réjouir.

Plus d’infos : les130.com

Marc Vanel

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