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La nouvelle place du cheval de débardage en forêt

Pour diverses raisons, le nombre de débardeurs au cheval s’est fortement réduit ces dernières années. Cependant, en milieu sylvicole, le recours au cheval recèle bien des avantages (moindre tassement du sol, préservation de la végétation, maniabilité accrue…) et ce, également en combinaison avec des engins forestiers. À ce titre, le cheval de travail fait l’objet d’un nouvel intérêt et attire un nombre croissant d’amateurs dont certains sont actifs dans nos bois et forêts.

Temps de lecture : 10 min

Les études et observations réalisées sur les massifs forestiers font apparaître les multiples fragilités des écosystèmes et aboutissent à la conclusion d’une nécessaire résilience des forêts comme moyen de défense contre les effets dévastateurs des hausses de température. Privilégier des peuplements hétérogènes, choisir de nouvelles essences adaptées aux stations et au climat changeant, favoriser la régénération naturelle, maintenir un couvert continu, respecter les sols accueillants pour la germination et le développement racinaire de la végétation. Tels sont les quelques moyens d’action mis en place afin de favoriser cette résilience. Dans ce contexte, le cheval de débardage en forêt y retrouve une place de choix.

Atouts et inconvénients de la traction chevaline en forêt

En forêt, le recours à la traction chevaline présente nombre d’atouts. Mais quelques inconvénients sont également à épingler…

  Sacrifice d’exploitation

Après la sélection et le marquage des bois sur pied, ceux-ci sont abattus puis ébranchés, soit à la tronçonneuse, soit par une abatteuse-ébrancheuse motorisée munie d’une flèche articulée d’une portée de 7 à 8 m. Le bois est débusqué en long (non débité) et rassemblé en tas depuis la zone de coupe jusqu’au premier layon (voie d’accès au sein du peuplement), soit au cheval, soit à la machine. Lorsque le bois est débité, il est directement emmené par des porteurs forestiers.

Après leur débusquage, les bois sont « débardés » depuis les layons jusqu’aux chemins empierrés ou aires de stockage d’où ils seront chargés en camion. Le débardage se fait en général par tracteur ou débusqueur forestier munis d’une pince capable d’emmener un gros volume de bois.

Mise en tas (bottes) des grumes dans un layon.
Mise en tas (bottes) des grumes dans un layon.

À l’intérieur du peuplement, le cheval est capable de traîner le bois jusqu’au layon sur une distance de maximum 50 m. Au-delà de cette distance, il n’est pas efficace. En complément au cheval, le tracteur de débardage reste nécessaire pour emmener les grumes depuis le layon jusqu’au chemin empierré.

Le débusquage au cheval permet de limiter le nombre de layons : tous les 40 à 50 m. Les machines nécessitent de sacrifier davantage de lignes d’arbres pour créer plus de layons afin de leur permettre l’accès au peuplement. Ainsi, les machines requièrent un layon tous les 15 m (voir schéma).

Schéma: le débardage en forêt.
Schéma: le débardage en forêt.

Le sacrifice d’exploitation est donc plus important lorsque les machines entrent en action dans les peuplements, affectant ainsi négativement la rentabilité financière.

  Le tassement du sol

Un sol tassé empêche l’eau de s’infiltrer dans la terre et en réduit l’accessibilité aux racines. D’autre part, le tassement comprime la terre qui se voit dépourvue de l’air qu’elle contient. Le sol s’asphyxie. Les bactéries aérobies et la microfaune ne peuvent plus assurer leur rôle d’humification, appauvrissant ainsi les sols. L’eau et les éléments minéraux se raréfient.

Ces phénomènes réduisent l’alimentation des arbres et de la végétation en général qui s’affaiblit et devient plus sensible aux maladies. Le volume de bois produit en est diminué et la rentabilité financière de la forêt est impactée.

Un cheval de débusquage pèse 850 à 900 kg. La surface des sabots en contact avec le sol est d’environ 880 cm². La pression qu’il exerce sur le sol est donc d’environ 1 kg/cm².

Les véhicules de débardage et de débusquage exercent une pression à peine supérieure mais sur une surface bien supérieure ; d’autant plus lorsqu’ils sont pourvus de chenilles. Leur empreinte sur le sol est donc très supérieure par rapport à l’empreinte des quatre sabots du cheval.

Sur sol humide peu portant, le cheval n’altère pas le sol.
Sur sol humide peu portant, le cheval n’altère pas le sol.

