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Mercosur : une nouvelle étude alerte sur les dangers de l’accord!

Diligentée par le groupe des Verts au parlement européen, une toute nouvelle étude menée par le très sérieux Institut français de l’Élevage (Idele), vient de mettre en lumière les risques d’importantes pertes économiques pour les agriculteurs européens dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord avec les pays du Mercosur.

Temps de lecture : 8 min

L e contexte ainsi que les résultats ont été présentés la semaine dernière par les deux auteurs en présence des eurodéputés écologistes Yannick Jadot et Saskia Bricmont, tous deux membres de la commission du commerce international.

 

Un accord « dinosaure »

Les négociations entre l’Europe et les pays du bloc sud-américain ont commencé dès 1999 avant d’être mises au frigo à plusieurs reprises, notamment en 2004 et en 2012, puis en 2019, dans la foulée de l’accord de principe trouvé entre les deux parties.

Si cela ne gênait pas à l’époque la commission Juncker, le parlement considérait que la destruction et la mise sous coupe rase de l’Amazonie organisée par Jair Bolsonaro pour exporter toujours plus de soja, de bœuf, d’éthanol et de viande de poulet, les atteintes répétées à l’état de droit, aux libertés, aux droits des femmes et des peuples autochtones étaient autant d’éléments inacceptables pour les opinions européennes.

Pour la commission, l’arrivée de Lula da Silva à la tête du Brésil, a sonné le retour de l’accord sur le devant de la scène, n’y voyant plus aucun obstacle à sa ratification.

Une délégation d’écologistes européens s’est rendue en mai dernier à Brasilia à la rencontre de l’administration du nouveau président, des syndicats, des représentants de la société civile.

Les élus ont effectué une visite de terrain dans le Cerrado, que Yannick Jadot qualifie de « grand point de fragilité dans l’ensemble de l’écosystème brésilien et château d’eau de l’Amazonie ».

Les écologistes dénoncent un accord « dinosaure » qui a été pensé et négocié à une époque où les questions du dérèglement climatique ne constituaient ni l’actualité ni le quotidien des Européens.

La fragilité de la démocratie brésilienne

« Depuis 20 ans et le début des négociations, c’est l’équivalent du territoire de l’Espagne qui a été déforesté en Amazonie » déplore M. Jadot en dénonçant « un modèle sud-américain agri-exportateur dramatique pour le climat, la souffrance animale, la question de la biodiversité liée à l’usage des pesticides, qui met en danger les éleveurs européens qui souffrent déjà terriblement ».

Le président Lula et son administration sont actuellement engagés contre la déforestation mais aussi en faveur des droits sociaux et de la démocratie. Mais il faut savoir que l’accord sera permanent.

Mais le retour d’un pouvoir autoritaire, climaticide et liberticide ne peut être exclu d’ici trois ans.

Et l’Europe n’aura plus la possibilité de suspendre l’accord « pour protéger l’Amazonie, le climat et l’avenir des producteurs européens » prévient Yannick Jadot.

Distorsion de concurrence entre les filières agricoles

L’Institut de l’Élevage suit depuis de nombreuses années les négociations portant sur différents accords de libre-échange, le Ceta, et bien entendu, les pourparlers qui ont entouré la finalisation de l’accord avec les pays sud-américains sur lequel les agroéconomistes Baptiste Buczinski et Boris Duflot ont déjà réalisé plusieurs travaux.

L’équipe de recherche s’est concentrée sur les produits agricoles et les effets potentiels sur certains produits sensibles mais aussi sur les aspects sociaux, de bien-être et environnementaux de l’accord.

L’étude souligne la distorsion de concurrence existant dans de nombreuses filières agricoles de l’UE et celles des pays du Mercosur où les normes sont au mieux faibles, au pire, inexistantes. C’est le cas pour les pesticides avec des ingrédients actifs autorisés au Brésil alors qu’interdits dans l’UE car dangereux pour la santé des consommateurs.

LMR, antibiotiques, traçabilité

Il en va de même pour les LMR (limites maximales de résidus) très différentes de part et d’autre de l’Atlantique et les antibiotiques utilisés quasi systématiquement comme activateurs de croissance en Amérique du sud (bacitracine, flavomicyne…) et totalement interdits en Europe.

Baptiste Buczinski a par ailleurs évoqué le manque de traçabilité qui pose question au niveau de la gestion de la déforestation. Si la réglementation se met en place du côté européen, elle semble encore très compliquée à mettre en œuvre pour les opérateurs sud-américains de viande bovine.

Dès 2009, les grandes entreprises brésiliennes comme les groupes agroalimentaires Marfig, Minerva et surtout JBS, plus gros vendeur de viande au monde, se sont engagées à contrôler la déforestation du côté de l’Amazonie. Or, ils sont, à ce jour, toujours incapables de le faire.

Selon l’étude, la déforestation supplémentaire estimée à la suite de l’accord et de l’augmentation des exportations de bœuf peut s’avérer comprise entre un minimum de 620.000 hectares et 1,35 million d’hectares dans le pire des cas sur une période de 5 ans.

Pour stopper ce fléau, les auteurs de l’étude recommandent aux deux parties de s’engager dans le cadre du chapitre commerce et développement durable à mettre en œuvre formellement l’Accord de Paris sur le climat qui doit être la clef de voûte de l’accord entre l’UE et les pays du Mercosur.

