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2023, une année de surchauffe en perspective

Le secteur agricole a été sacrément secoué l’année dernière. La nouvelle s’ouvre désormais sur de nouveaux défis, destins, attentes et les écueils ne manqueront pas. Christiane Lambert, la présidente du Copa et de la Fnsea s’est tout récemment muée en éclaireuse…

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Poursuite de la pandémie de covid-19, éclatement du conflit russo-ukrainien Une année chargée en événements négatifs qui a par ailleurs été marquée par des épisodes climatiques particulièrement pénalisants pour les agriculteurs. Ce sont d’ailleurs non moins de 47 % de la surface européenne qui ont été touchés par la sécheresse.

Nouvelle Pac, soutiens « confisqués » aux agriculteurs

Et 2023 s’annonce très dense en activités puisqu’il s’agit de l’année précédant les élections européennes. C’est dire qu’il faudra certainement s’attendre à une surchauffe au niveau européen pour accélérer la finalisation de nombreux textes encore en chantier pour permettre aux élus de présenter un bilan à la fin de cette mandature.

«25% des soutiens sont confisqués aux agriculteurs  et seront redistribués que s’ils verdissent leurs pratiques »
«25% des soutiens sont confisqués aux agriculteurs et seront redistribués que s’ils verdissent leurs pratiques » - M-F V.

La présidence suédoise, suivie de l’espagnole sera donc particulièrement importante. Christiane Lambert a salué les priorités de Stockholm que sont la sécurité, l’unité, compétitivité, transition écologique et énergétique, valeurs démocratiques et état de droit.

« Des mots qui nous vous bien et nous espérons travailler de façon constructive » a-t-elle ainsi prédit.

Dossier crucial s’il en est, la nouvelle Pac dont le coup d’envoi a été donné le 1er janvier. « Certains agriculteurs n’ont connu que très tardivement les plans stratégiques nationaux qu’ils doivent appliquer et qui comportent des changements majeurs, avec, notamment, l’entrée en vigueur des éco-régimes a rappelé la dirigeante du Copa.

« Cela signifie que 25 % des soutiens sont confisqués aux agriculteurs et ne seront redistribués que s’ils verdissent leurs pratiques ».

Assouplissements et dérogations sur les BCAE 7 et 8

Mais le syndicat européen peut toutefois se targuer d’avoir eu gain de cause quant à un certain nombre de mesures pour lesquelles il avait demandé des assouplissements, concernant notamment les BCAE 7 et 8 (rotation des cultures et utilisation des terres non productives).

Le Copa avait obtenu la possibilité de cultiver les 4 hectares de jachères suite à l’invasion russe de l’Ukraine, une décision qui avait été en outre portée par la présidence française.

Christiane Lambert soutient que les mêmes conditions sont réunies pour d’ores et déjà prolonger ce dispositif en 2023.

La dirigeante française n’a pas manqué d’évoquer l’effet de l’inflation, de l’ordre de 9,5 % qui affecte les aides de la Pac dans la comptabilité des exploitations agricoles, déjà victimes de l’augmentation du prix de tous les intrants.

Et la sécurité alimentaire ?

Le sujet est brûlant d’actualité. Il a été remis à l’ordre du jour lors de la publication, le 4 janvier dernier, d’une étude d’évaluation des principaux facteurs affectant la sécurité alimentaire commandée le 22 juin 2022 par le collège des commissaires.

C’était lors de présentation de la directive sur la restauration de la nature, laquelle prévoit des objectifs juridiquement contraignants et l’octroi de 100 milliards € aux États membres pour restaurer la nature et inverser la perte de biodiversité dans l’agriculture.

Ce rapport assure qu’une mise en œuvre cohérente et complète des objectifs du Pacte Vert devrait aider l’UE à atteindre cet objectif dans un délai réaliste.

Plusieurs éléments conjoncturels poussent à cette transition, explique le document, notamment la crise énergétique qui confirme la nécessité d’abandonner les engrais à base de combustibles fossiles ou encore les événements climatiques extrêmes qui incitent à réduire les émissions et à développer les approches fondées sur la nature.

