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Le vin nature en Wallonie, une nouvelle vague?

Élaboré sans intrant, le vin nature séduit de plus en plus de viticulteurs chez nous, même s’ils ne sont pas encore très nombreux. Mais quels en sont les principes ?

Temps de lecture : 13 min

Si le vin « nature » ou « naturel » se fait depuis que l’on fait du vin, il n’a en réalité aucune existence officielle liée à un cahier de charges à respecter, comme le doivent les vins d’appellations d’origine ou d’indications géographiques protégées. Il est même interdit d’en faire mention à titre commercial, sous peine de poursuite, et c’est une disposition européenne… Et pourtant il incarne une tendance forte dans le monde, renforcée par le développement de l’agriculture bio et de l’alimentation saine.

Retour sur les fondamentaux

Avant de voir ce qui se pratique en Belgique, revenons sur quelques fondamentaux.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et surtout dans les années 1960, des vignerons français, comme par exemple Jules Chauvet, Marcel Lapierre ou Philippe Pacalet, s’élèvent contre l’usage massif de la chimie dans le vignoble. Leur revendication : retrouver le goût originel ou « naturel du vin » et faire un vin avec le moins d’intrants possible, sinon aucun, pour traduire la pureté du fruit et surtout son terroir. En deux mots, faire un « vin vrai ».

S’ensuivirent au début des années 2000, un mélange de pratiques les plus diverses promues par des néo-cavistes, le plus souvent parisiens, qui encensaient des vins de néo-vignerons qui, parfois, n’avaient pour seul but que de s’élever contre la norme, contre l’industriel. Et tant pis, s’il y a des défauts ou des déviances, c’est le « vrai goût du vin », et certains s’en délectent.

Aujourd’hui, heureusement, la maîtrise des vignerons a nettement progressé et les vins nature ont gagné en qualité mais toujours sans réglementation. Pour contrer certaines dérives, comme par exemple l’achat de raisins produits en conventionnel pour faire du vin dit « nature », s’est créé en septembre 2019 le Syndicat de défense des vins naturels, présidé actuellement par Jacques Carroget, vigneron dans la Loire.

Ce dernier avait été marqué, quelques mois plus tôt, par la publication par le magazine « Que Choisir » de résultats d’analyse de vins dits naturels : « On s’est rendu compte que certains vins avaient des niveaux de résidus de pesticides tels que ça ne pouvait pas provenir de la dérive des voisins. Clairement, ce n’était pas des vins bio. C’était impensable que des vins naturels ne soient pas bio, on a donc décidé à quelques-uns de lancer le Syndicat de défense des vins naturels, avec une vraie charte d’engagement : la Charte Vin Méthode Nature – VMN », déclarait-il à l’époque sur un site ligérien.

Une charte Vin Méthode Nature

Signée par plusieurs centaines de vignerons, la Charte énonce quelques principes de base en douze points, augmentés récemment de quatre autres points sur les « petnat », les pétillants naturels. Il faut surtout en retenir que 100 % des raisins utilisés (quelle que soit leur origine) doivent être issus d’une agriculture biologique engagée et certifiée (Agriculture Biologique ou Nature & Progrès.

Les vendanges doivent être manuelles, et les vins vinifiés uniquement avec des levures indigènes, sans aucun intrant œnologique. En outre, aucun sulfite n’est ajouté avant et lors des fermentations, ni dans les pieds de cuve. La Charte prévoit toutefois la possibilité d’ajustement dans la limite d’un maximum de 30 mg/l de sulfites pour le vin fini, à condition de le mentionner sur l’étiquette avec le logo dédié.

Ajoutée pour ses propriétés antifongiques et antiseptiques, cette dose de sulfite est à mettre en regard des 70 ou 80gr/l autorisés en bio ou des 160gr/l en conventionnel pour les vins rouges, voire 210 pour les vins mousseux.

Le label Vin Méthode Nature est attribué chaque année et pour chaque cuvée après contrôle interne du syndicat et déclaration sur l’honneur de l’adhérent, sans dégustation. À cette date, près de 500 cuvées sont labellisées. Davantage d’infos sur vinmethodenature.org.

Et en Belgique ?

« Hors de cette charte, point de salut ? » C’est encore loin d’être le cas, et en Belgique, certains s’engagent dans cette voie sans immédiatement ou forcément passer par la case bio.

