une Europe plurielle
La session a été marquée par l’intervention d’Elisabeth Werner, nommée, le 28 mai dernier, directrice générale de la DG Agri, venue porter la voix d’une commission consciente de la gravité des enjeux. Sa présence peut être perçue comme un signal d’ouverture envers un secteur qui se sent souvent marginalisé dans les débats européens sur la durabilité.
Un modèle agricole européenen péril
Les contours d’un avenir incertain pour le secteur porcin
Améliorer le bien-être animalà partir de ce qui fonctionne déjà
Au fil de deux vagues de recensement, 192 bonnes pratiques ont été relevées dans différents pays européens. Parmi elles, 24 ont été sélectionnées comme exemplaires. L’objectif est clair : diffuser ces méthodes sous des formats clairs, concrets et adaptables, afin de favoriser leur adoption à plus grande échelle. Cette approche pragmatique vient répondre à une demande croissante de la société et des institutions : améliorer les conditions d’élevage, tout en préservant la durabilité économique des exploitations. Un équilibre délicat, souvent difficile à atteindre dans les élevages intensifs, soumis à une double pression : sociale et réglementaire.
La directive européenne sur les émissions industrielles (IED) accentue cette pression. Elle impose désormais des obligations strictes à partir de certains seuils : plus de 2.000 porcs à l’engraissement ou 750 truies. Mais les exploitations intermédiaires, voire plus modestes, sont elles aussi concernées, avec des seuils d’entrée plus bas pour certains types de production. Cette évolution rebat les cartes pour de nombreuses structures, contraintes à se réadapter sous peine de sanctions.
Des menaces sanitairestoujours présentes
Dans le même temps, les risques épidémiques persistent. Des maladies comme la peste porcine africaine ou la fièvre aphteuse rappellent la vulnérabilité de la filière. Le renforcement des protocoles de biosécurité s’impose comme une réponse indispensable, à la fois préventive et structurante.
Le recul de la population porcine européenne – en baisse de 9,44 % entre 2015 et 2024 selon Eurostat – illustre une réalité : la filière entre dans une phase de contraction. Cette tendance interroge la capacité du modèle actuel à perdurer sans profonde adaptation.
Dans ce contexte, la démarche initiée par Miguel Angel Higuera propose un renversement de perspective : et si les solutions venaient d’abord des éleveurs eux-mêmes ? À travers leurs expériences, leurs pratiques et leur vision du métier, ils dessinent les lignes d’un élevage plus sobre, plus respectueux, peut-être plus résilient.
Jonas Friess, jeune aviculteur bavarois, a quant à lui décrit sa ferme à énergie positive et à gestion hydrique optimisée. Mais cette réussite ne doit pas masquer une réalité plus difficile : « Une norme uniforme sur la densité des animaux, sans prise en compte du contexte, peut être contre-productive. » Il plaide pour une approche multidimensionnelle de la durabilité, intégrant les aspects sociaux et économiques au même titre que les critères environnementaux.
Raul Muniz, vétérinaire et éleveur ovin dans le nord de l’Espagne, a dressé un tableau sombre de sa filière : maladies animales persistantes, manque de main-d’œuvre, pression des prédateurs, et une filière laine devenue économiquement obsolète. « Il faut redonner un sens et une valeur à tout ce que produit un troupeau », a-t-il plaidé, évoquant le potentiel oublié de cette fibre naturelle dans l’économie circulaire. Werner Habermann, éleveur de bovins en Autriche, a conclu ce tour d’horizon en appelant à une simplification administrative et à un dialogue plus transparent entre les institutions européennes et les éleveurs. « Nous avons besoin de visibilité à moyen terme, pas d’une jungle de règlements qui évoluent sans cesse », a-t-il tranché.
La commission conscientedes limites du système actuel
Dans sa prise de parole, Elisabeth Werner a reconnu l’ampleur des difficultés. « La situation est actuellement favorable en termes de prix, mais cela reste fragile. Nous faisons face à un déclin structurel du nombre d’exploitations, à la récurrence des crises sanitaires, et à une concurrence mondiale qui ne joue pas à armes égales ».
Elle a appelé à une révision ambitieuse de la Pac à l’horizon post-2028, structurée autour de quatre piliers : la reconnaissance de la diversité des modèles de production, la garantie d’un revenu équitable, le soutien aux zones rurales et à la transition écologique, et une stratégie commerciale plus cohérente. « La qualité a un coût, qui n’est pas toujours pris en compte dans les échanges internationaux », a-t-elle insisté.
L’élevage,levier de transition écologique
Loin des images caricaturales, l’élevage peut être un allié puissant de la transition environnementale. Agroécologie, gestion durable des prairies, autonomie énergétique, sélection génétique responsable, réduction raisonnée des intrants : autant de leviers que les agriculteurs souhaitent voir reconnus, soutenus, et intégrés à une stratégie européenne cohérente. Mais pour cela, préviennent-ils, il faut sortir d’une logique punitive et restaurer un climat de confiance. La transition ne se fera pas sans eux. « Ce n’est pas un privilège que nous demandons, c’est un avenir », a résumé Raul Muniz.
Un consensus semble émerger : l’avenir de l’élevage européen ne se construira ni dans la nostalgie, ni dans l’abandon. Il exige une politique agricole audacieuse, enracinée dans la diversité des territoires et attentive aux signaux du terrain. Alors que l’UE s’apprête à définir ses priorités pour l’après-2028, les éleveurs européens rappellent qu’ils ne sont pas des obstacles, mais des acteurs de la solution. Loin d’être les derniers témoins d’un monde rural en déclin, ils en sont, plus que jamais, les bâtisseurs lucides et engagés.











