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Balayer devant sa porte

Permettez-moi de vous poser une question toute simple : quelle molécule industrielle de synthèse retrouve-t-on dans toutes les eaux de surface, partout dans le monde, de l’Arctique à l’Antarctique ? La plupart des personnes interrogées répondront à l’unisson : le glyphosate ! Les bien-pensants écologistes citeront aussi le DDT (insecticide organochloré), les organophosphorés, les carbamates, etc. TOUS pointeront du doigt des produits employés en agriculture, et ils auront TOUT faux ! Car cette fameuse molécule présente absolument partout dans les rivières de tous les continents, n’est autre que le « bête » paracétamol ! Ces lustucrus l’eussent-ils cru??

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Dafalgan, Panadol, Spidifen, Doliprane, Algostase, Tylenol… Nos pharmacies regorgent de ces antidouleurs à base de paracétamol, lesquels effacent en quelques minutes les douleurs légères à modérées. Bye bye migraines, courbatures, rhumatismes, muscles endoloris, blessures et hématomes : c’est magique ! À mon âge par exemple, impossible de passer une journée sans souffrir quelque part ! « Après cinquante ans, si on n’a pas mal à un endroit ou à un autre en se levant au matin, c’est qu’on est mort. ».Autrefois, les gens enduraient les souffrances, prenaient de l’aspirine qui leur brûlait l’estomac. Mais depuis cinquante ans, le paracétamol, décliné en de multiples versions, s’est hissé en tête des antidouleurs achetés sans ordonnance. Ses contre-indications sont très faibles, si on ne dépasse pas 6 grammes/jour répartis en plusieurs prises, et il jouit d’une bonne image dans le public. Je connais un agriculteur qui prend systématiquement un Dafalgan Forte 1 g chaque soir, pour bien dormir, et au besoin se relève la nuit pour en prendre un autre, quand sa hanche ou son épaule le réveille, et encore un autre dans la journée au besoin, allez hop ! Son foie en prend plein la cafetière…

En fait, ce comportement s’est généralisé dans le monde entier, à des échelles diverses, et les médicaments antalgiques en vente libre, -paracétamol, aspiririne, ibuprofène, diclofénac…- sont consommés partout comme des bonbons. Il existe d’autres molécules bien plus puissantes dans l’arsenal thérapeutique, mais celles-là vous assomment proprement pour le compte, et ne s’obtiennent que sur prescription médicale. Ce bon vieux paracétamol -C8H9NO2, « acétaminophène » pour les intimes- est dès lors synthétisé et consommé en quantité invraisemblable, et se retrouve au final disséminé dans la nature, après avoir transité dans les organismes et combattu les douleurs, réelles ou imaginaires. Que devient-il dans nos rivières et nos fleuves, nos mers et nos océans, après avoir soulagé l’humanité souffrante ?

Que deviennent également tous ces autres produits pharmaceutiques humains « oubliés » ? Leurs impacts sur les écosystèmes aquatiques sont mal étudiés, mais les écotoxicologues universitaires savent pertinemment, par exemple, que les médicaments contraceptifs modifient la proportion mâle-femelle chez les poissons, que les anti-dépresseurs dilués dans les eaux de surface influencent le comportement des animaux, les rendent moins timides et davantage agressifs. Assez curieusement, les études toxicologiques ne s’y attardent guère, et se focalisent en priorité sur les molécules phytopharmaceutiques utilisées en agriculture ! Elles oublient également deux substances consommées couramment, caféine et nicotine, lesquelles accompagnent « fraternellement » le paracétamol dans la conquête des eaux terrestres… Mais les défenseurs de l’environnement n’ont que ces produits dans le collimateur : DDT, glyphosate, organo-phosphorés… Ils se délectent de prononcer ces mots ! C’est tellement facile de viser un secteur aussi exposé que l’agriculture, de stigmatiser des gens qui travaillent au vu et au su de tout le monde, aux commandes de leurs pulvérisateurs. On ne va tout de même pas culpabiliser le brave mec qui avale deux cachets de Panadol parce qu’il a mal aux dents, ou la brave fille tenaillée par des crampes, qui prend de l’Algostase ?

On ne va pas reprocher aux gens de boire du café ? Aux fumeurs d’allumer clope sur clope ? Aux médecins de prescrire toutes sortes de médicaments pour guérir et atténuer les souffrances physiques et mentales de leurs patients ? Toutes ces substances finissent dans la nature ; elles ont été consommées -en principe- pour une bonne raison : tuer la douleur. De même, l’agriculture moderne utilise des molécules phytosanitaires pour de bonnes raisons, afin d’améliorer les rendements et la qualité de ses produits, pour nourrir correctement l’humanité. Les fermiers utilisent des produits pour leurs cultures et leurs animaux seulement si c’est nécessaire, comme lorsqu’on prend un Dafalgan. Car la nature est un enfer : elle se résume à manger ou être mangé ; elle n’est ni belle ni bonne, dans l’absolu, car nous ne sommes pas seuls dans notre environnement. Les virus, les bactéries, les champignons, ne se tracassent pas pour les écosystèmes et les souffrances qu’ils infligent. Ils tracent leurs routes et s’attaquent sans état d’âme aux autres espèces vivantes. Des équilibres de la terreur se créent au sein des systèmes vivants, où les hommes se battent avec leurs armes, avec leur intelligence et leur capacité à créer toutes sortes de médicaments pour se guérir, guérir les plantes et les animaux qui nous nourrissent.

Mais les hommes exagèrent toujours. Oui, bien sûr ! Ils prennent trop d’anti-douleurs, brûlent trop de ceci, gaspillent trop de cela. Ils restent toujours dans le trop, et ce trop aboutit dans les rivières, dans l’air que nous respirons, dans la couche de CO2 qui transforme la Terre en cocotte-minute. La nature humaine est ainsi faite, et jusqu’à son extinction, elle fonctionnera ainsi, dans la chronique de sa mort annoncée, têtue comme un bélier qui fonce bêtement sur une barrière en fer, encore et encore. En attendant, de grâce, serait-ce trop demander que chacun balaye au moins devant sa porte, et reconnaisse son propre impact, au lieu de charger sans cesse l’agriculture de tous les maux, de la brûler comme le bouc émissaire des Hébreux ou les sorcières du Moyen-Âge ?

Songer à tout cela me donne mal au crâne ; pas vous ? Si c’est le cas, un petit cachet de paracétamol pourra vous soulager, mais attention, songez à votre foie et aux poissons…

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