 Au nord du pays…

L’un des premiers à tenter l’aventure du vin nature fut Servaas Blockeel. En 2012, il plante les deux premières parcelles de son vignoble Lijsternest entre Courtrai et Oudenaarde, puis deux autres, uniquement avec des variétés résistantes, qu’il cultive en complantation et en biodynamie, sur environ 4ha. Ses vins ne vieillissent pas en fût de chêne, mais dans des cuves ovoïdes en plastique. Aucun additif, ni clarification ou filtration, le jus doit être le plus pur possible. Les bouteilles s’arrachent et certains amateurs lui vouent un véritable culte. (wijngaardlijsternest.be)

Plus bas, Peter Vandamme s’est lancé en pur amateur en 1991 à Menin avant de tout arracher et de replanter en 2009 au pied du Rodeberg dans le Heuvelland. Dans son vignoble Klein Rijselhoek d’un hectare ne sont plantées que des variétés résistantes donnant quatre cuvées : Regent, Solaris (en vin orange), Souvignier gris et Cabernet Cortis (pour un pet-nat). Pour protéger les raisins, Peter a adopté un faucon crécerelle qui attaque les rongeurs et les oiseaux trop gloutons. Une manière originale d’avoir une viticulture réellement respectueuse de l’environnement. (kleinrijselhoek.be)

Avec des vignes sur le Houwaartse Berg près d’Aarschot, l’ancien journaliste et éditeur Patrick Nijs développe depuis 2019 la Wijnfaktorij – Urban boutique Winery à Anvers où il expérimente des vins très particuliers, loin des sentiers battus. Sa ligne de conduite : vendange manuelle, aucune intervention, sans herbicides ni insecticides ni enzymes. Et c’est l’un des meilleurs… (wijnfaktorij.be)

Patrick Nijs, l'un des vignerons flamands les plus créatifs.
Patrick Nijs, l'un des vignerons flamands les plus créatifs.

Anciennement dénommé Champinnot, le domaine Optimbulles est dirigé par Maxim Geunis et deux amis. Il a été planté en 1991 mais a pris une dimension plus professionnelle en 2009. On y produit des vins tranquilles et effervescents. À la vigne, ni herbicides ou insecticides, privilégiant un équilibre naturel. Et en cave, Geunis laisse la nature faire son travail : levures sauvages et pas de filtration, juste « puur natuur ». (optimbulles.be)

Enfin, dernier vignoble en date : le Wijndomein Rijnrode à Loksbergen dans le Limbourg. Kevin De Ridder et sa compagne ont eu la chance de récupérer une parcelle de vieilles vignes (30 ans) sur un terrain du CPAS, le domein Elzenbosch, qu’il a acquis en 2017. « Nous aspirons à un label bio à l’avenir, mais nous travaillons de manière naturelle depuis le début. Nos vins sont élaborés purs et sans additifs, déclare-t-il. Ce n’est que lorsque cela profite au vin que j’ajoute une très petite quantité de sulfite ». Les premiers vins viennent de sortir et s’annoncent excellents. Un second hectare sera planté l’an prochain.

 … Et au sud

Dans la partie francophone du pays, on commence par… le Flamand Patrick Carmans, originaire de Zonhoven, qui s’installe avec sa femme en 2009 à Neerheylissem, un des trois villages de la commune bilingue d’Hélécine, dans l’extrême est du Brabant wallon. L’homme a toujours été attiré par la viticulture, par pur hobby. Son ami Guy Geunis, du Wijndomein Optimbulles le conseille à ses débuts. Dès 2013, Il plante 200 pieds et possède plusieurs hectares aujourd’hui.

Les vins de Beekborne sont décrits par le vigneron comme vins naturels : aucun herbicide ou pulvérisation, aucun intrant, levures indigènes et pas de filtration. Pas de bois non plus, juste le potentiel du terroir et du vin. « Le vin est comme le vigneron, fait remarquer Patrick, profondément enraciné dans le sol flamand mais élevé, vinifié et raffiné en Wallonie. » (beekborne.be)

Egalement en Brabant wallon, l’asbl Les Pieds dans la Dyle a été lancée en 2017, en collaboration avec les habitants. Son initiateur est Pablo Cremers, fabricant de bougies et de cierges depuis 5 générations et donc également viticulteur. « Le projet a évolué sur ces dernières années, explique-t-il. Les parcelles se gèrent différemment. La plus grande, rue Procession aux Reliques, est toujours gérée par l’asbl, elle donne la cuvée Coop(ains) qui assemble les raisins de la parcelle et ceux des membres. On vient de faire 250 bouteilles, et c’est marrant, cela donne un truc intéressant. »

Juste à côté, Pablo cultive deux autres petites parcelles avec sa femme (un peu plus de 1000 pieds) et s’occupe également de la Vigne de l’Arbre qui pousse, à la Ferme de la Balbrière à Ottignies, en collaboration avec Denis Delcampe.

