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Agr-e-sommet : «Les bovins sont nos alliés»

« Il n’y a pas de ferme durable si elle n’est pas rentable » a d’emblée posé Frédéric Rollin, Professeur à la Faculté de Médecine vétérinaire de l’Université de Liège, qui a fait un état des lieux de la situation du secteur agricole en Wallonie. Si l’avenir semble peu radieux, il existe toutefois quelques pistes pour l’éclairer.

Temps de lecture : 8 min

Pour « nourrir l’avenir », il faudra, aux agriculteurs, se mettre, et être mis, dans les meilleures conditions possible dans un environnement en pleine mutation. C’était le propos du dernier Agr-e-sommet organisé, début de ce mois de décembre, par Libramont Coopéralia.

Cela commence par nos territoires. Il faut savoir que si la SAU wallonne totale est restée stable au cours des trente dernières années, de gros changements se sont opérés au niveau des cultures industrielles qui ont enregistré une baisse de 17,5 % au profit de celle de la pomme de terre qui a bondi de 118 % entre 1992 et 2002.

Chute du nombre d’exploitations agricoles

Il en va de même pour les légumineuses grains secs qui se sont accrues de 192 % durant cette même période tandis que les prairies permanentes subissent une lente érosion.

Mais c’est surtout en termes de nombre d’exploitations agricoles que les chiffres sont « les plus marquants » puisque l’on en a perdu un peu plus de la moitié. De 27.317 en 1992, elles n’étaient plus que 12.728 en 2021.

La SAU wallonne totale est restée stable au cours des 30 dernières années.  Les plus gros changements se sont opérés au niveau des cultures industrielles  qui ont enregistré une baisse de 17,5% au profit de celle de la pomme de terre  qui a bondit de 118% entre 1992 et 2002.
La SAU wallonne totale est restée stable au cours des 30 dernières années. Les plus gros changements se sont opérés au niveau des cultures industrielles qui ont enregistré une baisse de 17,5% au profit de celle de la pomme de terre qui a bondit de 118% entre 1992 et 2002. - M-F V.

Cette chute concerne également le nombre de bovins qui a diminué d’un tiers sur notre territoire au cours de ce même laps de temps. Quant au nombre de porcs, il a légèrement augmenté mais « reste relativement anecdotique chez nous ».

Il reste environ 7.500 exploitations bovines en Wallonie, dont 3.793 laitières et 5.841 allaitantes. Et si le total dépasse le nombre d’exploitations, « c’est parce qu’il y en a un peu plus de 2.000 qui combinent les deux spéculations » précise le professeur Frédéric Rollin.

« Si l’on considère la répartition des bovins au sein de ces exploitations en fonction de leur taille on se rend compte que 85 % des bovins sont en réalité détenus par 3.850 exploitations de plus de 100 bovins » a-t-il développé, ajoutant qu’il « en va de même pour les vaches laitières dont les trois quarts sont détenus par 1.361 exploitations de plus de 60 vaches en production ».

La situation n’est pas différente pour les vaches allaitantes dont 75 % sont détenues par 2.075 exploitations de plus de 40 vaches.

Enquête de durabilité en province de Luxembourg

Dans le cadre d’un projet pilote, le professeur Rollin a mené, voici quatre ans, une étude dans 14 élevages bovins de la province de Luxembourg afin d’en évaluer la durabilité.

Pour ce faire, il a utilisé des indicateurs s’articulant autour de trois aspects. Le premier portait sur la durabilité agroécologique, soit l’organisation de l’espace et les pratiques agricoles.

Le second couvrait la notion de durabilité socio-territoriale, à savoir la qualité des produits et du terroir, les emplois et services, la notion d’éthique et de développement humain.

Enfin, il était question de durabilité économique couvrant la viabilité, l’indépendance financière, la sensibilité aux aides, la transmissibilité et l’efficience du processus productif.

« Une population agricole usée et vieillissante »

Sans surprise, on apprend que le problème se situe clairement au niveau socio-économique. Il ressort d’ailleurs de cette enquête que « certaines exploitations sur lesquelles se sont penchés les chercheurs, ne gagnent rien ».

