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T’es agriculteur et t’as plus d’eau? Non mais à l’eau, quoi!

Parodier la tirade ridicule de Nabila n’est pas tellement stupide, afin de rappeler avec humour combien l’eau reste un paramètre important dans nos vies, au même titre que l’énergie et la nourriture. Nous-mêmes oublions trop vite combien certaines denrées sont indispensables, et ne figurent pas à bonne hauteur sur notre échelle des valeurs. Nos sociétés modernes souffrent d’une fâcheuse propension à se déconnecter des réalités terre à terre, à se noyer dans les torrents de bêtises diffusées par les médias et les réseaux sociaux. Pourtant, quand l’eau vient à manquer, ou au contraire se met à sortir des fleuves, tout le monde pleurniche. « Non mais à l’eau, quoi ! ».

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Certains peuples pleurent davantage, se lamentent et crient leur soif. Même leurs larmes sont sèches à cause du manque d’eau. Les Ukrainiens, par exemple, se font démolir systématiquement leurs réseaux de distribution par leurs cousins russes. Ils en sont réduits à toutes sortes d’expédients pour cuire leurs aliments et faire leur toilette. Bien plus au sud, dans les pays africains, le manque d’eau potable engendre des drames inimaginables sur lesquels nous fermons trop facilement les yeux, quand on sait qu’un enfant y meurt toutes les dix secondes par simple manque d’hygiène. Il suffirait de quelques centaines de millions de dollars pour y remédier, au lieu de dépenser scandaleusement des milliards en armements. « Non mais allô la conscience du monde, quoi ! ».

Ah la la ! Rien n’est simple. Les cycles de l’eau ne tournent plus rond. Ils sont les marqueurs les plus évidents des changements climatiques, et les perturbations démontrent son rôle irremplaçable sur notre planète bleue. J’ai été fort surpris d’apprendre que l’eau H2O ne représente que 0,023 %, soit un peu plus de deux millièmes de la masse terrestre, ou trois milliards de milliards de tonnes. C’est à la fois excessivement peu et beaucoup à la fois, puisque les océans, les mers, et toutes les étendues sous eau couvrent 72 % de la surface du globe ! L’eau douce, celle qui nous intéresse, n’en représente toutefois que 2,5 % de la totalité, et seul un petit pourcent est présent sous forme liquide ! Oups ! Les glaciers ont stocké l’or bleu pendant des millions d’années, et voilà qu’ils se vident comme des oranges pressées par le réchauffement global. « T’auras bientôt plus d’eau ? Non mais, à l’eau, quoi ! ».

L’agriculture est grandement impactée par les dérèglements des cycles de l’eau, et devient « aride-culture » dans certaines régions asséchées, « aqua-culture » dans d’autres inondées. Quand on y songe, me disait naguère un ami, les agriculteurs en sont des gestionnaires de premier plan, autant consommateurs que producteurs d’eau. Plutôt transformateurs ! Nos activités permettent de capter de l’eau libre et de la synthétiser sous une forme comestible, de l’enfermer dans des produits alimentaires qui nourrissent autant qu’ils désaltèrent. Le lait contient 90 % d’eau ; les œufs sans coquille 75 % ; les fruits et légumes 80 à 90 % ; les viandes 60 à 75 % ; les céréales et fruits secs 10 à 20 % ; les pommes de terre 80 % ; les fromages 40 à 80 % ; … Dès lors, il est faux de dire que l’agriculture gaspille l’or bleu ! Au contraire : les aliments que nous produisons sont riches en ce précieux liquide, ingéré en même temps que les autres nutriments. Notre corps humain lui-même est composé de 65 % d’H2O. « Non mais, à l’eau, quoi ! »

Par ailleurs, parmi leurs nombreuses activités de terrain, les agriculteurs sont obligés de gérer toute l’eau qui coule sur les surfaces qu’ils exploitent. Les paysans d’autrefois ont drainé des pays entiers, les ont conquis sur la mer, comme les Polders. Ils ont creusé des canaux, des fossés ; ils ont élevé des digues, redressé les cours vagabonds des rivières. Dans les pays chauds, ils ont inventé des systèmes d’irrigation, tiré parti des crues riches en limons fertiles, comme celles du Nil en Égypte. Disons que les fermiers en connaissent un fameux bout, question eau ! Pourtant, on ne nous fait guère confiance, et la PAC, entre autres, impose diverses règles pour protéger les cours d’eau, les zones rivulaires, les prairies humides, via les fameuses Bonnes Conditions Agri-Environnementales, ou encore les Éco-Régimes. « Non mais à l’eau, quoi ! ».

Ainsi, avoir un ruisseau au fond de sa pâture représentait naguère un avantage certain, pour abreuver les vaches en été. Il faut aujourd’hui le clôturer, et chercher une autre solution pour fournir de l’eau à ses animaux. Se brancher sur la distribution ou sur son puits ; installer des pompes à museau, éoliennes, voire photovoltaïques, des systèmes à niveau constant ; conduire son eau avec de grands tonneaux… Les animaux domestiques s’abreuvent dans les rivières depuis des millénaires, et d’un coup d’un seul, il faudrait leur en interdire l’accès. « T’es agriculteur et on coupe ton eau ? Non mais à l’eau, quoi ! »

Ceci dit, et sans rire, l’eau pourrait bien manquer l’été prochain dans les réseaux de distribution wallons, s’il ne repleut pas durant cet hiver. Notre petit ruisseau « familial » est à sec depuis le mois de mai : sept mois, record de 2018 largement battu ! L’IRM annonce un déficit de pluviométrie de 40 % pour le mois de novembre, et décembre promet également d’être trop peu arrosé. Notre verte province du Luxembourg tire la langue, et diverses communes peinent à résoudre un problème tout à fait surréaliste chez nous, en plein automne, alors qu’il est censé pleuvoir et neiger à foison sur nos hauts-plateaux, à pareille époque de l’année. Va-t-on se retrouver dans des situations semblables à celles vécues en Californie par exemple, avec de grands fleuves pratiquement secs, comme le Colorado ?

« T’es Ardennais et t’as plus d’eau ? Non mais à l’eau, quoi ! »

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