L’envie de faire du vin est venue à Pablo voilà plus de quinze ans, en découvrant les vins nature au restaurant, via notamment des vins de Loire. Pour la première plantation, le choix des variétés s’est évidemment porté sur des variétés résistantes (Divico, Pinotin, Souvignier gris et Muscaris notamment) afin de traiter le moins possible.

« C’est très motivant, mais super énergivore, concède-t-il, et c’est compliqué de ne pas être propriétaire de la terre… Ici, nous avons planté les vignes en forme de cadran solaire, afin d’avoir un point central de traction pour travailler au treuil. Nous développons des vins nature, mais pas en bio, même s’il faudra sans doute y arriver. Ce qui m’embête avec cette notion de bio ou de biodynamie, c’est qu’il faut intervenir. L’un ou l’autre, ce sera du cuivre, du soufre, des décoctions, des préparations… Je pars du principe que lorsqu’on récolte des pommes sur un pommier auquel on a toujours foutu une paix royale, on fait un cidre super chouette à boire, alors pourquoi faire autrement avec les vignes ? Mais il faut produire des raisins sains. »

« Quand je vois le nombre de gens qui sont dingues d’acidité volatile… Et s’il reste un peu de gaz carbonique dans la bouteille, c’est pour permettre au vin de se défendre, il suffit de carafer. Mais je sais qu’il y a des gens qu’on ne convaincra jamais… Le marché en Belgique est immense, il y a tout un canal de distribution qui n’a en ce moment que des vins français ou italiens à vendre et qui ne demande qu’à vendre du local, à condition que ce soit buvable. »

À deux pas, à Beauvechain, Laurent Mélotte a lui aussi planté un petit vignoble. Ancien responsable développement chez Interbrew, celui-ci a fait carrière en brasserie, avant de se lancer dans le commerce de vins nature. Après avoir organisé des dizaines d’ateliers sur tous les thèmes possibles et imaginables, il décide de vinifier les raisins qui poussaient sur sa façade, histoire de maîtriser toute la filière.

Laurent Mélotte, ingénieur brassicole reconverti dans le vin méthode nature.
Laurent Mélotte, ingénieur brassicole reconverti dans le vin méthode nature.

« J’ai là deux hybrides de première génération, Maréchal Foch ou Léon Millot, hyper résistants, qu’il ne faut jamais traiter, et jamais malades. Avec les encouragements de Pablo, j’ai coupé des morceaux pour en faire des boutures et planté une ligne le long de la haie. Puis sur un terrain de 15 ares que je prêtais à un fermier. Depuis que je suis en âge de boire, je vinifie tous les fruits possibles. J’ai arrêté quand mon vin de cerise sans soufre a été dégusté et apprécié par Jean-François Ganevat dans le Jura. Je me suis dit, j’arrête et je passe au raisin. Je voulais planter une parcelle pour m’amuser, mais c’est là que les problèmes ont commencé…

En 2019-20, j’ai planté 100 pieds tout seul et je me suis fait une tendinite… Avec 15 potes, on a planté 250 plants suivants, mais il fallait les choyer et les arroser, ce qui n’était pas possible pour moi. L’année suivante, il a gelé trois fois de suite, puis un épisode de sécheresse, puis le covid. avant l’arrivée des rats taupiers… Et en 2023, déjà beaucoup de pluies, des inondations, des pieds asphyxiés, et pas encore de vin… »

Pour se faire la main, notre caviste vigneron achète des raisins depuis trois ans dans un vignoble voisin : « Mon but n’est pas d’être vigneron mais d’entretenir une vigne didactique, que j’aimerais faire pousser sur des échalas, voire sur les arbres. Je vais sélectionner les plus résistantes, faire des boutures et recompléter le vignoble. »

Et pour lui, c’est clair, le vin doit avant tout être bio. « Chacun fait comme il sent, tant qu’on pollue moins, mais soit on commence tout de suite en nature, sans sulfites ajoutés, soit on fait d’abord du vin classique, et on déserre les boulons petit à petit vers des cuvées sans soufre. Mais il faut d’abord des vins irréprochables. Je connais les fermentations sur le bout des doigts et j’ai étudié l’œnologie par moi-même, je connais tant le monde de la bière que du vin, c’est peut-être cela qui m’a poussé vers les vins nature. »

Quels conseils donnerait-il à un agriculteur qui veut se lancer ? « De prendre ses précautions, déclare-t-il sans hésiter, il y a des pièges à éviter, il faut bien s’entourer et ne pas se lancer la fleur au fusil. Bien définir ce qu’il veut faire, goûter des vins nature de partout, et s’il veut planter des hybrides, goûter et voir si cela lui plaît. Car se lancer et puis découvrir, réserve des surprises…

Tout le travail se fait à la vigne, mais c’est un travail bien connu. À la cave, par contre, si on veut jouer sans sulfites, il faut faire attention et repérer aussi quand cela part en vrille. Il faut une hygiène totale et une précision dans tout ce qu’on fait, de la récolte à la cave.

