Accueil Archive

Peut-on se passer de

glyphosate ?

C’est à Fosses-la-Ville que l’Asbl Greenotec a réuni ses membres lors de son assemblée générale pour aborder une question épineuse : « Peut-on se passer de glyphosate ? ». Pour cela, deux experts d’Arvalis ont fait le déplacement depuis

la station expérimentale de Boigneville, au sud de Paris, afin de présenter le fruit de leurs recherches.

Temps de lecture : 8 min

Les deux orateurs, Jérôme Labreuche et Damien Brun ont commencé par remettre le contexte d’utilisation du glyphosate en place.

Sur base d’une enquête réalisée en France en 2017, ils ont pu identifier que 70 % des usages en interculture avaient comme cibles les repousses de céréales et les adventices annuelles ; qu’elles soient présentes sur sol « nu » ou dans les couverts. La destruction des couverts végétaux en tant que tel ne représente que 17 % des traitements. Le glyphosate est donc surtout utilisé comme un outil de rattrapage sur les couverts en présence de repousses et adventices dans celui-ci ou lorsque les conditions n’ont pu permettre une autre méthode de destruction.

Cette enquête a également révélé que la réduction du travail du sol s’accompagne souvent d’un recours accru au glyphosate, en particulier avant les cultures de printemps. Toutefois, l’agriculture de conservation des sols (ACS) procure des bénéfices indéniables : amélioration de la vie du sol, limitation de l’érosion… Dès lors, comment concilier ces pratiques pour allier préservation des sols et usage raisonné des intrants ?

Le bon outil…

Pour Damien Brun, pour se substituer au glyphosate, un bon outil de travail du sol doit répondre à des critères précis : un travail effectif sur toute la largeur de l’outil, un contrôle précis de la profondeur de travail et un mode d’action favorisant la destruction des adventices. Celui-ci peut fragmenter les végétaux ou séparer la terre adhérente aux racines, par exemple.

Dans tous les cas, il conseille d’éviter de bouleverser le sol, ce qui risquerait de favoriser de nouvelles levées, et laisser les plantes détruites en surface pour qu’elles sèchent, tout en veillant à ne pas les repiquer lors d’un travail ultérieur.

L’utilisation d’outils à disques (hors gel) est déconseillée pour ce travail de désherbage. Leur bon réglage est très complexe ; en effet, le pourcentage de surface travaillée est dépendant de l’angle d’attaque du disque mais aussi et surtout de sa profondeur. Or, il est très compliqué de maintenir une profondeur de manière optimale et homogène, ce qui cause inévitablement des manques. Ces adventices épargnées en profiteront pour se développer davantage et atteindre des stades où il ne sera plus possible de les éliminer lors du désherbage de la culture qui suivra. De plus, les outils à disques risquent de multiplier certaines plantes indésirables en fragmentant leurs rhizomes, comme pour le chiendent, par exemple.

Outre les critères énoncés précédemment, le choix de l’outil se fera en fonction des plantes qu’on cherche à détruire et de leur stade de développement. Face à des dicotylées développées, avec une tige souvent creuse, les rouleaux broyeurs (de type Faca) sont idéaux ; ils se caractérisent par un gros débit de chantier et une faible consommation de carburant. En revanche, ils n’ont aucune efficacité contre les graminées, même peu développées.

En présence de graminées, il est possible d’utiliser des outils non animés avec un bon résultat jusqu’à ce qu’elles aient atteint le stade trois feuilles. Pour cela, les scalpeurs et vibrodéchaumeurs fonctionnent bien, à condition de ne pas avoir une trop forte biomasse. Auquel cas, il conviendra de faire un passage au broyeur au préalable.

À partir du moment où les graminées sont tallées, il devient nécessaire d’employer des outils animés, tels qu’une fraise rotative ou un scalpeur avec rotor animé. Malheureusement, ceux-ci ont des coûts d’utilisation plus élevés et perturbent davantage le sol.

… au bon moment !

Les performances du désherbage sont aussi fortement dépendantes des conditions météorologiques lors du travail. Lorsqu’elles sont défavorables, les adventices auront davantage de chances de se repiquer et le passage du tracteur risque d’abîmer la structure du sol. Partant de ce constat et avant d’envisager la mise en place d’une solution mécanique de destruction de couvert (ou d’adventices), il est nécessaire d’évaluer le nombre de jours par an où il est possible de travailler dans de bonnes conditions.

C’est pour répondre à ce besoin qu’Arvalis a développé un outil d’aide à la décision appelé « J-Distas ». Celui-ci simule l’état du sol et des plantes, sur base de données climatiques, pédologiques, d’itinéraire techniques et du machinisme, pour ensuite appliquer différentes règles de décisions permettant de définir, en moyenne et par an, les périodes où le passage de l’outil est réalisable. Grâce à cela, et en connaissant son débit de chantier, il est possible de calculer le nombre d’hectares faisables par an, et ainsi considérer si la solution est adaptée à un système de culture donné.