C’est aussi vrai pour l’utilisation des pesticides chimiques qu’il convient, assure la commission, de réduire progressivement et intelligemment afin d’éviter les effets néfastes sur la sécurité alimentaire à moyen et long terme, tout en prévenant une nouvelle dégradation de l’environnement.

Mais de prévenir que cette analyse n’a pas pour objet d’apporter d’éléments précis sur l’impact de l’utilisation durable des pesticides sur la sécurité alimentaire.

Une tendance à mettre la poussière sous le tapis

L’étude indique que la disponibilité des aliments dans l’UE à court terme n’est pas menacée, mais la commission prévient toutefois que leur caractère abordable reste une préoccupation majeure, surtout dans un contexte où les prix des denrées alimentaires et de l’énergie ne devraient pas faiblir, pour un nombre croissant de ménages à faibles revenus.

Selon Eurostat, 74 millions de personnes en 2021, soit 16,8 % de la population de l’UE, étaient menacées de pauvreté avec un revenu inférieur à 60 % de la médiane nationale.

Pour Ramon Armengol, «aucune autre région du monde actuellement n’a des normes de bien-être animal supérieures à celles de l’UE».
Pour Ramon Armengol, «aucune autre région du monde actuellement n’a des normes de bien-être animal supérieures à celles de l’UE». - M-F V.

Sans mesures de protection sociale ciblées, ces ménages vulnérables pourraient être confrontés à une réduction de la quantité et de la qualité des aliments qu’ils consomment, alerte la commission pour qui il est donc nécessaire de maintenir un niveau de production agricole suffisant dans l’UE afin de satisfaire les besoins essentiels de cette population à risques.

Ce rapport n’est toutefois pas l’étude d’impact attendue par le Copa qui constate que les « directives avancent tel un rouleau compresseur » déplore Christiane Lambert.

Certains semblent mettre les problèmes sous le tapis, « comme si la guerre n’existait pas » en s’entêtant à maintenir les objectifs de la stratégie « De la fourche à la fourchette ».

Friture sur la ligne au parlement européen

Alors que la commission de l’Environnement du parlement, en charge du dossier, pourrait relever l’ambition des propositions sur la restauration de la nature, la commission de l’Agriculture (consultée pour avis) devrait au contraire demander de faire preuve de réalisme.

L’eurodéputée Anne Sander, que nous avons tout récemment rencontrée, a rédigé cet avis et estime qu’il faut « remettre un peu de mesure dans les propositions de ce texte ».

Elle présentait le 30 janvier un document dans lequel elle plaide pour que soient remises au centre des préoccupations la sécurité alimentaire, l’utilisation des terres et leur productivité.

Au cœur de ses préoccupations : les indicateurs proposés et l’objectif d’augmentation de ces indicateurs qui empiète sur les objectifs de la Pac qui vient tout juste de commencer.

Anne Sander demande donc que soit réalisée une étude d’impact complémentaire d’autant que cette proposition a un effet cumulatif avec la proposition de règlement sur l’utilisation durable des pesticides. Elle estime aussi que des financements seront nécessaires : « Nous ne pouvons pas accepter de piocher une nouvelle fois dans les fonds de la Pac. »

Les récoltes en Ukraine encore revues à la baisse

C’est peu dire que le conflit russo-ukrainien inquiète les dirigeants du Copa.

Selon les estimations de l’Association céréalière ukrainienne, les surfaces semées ont diminué et la récolte de céréales et d’oléagineux devrait encore baisser en 2023, pour atteindre 53 millions de tonnes, contre 65 millions en 2022. On est bien loin des 106 millions de tonnes récoltées en 2021, un record historique.

Pour les agriculteurs, ce n’est plus rentable de produire des céréales, avait déclaré le 26 janvier le président de l’Ukrainian Grain association (Uga).

Il a souligné que les agriculteurs ukrainiens ne retiraient en bout de chaîne que 80 dollars par tonne de maïs, alors que le grain jaune s’échange autour de 300 dollars sur les marchés, essentiellement du fait de la hausse considérable du coût du transport.

On rappellera qu’avant l’invasion russe, l’Ukraine était le quatrième exportateur mondial de maïs et le pays était en passe de devenir le troisième exportateur de blé.

