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Propriétaires en indivision: qui peut décider quoi?

J’ai hérité, avec mon frère, de 8 hectares de terres de culture. Mon fils, qui est agriculteur, exploite ces terres au sein de son exploitation agricole. Voilà que mon frère lui envoie un recommandé dans lequel il le met en demeure de terminer l’exploitation et de libérer immédiatement nos terres. Mon frère a fait cette démarche seul, en a-t-il le droit ?

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La première question qui se pose est de savoir quelle convention a été conclue avec votre fils. Si vos parents, ou vous-même et votre frère, avez passé un accord avec lui pour qu’il puisse exploiter les terres contre un paiement, il y a une convention de bail à ferme sur laquelle la loi sur le bail à ferme s’applique. Un congé est alors seulement possible selon les cas prévus par la loi.

Commodat ou occupation précaire

Par contre, si vos parents ont donné l’occupation sans demande de paiement, il y a une convention de commodat. Le commodat est le prêt à l’usage. Ce genre de contrat est réglé dans le Code civil. L’article 1875 de ce Code civil stipule que le prêt à usage ou commodat est un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servie. Ce prêt est essentiellement gratuit comme l’article 1876 du Code civil l’indique. Vue qu’un bail à ferme nécessite le paiement d’un fermage, un contrat d’occupation gratuite ne peut jamais être assimilé à un bail. Si votre frère et vous-même avez donné les terres en occupation après le décès de vos parents, sans demande de paiement, il y a une convention d’occupation précaire. Avec l’arrêt de 19 novembre 2020, la Cour de Cassation a décidé que la volonté d’aménager une situation d’attente en raison de circonstances particulières pouvait justifier la rédaction d’une convention d’occupation précaire qui, même si elle cadre avec la définition légale du bail à ferme expressément exclu par les parties, échappe au champ d’application de la loi en l’absence de fraude. Dans la jurisprudence la période nécessaire pour faire la liquidation-partage d’un héritage est acceptée comme une situation d’attente.

quelle que soit l’hypothèse sur la nature de l’occupation- c’est-à-dire soit un bail à ferme, soit une occupation précaire, soit un prêt à l’usage, il faut un congé pour mettre fin à la convention. Selon la nature de la convention, il faut également respecter un délai de préavis.

Qui peut donner le congé ?

La deuxième question qui se pose est de savoir qui peut donner ce congé, vue que vous êtes deux copropriétaires. L’article 3.72 du Code civil, intitulé « Conservation et administration provisoire » dispose sur ce sujet qu’un copropriétaire peut accomplir des actes conservatoires et des actes d’administration provisoire sans avoir besoin de l’accord des autres copropriétaires. Il peut également accomplir des actes de disposition, en cas de nécessité, s’il s’agit de biens qui sont périssables ou sujets à une dépréciation rapide. Celui qui a accompli l’acte doit le notifier sans délai aux autres.

Les actes conservatoires sont des actes qui ont pour but de préserver l’existence ou le contenu essentiel d’un droit ou d’un bien ou de prévenir une perte imminente. Les actes d’administration provisoire sont des actes qui visent à protéger le bien ou ses fruits contre des inconvénients ou des événements soudains et passagers ou à permettre de profiter d’avantages soudains et passagers. Cela implique deux éléments : le caractère urgent de l’acte d’un côté et l’acte ne peut être qu’avantageux et ne peut comporter d’inconvénient pour la chose de l’autre côté.

Conformément à l’alinéa 2 de l’article 3.72 du Code civil, le copropriétaire a même une compétence de disposition si cela s’avère nécessaire pour lutter contre une dépréciation.

Selon la doctrine, donner congé pour mettre fin à une convention de louage ou de bail à ferme n’est pas un acte conservatoire ou un acte d’administration provisoire.

L’article 3.73 du Code civil, intitulé « Administration et disposition » dispose que les autres actes d’administration et les actes de disposition relatifs au bien indivis doivent être accomplis avec l’accord de tous les copropriétaires, sauf si le juge estime qu’un refus constituerait un abus de droit.

Votre frère n’avait, à première vue, donc pas la compétence de donner seul congé à votre fils.

Sortir d’indivision ?

Selon l’article 4.66 du Code civil nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision. Le partage peut toujours être provoqué, nonobstant toute clause contraire. Cela veut dire que vous ou votre frère pouvez demander le partage. Pour sortir d’une indivision, le partage en nature est la règle pour autant que les biens soient commodément partageables.

Pour sortir d’indivision les copropriétaires peuvent faire un partage amiable. Si tous les indivisaires ne consentent pas à un partage amiable, le partage a lieu judiciairement à la demande de la partie la plus diligente, formée devant le tribunal de la famille.

Dès que cette liquidation et partage ont été effectués, chaque de vous peut donner congé pour des terres desquelles il est devenu le seul propriétaire.

Bref

Votre frère n’avait pas le droit de terminer sans congé la convention d’occupation de votre fils, qu’importe la nature de cette convention. Chacun des copropriétaires peut néanmoins prendre seul l’initiative de sortir d’indivision. Une fois le partage fait, chacun peut donner congé pour ses propres parcelles, s’il remplit les conditions de la loi.

Jan Opsommer

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