Arvalis a réalisé quelques simulations pour déterminer le nombre de jours disponibles à Valenciennes (Hauts-de-France), avec un tracteur de 185 ch (8.8 t) et une flore adventice difficile à désherber. Avant un semis d’automne, le modèle estime qu’entre le 1er et le 30 octobre, il y a 10 jours disponibles en moyenne et qu’il y a au moins 4,6 jours pour 8 années sur 10. Pour un semis de printemps (21 mars au 20 avril), on passe à 22 jours en moyenne et 16,6 jours pour 8 ans sur 10.

Malheureusement, ce logiciel a été développé pour la France, la Belgique est nettement plus mal lotie, avec une pluviométrie plus importante qui réduit encore davantage les possibilités de travail dans de bonnes conditions.

Tout à l’électrique ?

Le désherbage électrique a un profil idéal sur papier : pas de perturbation du sol et de sa microfaune, un débit de chantier acceptable et zéro phyto ! Cependant, son coût d’utilisation, lié à la puissance nécessaire pour faire tourner la génératrice, et surtout son manque d’efficacité contre les graminées, ne permet pas d’en faire un candidat crédible comme remplaçant du glyphosate actuellement. Damien Brun annonce qu’une nouvelle machine, fonctionnant avec un courant alternatif à haute fréquence, devrait faire son apparition sur le marché en 2025. Révolution ou résultats similaires à l’existant ? Cela reste à voir.

Autre innovation présentée, dans l’air du temps de l’intelligence artificielle : le désherbage laser ! Grâce à une identification des adventices par des caméras haute définition et un algorithme, la machine les cible avec un tir de faisceau laser de 240 W afin de les brûler. Encore une fois, il reste quelques années à attendre avant que ces technologies n’arrivent à maturité et apparaissent dans nos campagnes.

Les couverts végétaux et l’aménagement de la rotationcomme leviers

Réduire les besoins en glyphosate passe aussi par une réflexion en amont de la destruction de couverts et d’adventices. Cette réflexion se fait sur toute la durée de la rotation, principalement en repensant la succession des cultures, et par les couverts végétaux.

Un des principaux freins à l’usage d’outils mécaniques, comme dit plus haut, est leur dépendance aux conditions météorologiques ; il n’y a que quelques jours de disponibles par saison, et encore, faut-il qu’ils tombent au bon moment. Une solution est de voir le problème dans l’autre sens : plutôt que d’essayer de trouver un outil pouvant fonctionner dans des conditions moyennes, il est intéressant de réfléchir à sa succession culturale pour maximiser les probabilités de pouvoir travailler dans de bonnes conditions.

Un autre levier pour améliorer l’efficacité des alternatives au glyphosate passe par la réussite des couverts d’interculture. Comme Jérôme Labreuche l’explique, il y a une corrélation négative entre la biomasse du couvert et celles des adventices.

Donc, en maximisant la biomasse et la vitesse de couverture du sol de l’interculture, on freine le développement des plantes indésirables ; celles-ci seront plus faciles à désherber ensuite. De plus, installer un couvert permet de choisir des espèces qui seront faciles à détruire, contrairement aux adventices spontanées ou aux repousses de céréales.

À défaut de s’en passer,cherchons à mieux l’utiliser

À dose équivalente, l’efficacité du glyphosate peut être très différente. Jérôme Labreuche explique qu’une première manière pour l’augmenter est de travailler à bas volume ; en réduisant la bouillie de 150 l/ha à 50 l/ha, l’efficacité du traitement augmenterait de 20 % selon Arvalis.

Une seconde manière est de travailler sur la qualité de la bouillie. En effet, les eaux calcaires atténuent le pouvoir d’action du glyphosate : le pourcentage d’efficacité du traitement passe de 95 % pour une eau à 0 ppm de calcium à seulement 35 % pour une eau à 400 ppm. En corrigeant la dureté de l’eau, à l’aide de sulfate d’ammonium par exemple, il est possible de garder une efficacité aux alentours de 80 %.

Alors, peut-on se passerde glyphosate ?

Les alternatives existent, mais elles ne sont pas sans conséquences. En agriculture de conservation, où on cherche à éviter le recours à la charrue, cela impose de repenser l’ensemble de son système, avec globalement un retour à davantage de travail du sol très dépendant des conditions météo. Il faudra investir dans de nouvelles machines, revoir sa rotation, réfléchir à des combinaisons de techniques, faire preuve d’anticipation et prendre des décisions au cas par cas. En somme, pour y parvenir, l’agriculteur devra devenir encore meilleur agronome… pour autant que la législation lui laisse les moyens d’agir et que la météo soit clémente !

Greenotec

La Une

«Les agriculteurs doivent se diversifier et réduire leur dépendance à l’élevage»

Economie La réglementation européenne sur le transport des animaux vivants est actuellement en phase de révision. En décembre 2023, la commission a présenté une proposition visant à remplacer le règlement (CE) n° 1/2005, dans le cadre de la stratégie « De la fourche à la fourchette » pour améliorer le bien-être animal. Les discussions se poursuivent au sein des commissions parlementaires concernées, avec des enjeux importants pour les filières agricoles et les acteurs du transport. Pour en parler, nous sommes allés à la rencontre de l’eurodéputée écologiste luxembourgeoise Tilly Metz, co-rapporteure d’un règlement qui agite l’hémicycle.
Voir plus d'articles
Le choix des lecteurs