Les sols sont aussi davantage impactés en profondeur avec les machines qu’avec les chevaux. Non seulement le poids des machines est davantage impactant en profondeur mais aussi les moteurs créent des vibrations sur les sols qu’ils tassent (effet de damage) bien davantage en profondeur qu’avec les chevaux.

Le sol abîmé en profondeur ne se régénère pas ou quasiment pas. Au cours des décennies, les passages répétés des engins mécanisés dans les peuplements augmentent les surfaces déstructurées en profondeur. Les chevaux peuvent, en revanche, maintenir l’intégrité des sols à la fois sur de grandes surfaces et en profondeur.

  Intégrité et préservation de la végétation en place

Le maintien de l’intégrité de la végétation en place constitue une contribution au maintien de la biodiversité et de puits de carbone. Il améliore également la rentabilité de l’exploitation de la forêt.

Le débusquage au cheval n’occasionne que peu de dégâts d’exploitation. Le flanc du cheval peut érafler les troncs d’arbres restés en place mais il n’en arrache pas l’écorce. Il arrive aussi que le cheval, mal guidé par son meneur ou faisant un écart involontaire, entraîne la grume sur la base d’un arbre qui peut s’écorcer mais c’est sans commune mesure avec le métal et les chenilles des machines, beaucoup plus encombrantes et lourdes, qui touchent les arbres sur pied. En couvert continu, ce phénomène est d’autant plus sensible.

Le cheval se faufile entre les arbres bien davantage qu’une machine. Il peut éviter et contourner les obstacles. Il est notamment capable de pivoter à 180º sur 1 m² et les quelques cm² des sabots en contact avec le sol limitent le contact avec les semis et les jeunes plantations. Tout au plus, le cheval aplatit la végétation herbeuse et arbustive, mais la plupart du temps en respecte l’intégrité.

Précision du déplacement du cheval au travers de la végétation en place.
Précision du déplacement du cheval au travers de la végétation en place.

Les machines provoquent rapidement des ornières profondes, d’autant plus étendues lorsqu’elles sont équipées de chenilles, déracinant littéralement les strates herbacées et arbustives sur leurs passages.

  Productivité

Le cheval est plus lent que les engins motorisés. Il ne rivalise pas avec le tracteur sur un chemin ou une route. À l’intérieur du peuplement, il est par contre aussi rapide. Il y est plus maniable et peut se faufiler et prendre des trajectoires plus directes. Il est capable d’évoluer dans des peuplements plus denses.

Le cheval n’est pas productif à l’extérieur du peuplement mais il y est très efficace à l’intérieur. Il est capable de traîner des bois d’un poids équivalent à un tiers de son poids, soit environ 250 à 300 kg. Selon l’essence d’arbre, le volume de bois correspondant se situe entre 0,5 et 0,7 m³. Il traîne les bois en continu sur une distance de 25 à 50 m avec des déplacements à vide, des moments d’arrêt et de pauses.

En une journée, selon le relief, l’état du terrain et en fonction des essences, le cheval débusque entre 20 et 60 m³ de bois. Pour la machine (tracteur forestier) la fourchette se situe entre 40 et 100 m³ journaliers.

La productivité du débusquage au cheval est d’autant plus importante que celui-ci est accompagné du tracteur de débardage qui évacue les tas de grumes au fur et à mesure. Combiné en plus avec le travail du bûcheron, le rendement s’améliore de 10 %.

Lorsque le volume des grumes est imposant, le meneur peut travailler avec une paire de chevaux. Il peut aussi utiliser un trinqueballe qui permet de soulever les grumes pour se défaire du frottement de celles-ci avec le sol et en faciliter le déplacement.

À partir d’un volume moyen de bois supérieur à 0,6 m³, on peut considérer que le rendement du débusquage au cheval (nombre de m³ débusqués / heure) stagne ou diminue.

Utilisation des chevaux en paire avec trinqueballe.
Utilisation des chevaux en paire avec trinqueballe.

  Accessibilité

Les zones accidentées comme les fossés, les dévers, les zones humides ou les zones biologiquement très sensibles sont très rarement accessibles avec les machines.

Franchissement de profonds canaux avant d’atteindre le layon.
Franchissement de profonds canaux avant d’atteindre le layon.

Le cheval peut se déplacer sur des sols peu portants sans leur occasionner de dégâts. Par temps pluvieux, les machines provoquent des dégâts importants et se voient interdire l’accès aux zones de débardage pendant une période nettement plus longue par rapport au cheval.