Ils estiment par ailleurs que les réductions tarifaires devraient être subordonnées à la réduction de la déforestation.

Les agroéconomistes ont aussi mis en lumière des différentiels assez forts sur la réglementation en termes de bien-être animal, notamment dans les abattoirs mais aussi du droit du travail pour ceux qui y travaillent.

La viande bovine suscite les plus grandes craintes

Pour l’Idele, la production de viande bovine reste celle qui est, de loin, la plus problématique pour l’UE. Les exportations sud-américaines risquent d’augmenter de 23 % à 56 % dès lors que l’accord sera complètement mis en œuvre.

Selon l'étude, la déforestation supplémentaire estimée à la suite de l'accord et de l'augmentation des exportations de bœuf  peut s'avérer comprise entre un minimum de 620.000 ha et 1,35 million d'ha dans le pire des cas sur une période de 5 ans.
Selon l'étude, la déforestation supplémentaire estimée à la suite de l'accord et de l'augmentation des exportations de bœuf peut s'avérer comprise entre un minimum de 620.000 ha et 1,35 million d'ha dans le pire des cas sur une période de 5 ans. - Imago Photo - stock.adobe.com

Produite à moindre coût, la viande bovine, notamment la part de « la longe et du rumsteck » entiers en provenance des pays du Mercosur sur le marché européen pourrait notamment passer de 13 % en 2019 à 21 % voire 26 % en 2030, prévoit l’étude.

A contrario, l’exportation vers les pays du Mercosur de produits laitiers sur lesquels l’UE est davantage à l’offensive pourrait porter préjudice aux petits producteurs, sachant que 80 % des exploitations brésiliennes sont de petite taille.

Les auteurs de l’étude rappellent qu’en 2021, Le Brésil a importé environ 76.000 tonnes de lait écrémé en poudre et de lait entier en poudre, 32.000 tonnes de fromage, 3.000 tonnes de préparations pour nourrissons et d’autres produits laitiers.

En cas de mise en œuvre de l’accord le gouvernement brésilien a annoncé qu’il prévoyait de dédommager les producteurs de lait et de les aider à moderniser leur production grâce à des équipements européens et une exonération fiscale pouvant aller jusqu’à 35 %.

Et la volaille n’est pas en reste…

La hausse des flux concerne aussi le secteur de la volaille dont le Brésil est de loin le principal producteur et exportateur du Mercosur. De nombreuses entreprises de production et de transformation, telles que BRF ou Seara, sont actives dans les deux secteurs et peuvent s’appuyer sur leur compétitivité industrielle et leur important portefeuille commercial pour accroître encore leurs exportations.

La majeure partie de ces quantités est constituée de volailles salées (170.807 tonnes), de poulets préparés (158.477 tonnes) et de dindes préparées (92.300 tonnes). Les morceaux de poulet et de dinde surgelés ne représentent quant à elles que 21.608 tonnes.

Ces volumes sont encore limités en raison d’exigences sanitaires plus élevées, notamment en ce qui concerne les salmonelles, par rapport aux viandes préparées, tandis que les droits existants sur ces morceaux congelés sont considérés par les exportateurs brésiliens comme un obstacle à l’accès au marché de l’UE.

L’accord prévoit toutefois un contingent supplémentaire à taux zéro de 180.000 tonnes de ces morceaux congelés, dont 50 % de viande avec os et l’autre moitié de viande désossée. Il est donc très probable que le Brésil remplira ce contingent à droit nul progressivement au cours des six années de sa mise en œuvre.

Biomes sud-américains en péril

La déforestation liée à l’élevage bovin, c’est bien là que le bât blesse dangereusement. L’étude explique qu’il existe des failles importantes dans le système de son contrôle, par exemple au niveau des animaux non conformes pouvant être commercialisés même par des abatteurs et des distributeurs engagés en faveur d’une « déforestation zéro ».

D’ailleurs, l’étude précise que le récent règlement européen sur la déforestation importée pourra uniquement empêcher les importations en provenance de zones dont la déforestation est très récente (depuis 2021) et ne concernera que l’Amazonie et non d’autres biomes comme le Pantanal, le Cerrado (Brésil) ou le Chaco (Argentine et Paraguay), dont la biodiversité est pourtant très riche.

Auditer les méthodes sud-américaines d’élevage et de transport

Une fois ce constat établi, les auteurs de l’étude ont esquissé quelques pistes afin de pallier les carences au niveau des pays du Mercosur.

Ils préconisent de soumettre à une procédure d’audit et de certification de l’UE les méthodes d’élevage et de transport des animaux dans la région du Mercosur.

Ils appellent à intégrer le principe de précaution dans l’ensemble de l’accord dans le cadre du chapitre sur les normes sanitaires et phytosanitaires. L’objectif serait de bloquer préventivement les importations de produits agricoles soupçonnés d’être contaminés par des agents pathogènes ou de contenir des résidus de pesticides interdits.

Dans un souci de protéger les intérêts des producteurs européens, les auteurs recommandent également une révision de l’offre d’accès au marché de l’UE afin de limiter le volume des contingents tarifaires accordés concernant les produits d’origine animale, en particulier pour la viande bovine (99.000 tonnes) et la volaille (180.000 tonnes).

Marie-France Vienne

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