Pour M. Rollin, ce résultat est tout d’abord dû à « une population usée et vieillissante dont l’âge moyen tourne autour de 58 ans avec seulement 20 % de repreneurs, voire moins ». Une tendance négative confirmée par la pyramide « inversée » des âges des exploitants agricoles wallons.

Les explications à cette situation, tout le monde, dans le secteur, les connaît. Il s’agit d’un niveau de revenu trop faible au regard des heures de travail prestées et des investissements consentis, sans compter les risques encourus par les agriculteurs, financiers ou accident de travail.

« Croître ou périr »

La diminution de la marge sur les productions a par ailleurs contraint les exploitations à s’agrandir, à se mécaniser davantage et à faire appel à de la main-d’œuvre coûteuse.

Pour poursuivre leur activité, les agriculteurs n’ont plus trop le choix, il leur faudra « croître ou périr » a asséné Frédéric Rollin en ajoutant que « les revenus sont souvent constitués des primes Pac ».

Quand on travaille, on doit non seulement être valorisé financièrement, mais aussi psychologiquement et sociétalement. Et c’est là que le bât blesse pour le scientifique qui a évoqué, comme deuxième cause, le dénigrement du rôle des agriculteurs dans la société.

« Pour une partie de la population, les fermiers passent pour des assistés, voire carrément des parasites, sans parler des ruminants taxés de tous les maux ».

Concurrence, illectronisme, harcèlement administratif

La troisième raison à ce mauvais résultat tient au travail et au harcèlement administratifs dans la gestion d’une exploitation. On parle ici des contrôles tous azimuts qui génèrent un stress permanent chez les agriculteurs qui n’ont pas, contrairement à l’Administration, de droit à l’erreur.

M. Rollin a également évoqué les difficultés, pour les plus âgés, de maîtriser les outils numériques, parlant même « d’illectronisme » pour certains.

La quatrième et dernière raison porte sur l’inflation galopante des prix du foncier du fait d’investissements pas des groupes financiers (Colruyt), la concurrence de particuliers en mal de terrains et celle qui existe entre agriculteurs, parfois transfrontaliers, notamment avec le Grand-Duché de Luxembourg.

Cet ensemble d’éléments rend la transmission familiale quasiment impossible et provoque l’augmentation des fermages et des dessous-de-table.

Bientôt plus de chevaux que de bovins en Belgique ?

Si, en Wallonie, il reste environ un million de bovins, la Belgique recense 536.000 chevaux pucés auxquels il convient d’ajouter les non pucés, qui sont de l’ordre de 300.000 à… 600.000 unités.

C’est dire qu’il y aura bientôt plus de chevaux que de bovins dans notre pays. « Or, Ils émettent aussi des gaz à effet de serre » a posé le professeur Rollin, ajoutant que « ce sont par contre de très mauvais pâtureurs ».

Le scientifique s’est dans la foulée intéressé au prix moyen des terres agricoles au premier semestre 2022 pour nous apprendre qu’il tourne autour des 40.000€/ha en Wallonie, bien moin cher que chez nos voisins flamands.

S’il n’a pas de boule de cristal, Frédéric Rollin envisage l’avenir sous deux angles qui sont autant de phases successives, avec une période de chevauchement entre les deux. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles annoncent plutôt des lendemains qui déchantent…

Des lendemains qui déchantent

La première phase serait caractérisée par la poursuite de la tendance actuelle, soit une diminution drastique du nombre d’éleveurs et de bovins en Wallonie au profit des cultures qui constituent un travail beaucoup plus saisonnier et beaucoup moins contraignant qui ira de pair avec la dégradation des sols.

Une évolution qui va s’intensifier et « achever » celle qui est actuellement en cours.

« Seule son ampleur est incertaine » a prévenu le professeur Frédéric Rollin ajoutant que « sur base de la pyramide des âges et des difficultés que je peux observer, je prédis dans les dix ans la disparition de trois-quarts des élevages et de la moitié des bovins restants en Wallonie ».