Les gestionnaires de rivières sont amenés à entretenir les berges par l’enlèvement d’embâcles (accumulation de branches et bois divers). L’accès à la rivière est compliqué et peu recommandé pour les machines : autorisations nécessaires, fuites d’hydrocarbures, peu de maniabilité, nécessité de coupe de bois pour accéder à la rivière, grande perturbation du milieu biologique du lit. Le cheval est ici la solution de choix d’un point de vue économique, écologique et pratique et ne requiert pas d’autorisation spécifique.

Où trouver les débardeurs au cheval en Wallonie ?

Au cours des dernières décennies, les donneurs d’ordre ont favorisé la présence des machines dans les massifs forestiers wallons et c’est la raison principale pour laquelle le nombre de débardeurs au cheval s’est fortement réduit. Le plus grand confort de travail dans les machines et le travail physique que représente le débardage au cheval ont aussi contribué à la réduction des meneurs de chevaux dans les coupes de bois.

Les prestations de débusquage au cheval sont rétribuées à la journée ou au m³ débusqué. Le coût d’une journée de débusquage au cheval se situe entre 240 et 300 €/j.

Afin de réaliser un état des lieux des débardeurs au cheval en Wallonie, une base de données des prestataires de services a été alimentée depuis plus de quatre ans. Celle-ci n’est certainement pas exhaustive car il s’avère que cette corporation est plutôt discrète. La bonne nouvelle est que le cheval de travail fait l’objet d’un nouvel intérêt et attire de plus en plus d’amateurs dont certains se font difficilement connaître.

Les données récoltées reprennent non seulement les débardeurs au cheval mais aussi tous les autres prestataires actifs également dans d’autres prestations au cheval. Ce répertoire fait apparaître qu’il persisterait en Région wallonne une bonne vingtaine de débardeurs au cheval à temps plein et actifs uniquement dans le débusquage de bois. Les autres, une quinzaine, sont des prestataires au cheval dans diverses disciplines (débardage, maraîchage, travaux communaux…). Parmi ceux-ci, beaucoup prestent en activité complémentaire. Il est aussi possible que certains soient davantage amateurs et ne pourraient pas gérer un chantier d’ampleur.

La carte ci-jointe permet de localiser tous ces prestataires confondus susceptibles de pouvoir répondre à un chantier de débardage au cheval, qu’ils soient en activité principale, complémentaire, actifs en activité de débardage uniquement ou partiellement.

Carte des prestataires susceptibles de pouvoir répondre à un chantier de débardage au cheval.
Carte des prestataires susceptibles de pouvoir répondre à un chantier de débardage au cheval.

Depuis quelques années, le métier fait la curiosité d’un public de plus en plus nombreux et des propriétaires de chevaux ont la volonté de faire travailler leurs animaux et envisagent une activité avec eux.

Dans quelles conditions pertinentes recourir au cheval en forêt ?

Il apparaît que les deux modes de débusquage du bois en forêt (cheval et machine) se justifient dans des circonstances spécifiques.

La machine se justifie et est incontournable sur des zones d’exploitations de très grande surface, qui plus est si une majorité de bois atteint un volume au-delà de 0,7 m³. Ceci est d’autant plus vrai que le cahier des charges exige une durée de chantier limitée. Le cheval se justifie pleinement sur des surfaces plus petites ou morcelées, ce qui est fréquemment le cas des forêts privées. Il ressort que le débusquage au cheval est très pertinent lors des trois premières éclaircies, quels que soient les peuplements concernés et ce, d’autant plus que le gestionnaire forestier favorise le couvert continu et la densité d’un peuplement diversifié. La traction chevaline en forêt est incontournable dans les situations d’accès difficiles comme les pentes, les fossés, les zones humides et les berges.

Le débusquage au cheval permet aussi de valoriser davantage les parcelles de peuplements en minimisant les sacrifices d’exploitation, ce qui améliore la rentabilité financière de la forêt. Le cheval n’est pas non plus consommateur d’énergie fossile et n’émet pas de gaz à effet de serre.

Sur un plan plus émotionnel, le cheval dispose d’un capital sympathie indéniable. Il est en quelque sorte un médiateur entre les exploitants forestiers et le public qui comprend mal les abattages en forêt et y réagit parfois de façon violente. Sur les chantiers de débardage, la présence du cheval est synonyme de respect et de pérennité de la forêt. Les machines n’ont pas cette connotation.

Valère Marchand

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