La campagne de semis 2022 a été entravée, du fait des combats, du manque de carburant et de la destruction d’une partie des machines agricoles et des infrastructures de stockage. Cela a conduit à la réduction d’environ un quart de la surface cultivée par rapport à l’année précédente, selon l’Uga.

Une situation qui a amené certains eurodéputés à souligner que le Pacte Vert avait été pensé avant la pandémie et le conflit russo-ukrainien.

En clair, l’invasion russe de l’Ukraine a eu des effets perturbateurs immédiats qui s’inscriront dans le temps sur la production alimentaire.

C’est pour cette raison, a rappelé la présidente du Copa, que la France a présenté au sommet de Versailles en avril 2022, l’initiative européenne « Farm » (Food and agriculture résilience mission) pour venir en renfort d’un marché alimentaire mis à mal par la guerre en Ukraine.

L’agriculture biologique en perte de vitesse

Christiane Lambert s’est interrogée, dans la foulée, sur la vision « sanctuarisée » de la nature alors que « nous, agriculteurs nous savons qu’il est possible de concilier production alimentaire et protection de l’environnement ».

Elle a ainsi rappelé que « les objectifs fixés dans le cadre du Pacte vert ont été élaborés avant la guerre en Ukraine et que dans le contexte actuel, nous n’avons pas les moyens de les soutenir ».

La responsable du Copa a notamment indiqué que sur le règlement relatif à l’utilisation durable des pesticides, « il ne fallait pas confondre vitesse et précipitation ».

Et d’ajouter, « nous attendons ainsi un réajustement de la proposition de la commission en particulier sur l’objectif initial de réduction de 50 % de l’utilisation des pesticides d’ici à 2030 ».

« Le plus important c’est de réduire les risques des phytos et non leur usage », a-t-elle prévenu. Sur ce dossier, l’Exécutif européen devrait présenter en juin une étude d’impact complémentaire suite aux demandes répétées des États membres.

L’agriculture biologique s’est largement développée. Mais elle connaît des difficultés au niveau des marchés avec une baisse significative de la consommation de produits bio, ce qui pose question au niveau des objectifs qui ont été fixés en la matière par la commission (au moins 25 % des terres agricoles en bio d’ici 2030).

De grands groupes industriels en viennent à demander aux agriculteurs de faire une « déconversion ». Danone a annoncé le 26 janvier envisager la vente de deux marques américaines de produits laitiers biologiques, Horizon Organic et Wallaby, dans le cadre de sa stratégie visant à se délester d’activités jugées non essentielles.

Le bien-être animal

et ses dimension multiples

Enfin, dans la perspective de la vaste révision de la législation européenne sur le bien-être animal (à la ferme, dans les transports et à l’abattage), sur la base d’une évaluation publiée en septembre 2022 qui montrait les failles de la législation en place notamment du fait de son fractionnement, Christiane Lambert a souligné qu’« il était important de prendre en compte les différents systèmes de production, la variété des zones géographiques ainsi que les différentes espèces ».

Elle a également averti des « coûts et des énormes investissements que devront réaliser les éleveurs pour s’adapter à ces futures contraintes ».

De son côté, son collègue Ramon Armengol, président de la Cogeca (coopératives agricoles), a souhaité rappeler à la commission qu’« aucune autre région du monde actuellement n’a des normes de bien-être animal supérieures à celles de l’UE ».

Les services de la commission en charge du dosier, dont la plupart sont des vétérinaires, ont fait savoir qu’ils avaient bien conscience de la réalité de la production agricole et ses contraintes. Il faut dire que les crises que traverse aujourd’hui l’agriculture interpellent...

Compte à rebours avant l’été

En termes de calendrier, la commission attend encore la publication de certains avis scientifiques de l’Efsa avant de finaliser son étude d’impact attendue avant l’été.

L’Efsa a déjà rendu des avis sur le transport des animaux et sur les porcs. Un avis sur le bien-être des poules pondeuses et des poulets de chair devrait être publié ce mois de février puis une réunion publique de présentation se tiendra le 28 mars. Les autres avis en suspens sur les vaches laitières, les veaux, et les autres volailles (canards, oies, cailles) sont attendus en mai avec une présentation publique le 23.

Marie-France Vienne

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