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La politique des Trois Singes

2022 vit déjà ses dernières journées. Douze mois, cinquante-deux semaines, 365 jours ont déroulé un catalogue de bonheurs pour les optimistes et les chanceux, une galerie des horreurs pour les pessimistes et les affligés. Selon l’angle de leur regard, les uns y voient un verre à moitié plein, les autres à moitié vide. Pour ne voir que le beau côté des choses, les Trois Singes de la sagesse chinoise appliquent une technique imparable. Ils se couvrent chacun une partie du visage : l’un les oreilles, l’autre les yeux, et le troisième la bouche.

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Ils symbolisent un comportement fort prisé du genre humain : ne pas écouter le mal, ne pas voir le mal, ne pas dire le mal. Nous agissons nous-mêmes ainsi, plus ou moins inconsciemment, à un niveau que nous aimerions raisonnable. Les instances dirigeantes, les hommes et les femmes politiques pratiquent ce sport à une échelle XXL, comme s’ils étaient toute l’année en finale de coupe du monde.

Fin décembre sonne un peu l’heure des bilans. Quand on regarde dans le rétroviseur de ces trois dernières années, on peut se dire en toute bonne foi que le début de la décennie 2020 ne nous a guère apporté de satisfactions, plutôt des afflictions ! 2020 : épidémie de Covid et sécheresse en été ; 2021 : toujours ce Covid, des inondations en juillet ; 2022 : guerre en Ukraine, inflation galopante, pénuries de toutes sortes, mazout et engrais hors de prix, sécheresse en été. À par cela, tout va très bien, Madame la Banquise ! Celle-ci se (con)fond en excuses de nous casser l’ambiance, de nous alerter sur le réchauffement global, sous un soleil de plus en plus chaud chaque année. Les politiciens mondiaux, disciples des Trois Singes quand un sujet les dérange, se sont bien bouchés les yeux et les oreilles, pour ne pas entendre et voir à quel point la santé de la planète se détériore. Lors des dernières COP de Glasgow et Charm el-Cheikh, leurs bouches n’ont laissé échapper que quelques promesses convenues, qu’ils tiendront peut-être… ou sans doute pas.

Dans cet exercice de style, le champion toutes catégories est évidemment Vladimir Poutine, un fameux loustic qui ne voit ni n’entend aucun mal dans ses actions « militaires spéciales » en Ukraine ! Il me sidère chaque jour, avec sa politique en miroir qui inverse les rôles avec une mauvaise foi hallucinante ! Chez nous, nos députés wallons se plaisent un peu à l’imiter, aveugles et sourds comme les Trois Singes quand il s’agit des dérapages internes. Le greffier du Parlement n’est pas vu, pas pris depuis des années. Il a pu harceler ses subordonnés, dépenser l’argent public en toute impunité, avec les félicitations du jury ! C’est trop facile de se boucher les oreilles et de fermer les yeux sur des dépenses scandaleuses, de ne rien dire quand cela vous avantage, de raconter des histoires qui vous donnent systématiquement le beau rôle. À qui peut-on encore faire confiance ? Quand on expose une vérité, on se fait taper sur les doigts, on cherche à vous fermer la bouche. J’en ai fait les frais plus d’une fois, pas plus tard que ces derniers temps, avec la déplorable mésaventure de toutes ces agricultrices spoliées d’une pension de retraite méritée, privées de reconnaissance, « oubliées » par nos responsables politiques et nos syndicats agricoles, qui ne veulent pas voir, ni entendre le mal qu’on leur fait…

La philosophe Anna Arendt a défini ce qu’elle appelle la « banalité du mal », où l’individu déviant n’est pas la source du mal, mais plutôt son émanation, à l’image d’un champignon qui ne représente que la partie visible du mycélium, lequel a tout envahi et rendu banal, normal, acceptable le mal qu’il diffuse. Si trop de gens ferment les yeux et se bouchent les oreilles quand le mal vient à poindre, celui-ci aura toutes les chances d’éclore et de s’étendre dans le temps. Les Russes laissent faire leur président par faiblesse ; les députés wallons ont agi de même avec leur greffier et d’autres malfrats politiques en col blanc ; des eurodéputés ignorent sciemment les dérives du lobbying, et profitent des cadeaux, des valises de billets qu’ils reçoivent pour influencer leurs votes et la politique européenne. Ainsi, les choix de la PAC sont largement dictés par des forces extérieures en sous-main, en sous-marins qui torpillent les bonnes volontés écologiques et humanistes. Quand un scandale éclate, quelques individus sont condamnés, cloués au pilori pour focaliser la vindicte populaire, alors que c’est le système des Trois Singes en entier, délétère pour la démocratie, qui devrait être démantelé.

C’est triste de parler du mal, en cette veille de Noël, pardonnez-moi… Ne vaudrait-il pas mieux parler du bien, sous toutes ses formes ? Chercher le bien partout, être ce que l’on appelle « bienveillant ». Savoir pardonner les erreurs, faire abstraction des petits défauts. Hélas, « bienveillance » court le risque de dériver en « pusillanimité » c’est-à-dire la crainte de dire les choses, de dénoncer le mal pour le bien de tous. La peur de se mêler de ce qui ne nous regarde pas, ne devrait pas nous interdire de suivre nos bons instincts. C’est le sujet du Conte de Noël, à l’intérieur des pages de ce Sillon Belge.

Les anges musiciens, au-dessus de la Crèche, ne chantaient-ils pas « Paix sur la Terre aux hommes de bonne volonté ! » ? Ils ne célébraient pas les Trois Singes.

Je vous souhaite de tout cœur, à toutes et à tous, de joyeuses fêtes de fin d’année ! 2022 ne nous a pas vendu du rêve : 2023 nous doit une belle revanche…

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