Quant aux grandes exploitations restantes, « elles vont finir, contraintes et forcées, par faire de l’intégration ».

Avec un grand nombre de bovins, le « zero grazing » prendra de l’ampleur, une tendance qui ira de pair avec des races hyper-sélectionnées « comme la Holstein qui, en quelques générations, deviendra incapable de pâturer vu son potentiel génétique ».

Une vision sombre toutefois nuancée par la subsistance d’élevages de petite taille, en agriculture biologique et en circuit court et donc plus résilients.

La deuxième phase serait quant à elle portée par une augmentation du nombre de détenteurs d’animaux, une stagnation de ceux de bovins et un accroissement des petits ruminants en Wallonie.

L’ombre du rapport Meadows

« Si cette évolution est quasi certaine, seules l’ampleur et son calendrier ne le sont pas » a annoncé le Professeur Frédéric Rollin qui a replacé cette tendance dans le contexte plus global d’un effondrement de notre société annoncé dans le « rapport Meadows » du Club de Rome en 1972, lequel alertait sur la finitude des ressources planétaires dans une société à la croissance infinie.

Les chercheurs estimaient en 1972 que la croissance s’effondrerait à partir de 2020. Cette prévision s’avère globalement juste.

La croissance économique des pays développés est au mieux anémique (si l’on excepte la situation exceptionnelle actuelle du rebond post Covid-19) et celles des pays en voie de développement ont un coût écologique et social très lourd.

Garantir un revenu comparable aux autres secteurs

Si l’on veut pouvoir assurer un avenir aux agriculteurs pour qu’ils puissent continuer à nourrir leurs concitoyens, il faut tout faire pour « augmenter et conserver la main-d’œuvre et ses compétences » mais aussi garantir aux agriculteurs un revenu « au moins comparable aux autres secteurs d’activité ».

Cela passera aussi par une diminution des dépenses énergétiques et des intrants mais « il faudra aussi cultiver l’autonomie et la solidarité plutôt que la compétition, surveiller de près les disponibilités en eau, se battre pour garder un accès à la terre et s’adapter au dérèglement climatique » a déroulé Frédéric Rollin.

Quelques pistes de solutions

Le scientifique a toutefois tenu à ne pas plomber le moral des agriculteurs.

« Les bovins sont nos alliés pour la santé des sols, il faudra tout faire pour les préserver et stopper l’hémorragie en cours » a-t-il insisté, ajoutant qu’il faut « au moins 30 tonnes de fumier par hectare tous les deux à quatre ans pour maintenir le carbone organique total dans les sols à un niveau suffisant. Cela équivaut à 1,5 à 2 UGB par hectare ».

Faire pâturer et « améliorer les performances des bovins, diminuer le taux de réforme,  l’âge au premier vêlage, l’intervalle entre les vêlages », sont des éléments importants  pour la durabilité économique et environnementale des exploitations.
Faire pâturer et « améliorer les performances des bovins, diminuer le taux de réforme, l’âge au premier vêlage, l’intervalle entre les vêlages », sont des éléments importants pour la durabilité économique et environnementale des exploitations. - M-F V.

Pour M. Rollin, il faut aussi les faire pâturer et veiller à « améliorer leurs performances, diminuer le taux de réforme, l’âge au premier vêlage, l’intervalle entre les vêlages », des éléments importants pour la durabilité économique et environnementale des exploitations.

Et ce n’est pas tout.

« Il faut également optimiser leurs rations, leur digestibilité, l’équilibre azote/énergie, mais aussi concevoir des étables beaucoup moins énergivores ».

« En été comme en hiver, en prairie comme à l’étable, les ruminants nourrissent la faune et la flore des sols et contribuent à leur humification ».

« Si les bovins ont été apprivoisés par l’Homme, ce n’est peut-être pas pour leur viande, leur lait, mais leurs déjections et donc pour favoriser les productions végétales » a osé Frédéric Rollin.

Marie-France Vienne

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