Quand le vin est bien fait, il y a un supplément de juteux, et s’il y a trop de sulfites, cela se goûte. Le raisin est un fruit et pas un truc dont on dit qu’il est minéral, alors qu’il y a juste trop de sulfites… Il faut une connaissance de la science plus pointue que pour du vin classique où c’est l’œnologue qui indique ce qu’il faut faire. Le goût de souris (une déviation aromatique) est le challenge du vin nature. Pour le combattre, il faut une hygiène parfaite, des levures bien vivantes, car si la fermentation ne démarre pas assez vite, d’autres bactéries peuvent apparaître (comme l’odeur d’écurie). S’il fallait gommer mes propres défauts, je ne sais pas ce que cela donnerait, et le vin, c’est un peu pareil… »

D’autres débuts d’aventure chez nous

Ces deux aventures ne sont pas les seules en cours de développement en Wallonie, on peut encore citer quelques vignobles qui débutent.

Près d’Andenne, Benoît Haag, par exemple, a créé le Clos de Bousale avec Arnaud Van Daele, agriculteur dans un village à proximité Huy qui possédait une parcelle avec les meilleures conditions d’exposition, de pente, etc. Cinq mille pieds et quatre cépages (Johanniter et Helios en blanc, Pinotin et Rondo en rouge) ont été plantés en 2020, 21 et 22 sur un hectare.

Le Clos de Bousale planté en 2020 par Arnaud Van Daele, agriculteur huttois et Benoît Haag, développeur d'entreprises du monde rural.
Le Clos de Bousale planté en 2020 par Arnaud Van Daele, agriculteur huttois et Benoît Haag, développeur d'entreprises du monde rural.

« Les cépages résistants nous permettent d’être le plus proches de la nature, mais il faut pouvoir intervenir en cas de dérive. Nous respectons le cahier de charges bio pour la vigne, et pour le vin, nous voulons pousser la démarche plus loin, pour autant que la qualité du raisin le permette. Nous sommes satisfaits et étonnés de voir la facilité avec laquelle les fermentations alcooliques ont démarré sur base des simples levures indigènes présentes sur les baies. Si cette première expérience est menée à bien, nous replanterons, mais graduellement. »

En province de Liège, au domaine Dalaheim Castellum, Arthur Joskin et sa compagne Gentiane ont eux aussi choisi de vinifier naturellement. Et il faut reconnaître que les vins d’aujourd’hui sont loin de ceux d’il y a 5 ou 10 ans. « Le propriétaire initial du vignoble, Bart Nyssen, a toujours été écologique sur ses vignes, on ne pulvérise plus, on ne tond plus non plus. Au niveau de la vinification, depuis 2020, on a commencé une démarche nature que j’ai découverte avec Gentiane en Alsace. On a étudié la technique et appliqué cela à nos vins en 2021. On obtient de bons résultats mais on expérimente toujours… Et nous commençons une conversion en bio. »

Arthur Joskin et Gentiane lors du Festival de la vigne de La Hulpe.
Arthur Joskin et Gentiane lors du Festival de la vigne de La Hulpe.

Dans le Hainaut, on peut encore citer « Le Sang des Mêlés », projet de Franck Van den Bulke qui veut développer un « vignoble agroécologique et social de transmission sur sols vivants en biodynamie ». Deux parcelles existent déjà, à Saint-Symphorien et à Harmignies, mais il faudra encore attendre pour les premiers vins.

En province de Namur, relevons également les premiers vins du Domaine de Crompechine à Marche-les-Dames qui s’annoncent prometteurs ou ceux de François Van Pachtenbeke à Floreffe : Oze le vignoble, qui porte bien son nom. Passionnés de viticulture durable, François réalise depuis presque dix ans diverses cuvées expérimentales en très petites quantités et donne des ateliers sur place.

Oze-le-Vignoble, une parcelle expérimentale à Floreffe.
Oze-le-Vignoble, une parcelle expérimentale à Floreffe.

Enfin, à Dinant, l’architecte Matthieu Delatte lance le Vignoble de la Tête en l’air et plante trois hectares sur quatre ans pour développer lui aussi des vins nature.

Et pour clôturer ce tour de Wallonie, arrêtons-nous un instant à Erezée, où la coopérative Thier de Blier a planté ses premières parcelles il y a quelques semaines à peine. Patience donc…

Marc Vanel

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